La longue bataille du droit à l’avortement
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Le reportage permet de replacer le droit à l’IVG dans le cadre des nouvelles luttes féministes dans les années 1960-1970, mais aussi de suivre la difficile mise en œuvre de cette législation émancipatrice.
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Date de publication du document :
08 déc. 2021
Date de diffusion :
06 nov. 1999
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Contexte historique
ParProfesseur agrégé d’histoire-géographie au collège Elsa Triolet à Thaon-les-Vosges
En novembre 1974, Simone Veil, ministre de la Santé du nouveau président de la République Valéry Giscard d’Estaing, présente à l’Assemblée nationale un projet de loi sur l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Promulguée en janvier 1975, la loi qui légalise et encadre la pratique de l’avortement divise profondément la droite française et, paradoxalement, c’est grâce à la quasi-totalité des votes des députés de gauche et du centre que ce texte est adopté. Son entrée en vigueur est prévue initialement pour une période de 5 ans, à titre expérimental. Parallèlement, Simone Veil présente une autre loi autorisant les centres de planning familial à délivrer aux mineures, à titre gratuit et anonyme, des contraceptifs sur prescription médicale, sans limite d'âge, complétant ainsi la loi Neuwirth (1967) qui réservait la contraception aux femmes majeures (21 ans).
Ces deux lois témoignent des profonds changements qui travaillent la société française depuis les années 1960 et de la politisation de nombreuses jeunes femmes nées au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Ces dernières n'inscrivent toutefois pas leurs pas dans ceux de la génération précédente, celle des suffragettes, bien au contraire. Il ne s’agit plus d’obtenir l’égalité des droits avec les hommes – à l’instar du plein exercice des droits politiques, de l’accès à l’université ou au monde du travail –, il s’agit de défendre le corps et la sexualité de la femme. Ces nouvelles militantes font entrer l’intimité des femmes dans l’arène publique et leurs combats s’appellent contraception, avortement et viol. Ce faisant, elles participent à un mouvement de fond qui secoue les sociétés occidentales depuis une décennie, remettant en question les hiérarchies traditionnelles comme les institutions (partis, syndicats, Églises, École...). Surtout, elles constituent le féminisme en mouvement et en pensée autonomes, notamment à l’Université, se dégageant de la tutelle des organisations d’extrême gauche, se singularisant dans la galaxie des combats politiques pour l’émancipation, à l’image de la National Organisation for Women née aux États-Unis en 1966 dans le sillage des droits civiques et de l’opposition à la guerre du Viêtnam, liée très tôt aux militantes françaises.
Dans la culture politique française, on associe ces féministes au Mouvement de libération de la femme. En réalité, ce nom de MLF est donné par la presse suite à l’action menée par neuf femmes qui, en 1970, déposent sur la tombe du soldat inconnu une banderole proclamant « Il y a plus inconnu que le soldat inconnu : sa femme ». Progressivement structuré, le MLF est actif au sein du Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception (MLAC), cartel d’organisations créé en 1973 qui regroupe de nombreux médecins. Il est présidé par l’avocate Monique Antoine qui, aux côtés de Gisèle Halimi, a plaidé lors du très médiatique procès de Bobigny en 1972. À cette occasion, une jeune fille de 16 ans qui a avorté est relaxée, de même que sa mère qui l’a aidée, l’avorteuse et les proches ayant permis de les mettre en relation. Le procès fait suite à la publication du Manifeste des 343 par lequel de nombreuses personnalités admettent avoir avorté (dont Simone de Beauvoir, Françoise Sagan et Catherine Deneuve) et il précède un nouveau manifeste, celui des 331 médecins dont René Frydman, qui déclarent publiquement avoir pratiqué des IVG. Pour les féministes, en défendant l’avortement libre et gratuit, il s’agit de mettre un terme à la loi de 1920 – révisée en 1923 – qui interdisait et réprimait la contraception et l'avortement, leur pratique comme la propagande en leur faveur, une loi nataliste qui visait à combler la saignée démographique consécutive à la Première Guerre mondiale.
