Charles de Gaulle
Françaises, Français !
Mes meilleurs voeux de nouvelle année, je vous les offre de tout mon coeur.
Un coeur, que depuis longtemps, permettez-moi de le dire, n'épargnent pas les soucis, au sujet du sort de la France.
Mais qui, je vous l'affirme, est aujourd'hui rempli d'espoir.
Certes, au printemps dernier, notre pays qui, depuis dix ans, gravit la pente du renouveau s'est trouvé, dans son ascension, tout à coup, saisi de vertige.
On a même pu croire un moment qu'il s'abandonnait à la très morbide de l'abîme, et qu'il allait rouler jusqu'au plus bas.
Par la suite, le grave déséquilibre de notre économie, résultat inéluctable d'une paralysie de près de deux mois, des charges énormes subitement consenties pour la faire cesser, et des crédits massivement prodigués pour la reprise, nous a conduit, soudain, et à chaud, à une crise monétaire,
qui mettait en cause la valeur de notre franc, et par là même, celle de nos avoirs et de nos rémunérations,
risquait de nous faire passer sous la dépendance de prêteurs étrangers et suscitait la joie odieuse des spéculateurs de la finance, de la politique et de la presse qui jouaient notre déconfiture.
Mais au bout du compte, que nous est-il arrivé ?
Ceci d'abord, qu'après son passage à vide, la Nation française s'est ressaisie.
Le 30 mai, elle a, d'un seul coup, montré, massivement, qu'elle répondait à l'appel du Chef de l'Etat.
Après quoi, par les élections, elle a prouvé d'une manière éclatante sa volonté de voir assurer l'ordre, maintenir les institutions et poursuivre la marche vers le progrès
Ceci encore nous est arrivé qu'au total et dans l'ensemble, le bons sens reprend ses droits à l'intérieur de nos facultés.
Il nous est arrivé ceci enfin, que notre activité productrice, vigoureusement relancée, dépasse le taux le plus élevé qu'elle ait encore jamais atteint.
Que notre monnaie, ayant traversé l'ouragan sans perdre sa parité, se tient ferme sur sa position.
Et que tous ceux qui ont misé sur le recul de la France en sont pour leur honte et pour leur frais.
Portons donc en terre les diables qui nous ont tourmenté pendant l'année qui se termine.
Laissons à leurs complices et à leurs partisans la tristesse et la déception.
Car le fait que nous ayons, une fois de plus, heureusement surmonté les épreuves nous donnent les meilleures raisons d'être confiant en nous-mêmes.
Cependant il est bien vrai que nous ne réparerons pas dans la pagaille et dans la facilité les mauvais coups qui viennent d'être portés à notre pays.
Pour l'éducation nationale, le retour à l'anarchie ne doit pas être toléré, sous peine que soit inapplicable, tout ce qui a été fait pour elle depuis dix ans.
Et tout ce qui est en voie de l'être grâce à la loi d'orientation.
L'intérêt public exige qu'indépendamment des mesures qui, là comme ailleurs, incombent des services d'ordre, ils reviennent à ceux qui sont dans nos universités, nos lycées, nos écoles, sont en fonction, c'est-à-dire : en charge et en responsabilité d'y exercer leur autorité.
Et aux enseignants, aux étudiants, aux familles de les y aider activement.
Pour l'économie, qu'il s'agisse des prix et des salaires ou bien des dépenses publiques ou bien des changes et du crédit, les limitations, les contrôles voulus, sont absolument nécessaires jusqu'au retour complet à l'équilibre.
Ceci pour que nous puissions sauvegarder la balance de nos paiements, consolider dans la réalité, les accroissements de rémunération qui ont été apparemment fixés dans les chiffres.
Faire en sorte que nous vendions au dehors au moins autant que nous y achetions.
Bref, empêcher, que la supercherie de l'inflation ne nous fasse glisser au gouffre de la ruine et de la misère, comme jadis le chant des sirènes faisait tomber les marins dans la mer.
Alors, nous étant remis d'aplomb, nous franchirons certainement dans l'expansion et dans la règle, une étape nouvelle de développement et de prospérité.
Encore faut-il que nous surmontions le malaise moral qui chez nous plus que partout à cause de notre individualisme est inhérent à la civilisation mécanique et matérialiste moderne.
