Réforme du collège unique : René Haby visite deux établissements de Lunéville
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Alors que la loi instituant le collège unique a été votée en juillet 1975, le ministre René Haby visite deux établissements scolaires de Lunéville. L’occasion d’aborder les modalités de la réforme, la question du chômage des jeunes, la place des femmes et l’agitation politique.
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Date de publication du document :
08 déc. 2021
Date de diffusion :
10 nov. 1975
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Contexte historique
ParProfesseur agrégé d’histoire au Lycée international Jeanne-d’Arc, Nancy
La visite du ministre de l’Education René Haby à Lunéville en novembre 1975 témoigne des mutations importantes du système éducatif français dans les années 1970. Elle permet de rendre compte de la place des jeunes, singulièrement des jeunes femmes, et de la démocratisation de l’enseignement secondaire. On y voit une réponse politique apportée aux nouveaux enjeux sociaux et culturels en France.
En même temps que le nombre de 11-17 ans augmentait considérablement avec le baby-boom, leur taux de scolarisation a explosé au cours des années 1960, entraînant une massification de l’enseignement secondaire. Entre 1958-59 et 1973-74, 2,875 millions d’élèves supplémentaires ont été scolarisés en collège, lycée ou établissement professionnel. La diffusion de l’instruction pour cette tranche d’âge a entraîné une démocratisation quantitative, dans la continuité de celle du niveau élémentaire en 1881-1882.
René Haby, ancien instituteur puis professeur agrégé de géographie en lycée et à l’université, est ensuite devenu haut fonctionnaire au ministère de l’Education nationale puis Recteur. En 1974, fort de cette expertise, il est choisi comme ministre de l’Education (qui perd l’adjectif « nationale ») dans le gouvernement Chirac nommé par le nouveau Président de la République Valéry Giscard d’Estaing. Six ans après mai 68, ce dernier veut insuffler une certaine modernité libérale et s’adresse en particulier à la jeunesse en réformant l’école et en abaissant la majorité à 18 ans.
Après le vote d’une loi générale en juillet 1975, René Haby prépare les décrets d’application réorganisant le secondaire qui ne seront publiés qu’en décembre 1976. Plus qu’une rupture majeure, la loi vient parachever un processus d’unification du premier cycle de l’enseignement secondaire public, entamé au début des années 1930 avec sa gratuité. Jusqu’aux années 1960, ce premier cycle juxtaposait des écoles aux statuts différents dans lesquelles les élèves comme les enseignants avaient des profils distincts. D’une part, les écoles primaires ont développé le primaire supérieur et les cours complémentaires (dont est lui-même issu René Haby) où enseignent des instituteurs. D’autre part, les lycées ont leur propre premier cycle dans lequel enseignent agrégés et certifiés (depuis 1950). Par étapes, ces différents types d’écoles vont être agrégés tout en gardant leurs spécificités et en restant largement étanches. Sous le Front Populaire, Jean Zay a prolongé la scolarité obligatoire jusqu’à 14 ans. Sous Vichy, Jérôme Carcopino a transformé les écoles primaires supérieures en collèges modernes. L’examen d’entrée en 6e, établi en 1933 pour sélectionner par le mérite, sépare ainsi ceux qui vont vers le lycée classique, où le latin marque symboliquement la distinction, de ceux qui se dirigent vers le collège moderne.
La fin de l’examen d’entrée en 6e et les réformes Berthoin (1959, qui portent l’obligation à 16 ans) et Fouchet (1963, à laquelle contribue René Haby) mettent en place les Collèges d’enseignement secondaire (CES), appelés à rassembler tous les élèves sans rompre la logique de séparation que l’on retrouve dans les trois filières qui existent en son sein : longue (classique ou moderne), courte moderne générale et transition-pratique. La réforme Haby supprime ces trois filières et entame l’unification du corps enseignant. Reconnaissant que la société française n’accepte plus que des filières séparent les élèves selon des critères perçus comme injustes et reflétant les inégalités sociales et culturelles, elle achève ainsi la démocratisation du premier cycle du secondaire. Tous les élèves se retrouvent en 6e dans un même type d’établissement qualifié simplement de collège. Dorénavant, ce premier cycle est commun à tous et distinct du lycée.
Reste la question de la démocratisation « qualitative », au sens d’une plus grande égalité des chances. La réforme Haby s’inscrit dans cet effort mais n’a pas de solution consensuelle. Elle rassemble tous les élèves dans le collège unique et veut faire de l’hétérogénéité un atout qui ne stigmatise plus les plus faibles, sans pénaliser les meilleurs. Les choix d’orientation les plus importants sont repoussés à la fin du collège, même si la 4e marque le début de choix pouvant déjà conduire vers l’enseignement technique. Pourtant, les travaux des sociologues (Bourdieu et Passeron pour ne citer qu’eux) ont déjà ôté toute illusion et la démocratisation va demeurer largement ségrégative.