L’adoption de la loi Veil ne signifie pas pour autant la clôture du débat. D’une part parce que, sur le terrain militant et médiatique, il faut compter avec des opposants, en particulier ceux de Laissez-les vivre, association pro-vie fondée en 1971 et dont le conseiller scientifique fut le généticien Jérôme Lejeune. D’autre part, la loi de 1975 était loin de répondre totalement aux problématiques de l’avortement. Après avoir été reconduite sans limite de temps en 1979, elle est complétée en 1982 pour en permettre le remboursement par la Sécurité sociale. En 1999, à la demande du gouvernement, le gynécologue obstétricien strasbourgeois Israël Nisand remet un rapport sur la situation de l’IVG dans lequel il craint une dégradation de la situation si sa pratique n’est pas intégrée normalement à l’activité quotidienne de tous les services publics. Suite à ses propositions, la législation allonge le délai de 10 à 12 semaines de grossesse, dispense les mineures d'autorisation obligatoire de leurs parents et facilite l'avortement médicamenteux. Cette même année 2001, Lucien Neuwirth dépose au Sénat un rapport sur les contraceptifs d’urgence.
Aujourd’hui, si la contraception et l’avortement semblent plus enracinés dans la société, il reste un combat qui n’a toujours pas trouvé son aboutissement : le viol et les violences physiques faites aux femmes.
Éclairage média
ParProfesseur agrégé d’histoire-géographie au collège Elsa Triolet à Thaon-les-Vosges
Le reportage est diffusé le 6 novembre 1999 lors du journal de France 3. Il est construit à partir d’images d’archives et suit une progression chronologique. Il s’ouvre sur deux clichés de manifestations de jeunes femmes, souvent souriantes, défilant sous des banderoles – dont l’une du MLAC – réclamant le libre accès et la gratuité de la contraception et de l’avortement. La traduction législative de ces revendications s’incarne dans des images de la loi n° 75-17 du 17 janvier 1975, mais surtout à travers des coupures de presse montrant Simone Veil défendant son texte à l’Assemblée nationale. Sur l’un des clichés, elle est assise sur le banc des ministres aux côtés de Jacques Chirac, chef du gouvernement, mais son regard fixe des députés hors champ, côté droit de l’Assemblée, autrement dit vers son propre camp politique ; toute la tension qui règne dans l’hémicycle se lit dans ses yeux.
À cette phase de construction de la loi succède une période de contestation. Il ne s’agit plus de photographies en noir et blanc de féministes dans les rues, mais de reportages télévisés en couleur montrant soit de calmes processions sous des panonceaux proclamant « L’embryon humain est une personne », soit des affrontements entre militants et forces de l’ordre. Il serait erroné de croire que la contestation pro-vie est postérieure à l’adoption de la loi Veil puisque le mouvement Laissez-les vivre est contemporain de l’émergence du MLF. Toutefois, les années 1990 sont marquées par l’émergence de commandos anti-IVG qui tentent de bloquer les services hospitaliers pratiquant l’avortement. Parmi les plus actifs, on compte les membres de l’association SOS tout-petits, fondée et présidée par l’embryologiste Xavier Dor. C’est d’ailleurs lui que l’on voit évacué d’un hôpital par quatre fonctionnaires de police.
La dernière partie du reportage s’attache à montrer la réaction des gouvernements face aux commandos anti-avortement. En 1993, elle aboutit à correctionnaliser les actions de ces derniers. En 1999, elle prend la figure du professeur Israël Nisand, auteur du rapport L’IVG en France. Propositions pour diminuer les difficultés que rencontrent les femmes. Lors d’une conférence de presse, Martine Aubry, ministre de l’Emploi et de la Solidarité, et Nicole Péry, secrétaire d'État aux Droits des femmes et à la Formation professionnelle, annoncent la traduction dans la loi de certaines propositions du gynécologue strasbourgeois.
Le reportage se clôt par une banderole déployée devant la façade d’un édifice et proclamant : « Le droit à l’avortement. La lutte continue ! ». À bien y regarder, on remarque sur la bannière la seule présence du symbole féminin. Pour autant, qu’on ne s’y trompe pas, le combat pour l’IVG et, d’une manière générale, celui des féministes, s’inscrivent dans évolution anthropologique plus large, celle qui promeut l’autonomie des individus, leur émancipation des cadres sociaux traditionnels, la libre affirmation de leur identité.
Transcription
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