Faute de quoi les fanatiques de la destruction, les doctrinaires de la négation, et les spécialistes de la démagogie auraient encore une fois beau jeu, de susciter l'amertume pour provoquer l'agitation.
Sans que d'ailleurs leur stérilité qu'ils appellent insolemment et dérisoirement la révolution puissent tendre à rien d'autre qu'à tout dissoudre dans le néant ou bien à tout pousser sous les broyeuses totalitaires.
Or à l'origine de ce trouble, il y a le sentiment attristant, irritant qu'éprouvent les hommes d'à présent, d'être saisis et entraînés par un engrenage économique et social sur lequel ils n'ont pas de prise et qui fait d'eux des instruments à ce mal du siècle, qui est le mal des âmes.
Nous pouvons pour notre part, contribuer à remédier en organisant la participation de tous à la marche de l'activité à laquelle ils contribuent.
De telle façon que chacun soit dignement associé à ce qui se passe à son propre sujet, et qu'il assume des devoirs en même temps qu'il fait valoir des droits.
C'est cela que nous sommes en train de faire dans notre université.
C'est cela que nous allons développer après l'avoir commencé à l'intérieur de nos entreprises.
C'est cela que nous réaliserons en associant les collectivités territoriales de notre pays et les catégories économiques et sociales.
Soit au plan de la région, aux mesures qui touchent la vie locale, soit au plan de la Nation, à la préparation des lois.
Voilà la réforme de la condition des hommes, autrement dit : de leurs rapports, qui doit marquer l'an de grâce 1969, et nous faire à la fois plus forts et plus fraternels.
D'autant mieux que si nous, français, ne sommes pas actuellement une nation physiquement gigantesque.
Si par exemple, il nous faut laisser à d'autres, l'admirable mérite de réussir le tour de la lune, nous n'en avons pas moins à jouer dans le monde, à l'avantage de tous les peuples, un rôle qui soit bien à nous.
Cela implique que sans nuire aucunement à nos amitiés traditionnelles, nous restions solides et indépendants.
C'est parce que nous le sommes redevenus, depuis dix ans, après une longue période où le malheur alternait avec l'inconsistance que nous nous trouvons en mesure d'agir.
Pour aider efficacement à la solution des problèmes aigus de l'univers, lesquels, chacun peut les énumérer.
Il s'agit de la détente et de la coopération à pratiquer au lieu de la guerre froide avec le reste de l'Europe qui d'ailleurs de ce fait, est en évolution.
Soit aussi de l'affreux conflit vietnamien auquel peuvent mettre un terme des négociations à Paris.
Soit de l'issue internationale au drame du Moyen-Orient.
Issue qui est déjà tracée, mais qui doit être absolument mise en oeuvre, ce dont les grandes puissances ont les moyens, par l'évacuation des territoires conquis par la force.
La garantie accordée à chaque camp quant à une juste frontière et quant à sa sécurité.
Par la libre navigation attribuée partout et à tous et par un sort acceptable assuré aux réfugiés.
Il s'agit aussi de l'entrée de l'énorme Chine dans le concert des grandes puissances et dans celui des Nations Unies parce que, elle a sa place à y tenir et que l'isolement ne vaut rien.
Soit encore de la libre conduite de sa propre vie nationale par le peuple français du Canada.
Soit du droit de disposer de lui-même à reconnaître au vaillant Biafra.
Soit de l'aide qui doit être apportée par les nations bien pourvues, au progrès de celles qui ne le sont pas.
Soit de l'établissement d'un système monétaire mondial qui soit fondé non pas sur le privilège d'une monnaie, mais sur deux critères impartiaux.
D'une part, la valeur de l'or, d'autre part, une organisation du crédit, exclusive de la spéculation.
Ces positions qui sont les nôtres, qui ont été naguère âprement contestées, mais que les évènements justifient à l'évidence, nous avons à les soutenir pour l'équilibre et pour la paix du monde.
Car cette action là, elle est de notre intérêt vital et elle répond parfaitement bien à la nature et à la figure millénaire de la patrie.
Françaises, Français, au début de l'année, pour la réussite de la France, je nous souhaite à tous, en son nom, la foi et l'espérance nationale.
Vive la République, vive la France !