Le milieu des années 1970 voit également poindre une plus grande préoccupation vis-à-vis du chômage, encore bas mais en hausse avec la fin de la croissance des Trente glorieuses, et une recherche d’adéquation entre les besoins de l’économie et l’éducation ou la formation des jeunes.
Éclairage média
ParProfesseur agrégé d’histoire au Lycée international Jeanne-d’Arc, Nancy
Le reportage, diffusé lors du journal télévisé, rend compte de la visite du ministre de l’Education dans deux établissements secondaires de Lunéville, non loin de Dombasle où il est né. Les deux visites sont abordées successivement sans que les différences entre leur statut et le type d’élèves scolarisés soit toujours clairement identifiables. On y décèle l’incertitude qui règne encore sur des réformes dont les grands principes ont été adoptés par le Parlement mais dont les détails sont encore attendus.
Le premier établissement, le « CET du Champ de Mars », est alors un Collège d’Enseignement Technique (CET), appellation destinée à être remplacée par Lycée d’enseignement professionnel (LEP). Allusion est faite à la construction toute récente (rentrée de septembre) de bâtiments pour accueillir ce CET, dirigé par Mlle Ciffreo, qui a succédé au centre d’apprentissage de la rue de la Tour blanche. Il prendra le nom de Paul-Lapie en 1976 en devenant LEP. L’évolution de la place des femmes est un aspect du reportage puisque le CET est « majoritairement féminin » et forme à des « métiers dits féminins, ceux de l’habillement et du secteur tertiaire ». Mais le reportage ne s’attarde pas sur les transformations de l’enseignement professionnel, sinon par le prisme du chômage.
Le ministre interroge en effet les délégués des élèves sur leur peur du chômage avec le « ralentissement de la croissance » qui touche fortement les « zones à population jeune » comme c’est le cas de Lunéville où « le nombre de moins de 25 ans est important ». La population de la ville est néanmoins en baisse régulière depuis les années 1960, en lien avec le déclin des activités industrielles traditionnelles de la ville (faïenceries, filatures (Boussac, alors en difficulté), Usine Trailor (Camions, automobiles)).
Le deuxième établissement visité est le Collège (CES) Charles-Guérin, lui aussi installé dans des nouveaux locaux pour la rentrée 1975. Le reportage montre les similitudes entre les bâtiments des deux établissements tout justes construits à une époque où l’architecture scolaire est en train d’opérer une mutation vers des normes de construction plus sûres et plus adaptées aux nouveaux besoins (CDI où le ministre rencontre les délégués, équipement vidéo des salles de classe, ateliers). L’incendie du Collège « Pailleron » en 1973 a en effet tragiquement révélé les faiblesses des constructions industrielles érigées à la va-vite pour faire face à l’explosion scolaire.
Dans le collège, différents ateliers sont évoqués puis un entretien s’engage entre la journaliste Francine Buchi et le ministre. C’est l’occasion de mieux cerner ses intentions quant à la réforme et d’aborder quelques questions liées à l’actualité du secondaire.
On y retrouve la volonté de René Haby de créer un collège pour tous les élèves, quel que soit leur profil. Il insiste sur la nécessité pour les élèves « ordinaires », qui se destinent au lycée général, d’être initiés aux activités manuelles et technologiques (avec la création de l’EMT). Cuisine et couture, menuiserie et travaux métalliques sont évoqués. L’assignation genrée des activités et des ateliers techniques proposés au CES fait l’objet d’une discussion entre la journaliste et le ministre. S’il faut souligner son désir de les dépasser dans une certaine mesure, le ministre cite la remarque d’une jeune fille protestant qu’on lui fasse faire de la technologie. Sa réponse laisse planer le doute sur ses propres stéréotypes ou la volonté de les combattre puisqu’il renvoie la jeune fille à l’utilité pour sa future expérience « dans sa cuisine » et pour son « sèche-cheveux »…
L’autre question évoquée est celle de l’agitation politique post-68 dans les lycées. Comme souvent, René Haby oppose « l’endoctrinement » à « l’information politique » faite par les professeurs, un des deux sujets qu’il a abordés avec les délégués. Il préfère d’ailleurs le dialogue direct avec ces derniers (comme dans les phases préliminaires de la réforme) plutôt qu’avec des représentants syndicaux lycéens qu’il accuse clairement d’extrémisme en lien avec le Parti communiste et auxquels il nie toute représentativité. Mais le reportage ne donne la parole à aucun élève…
Transcription
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