La dissolution des Charbonnages de France : quelle mémoire en Lorraine ?
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Créés en 1946, les Charbonnages de France ont accompagné l’âge d’or puis la disparition du charbon français. Leur dissolution en décembre 2007 pose la question de la mémoire de la communauté des mineurs, de leurs valeurs comme du patrimoine bâti autour de la mine.
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Date de publication du document :
16 nov. 2022
Date de diffusion :
31 déc. 2007
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Contexte historique
ParProfesseur certifié d'histoire-géographie au collège François Legros de Reims
La rétrospective proposée le 31 décembre 2007 par France 3 Lorraine est l’occasion de revenir sur l’histoire des charbonnages français, en particulier après la Seconde Guerre mondiale.
Si l’exploitation du charbon est attestée en France depuis le XIIIe siècle, c’est surtout à la veille de Révolution française que l’on voit se mettre en place les premières grandes mines. Le XIXe siècle est bien sûr le siècle de l’industrialisation du pays, celle-ci reposant sur la possibilité de disposer d’une énergie de plus en plus abondante, bon marché et présente en de nombreux points du territoire. Le charbon français, qui fournit 98 % de l’énergie du pays en 1913, est issu des mines du Nord-Pas-de-Calais pour moitié, des nombreux gisements qui ceinturent le Massif Central (Montceau-les-Mines, Decazeville, Carmaux, ….) et de Lorraine, avec une première mine ouverte à Petite-Rosselle en 1856.
Cette région, qui dispose aussi de gisements de fer, se caractérise d’ailleurs par un effort de modernisation dans l’entre-deux-guerres, et comme ses veines sont plus faciles à exploiter, elle offre la meilleure productivité des régions minières, même si le Nord reste le plus gros producteur jusqu’aux années 1970.
A l’issue de la Seconde Guerre mondiale, les gouvernements successifs misent tous sur le charbon pour permettre une rapide reconstruction économique du pays, malgré les dégâts engendrés par le conflit. C’est le ministre communiste Maurice Thorez qui lance dès juillet 1945 la bataille du charbon
et en 1946, l’État cherche à mieux organiser la production en créant les Charbonnages de France. L’établissement public, créé dans un contexte inédit de nationalisation de tous les secteurs économiques jugés stratégiques, regroupe toutes les sociétés de charbonnages privées sous le contrôle de l’État. Les Charbonnages sont organisés selon les bassins, dont les Houillères du Bassin de Lorraine. Dans le même temps, le Statut du mineur est adopté, offrant une protection sociale et des avantages en nature au-delà de ce qu’offre l’Etat-providence naissant aux autres salariés, comme une contrepartie des risques (accidents et maladies) du métier de mineur.
Cette nouvelle organisation de l’activité permet d’atteindre les objectifs fixés par le Plan. En 1958, les Charbonnages produisent près de 60 millions de tonnes de charbon, une apogée qui clôt l’âge d’or des mines et des quelques 400 000 mineurs français.
En effet, dès le retour du général de Gaulle au pouvoir en 1958, les orientations énergétiques de la France annoncent le déclin charbonnier. La France a depuis longtemps développé son parc hydroélectrique (la « houille blanche »), se lance dans un programme nucléaire, les importations de gaz et surtout de pétrole sont croissantes. Le charbon français est cher et les importations augmentent pour couvrir les besoins à moindre coût, alors que dans le même temps que la Communauté européenne du charbon et de l’acier favorise la libre-circulation des produits entre les six Etats-membres et que les Français se tournent vers d’autres énergies plus faciles à utiliser. Le temps du monopole énergétique du charbon est passé. Dés 1960, le plan Jeanneney amorce la réduction de l’activité charbonnière en France et se mettent en place, notamment autour de la DATAR, les instruments d’une réorientation économique des bassins houillers, avec des projets d’industrialisation des régions concernées et de reconversion professionnelle des mineurs, tout recrutement étant terminé.
La crise économique des années 1970, avec l’explosion du prix du pétrole, puis l’arrivée au pouvoir de la Gauche en 1981, créent une période de sursaut de l’activité minière qui semble retrouver un avenir. Mais les réalités économiques l’emportent très vite et dès 1983, les Charbonnages de France entrent dans un déclin définitif de leurs activités minières, qui aboutit à la fermeture de la dernière mine de la Houve en avril 2004, et finalement leur dissolution au 31 décembre 2007.
Éclairage média
ParProfesseur certifié d'histoire-géographie au collège François Legros de Reims
Au soir de la dissolution des Charbonnages de France, le 31 décembre 2007, le journal régional de France 3 Lorraine consacre un reportage à cet événement, en l’observant à hauteur des hommes qui ont fait l’histoire des Houillères du Bassin de Lorraine. Quelle mémoire pour les hommes du charbon lorrain ?
Les journalistes ont fait le choix de ne pas proposer un traitement historique des Charbonnages, même si les grandes étapes de leur histoire sont présentes. Ils font l’hagiographie des mineurs et interrogent ce qui va rester du passé minier lorrain, en comparant cette mémoire à celle d’une autre activité emblématique et presque disparue de la Région dans des circonstances comparables : la sidérurgie. On soulignera que ce choix éditorial est forcément subjectif, en particulier quand il conduit à associer des valeurs positives à des épisodes de grande violence qui ont pu agiter les derniers soubresauts de la mine en Lorraine, notamment en 1993-1994. Mais il faut penser que le journal régional s’adresse à une population qui a toujours manifesté sa solidarité et son attachement au monde de la mine, et qui de ce fait, le reportage se fait l’écho de cette population. En contrepoint des images de violence, le reportage choisit d’ailleurs de montrer deux vertus des mineurs, leur solidarité et leur courage, dans le nettoyage des côtes de l’Atlantique souillées par le naufrage de l’Erika en janvier 2000. Enfin, soulignons que le reportage montre différents épisodes sans forcément donner tous les repères chronologiques et spatiaux aux téléspectateurs, mais là encore, on pensera qu’il s’adresse à une population informée.
Le reportage rappelle deux périodes majeures de l’histoire des Charbonnage : la bataille du charbon
menée dans les années 1950, et le pacte charbonnier de 1994. Deux événements que le journaliste relie en soulignant la place très particulière des mineurs dans la société française dont ils constituent, du fait de la difficulté et de la dangerosité de leur tâche, une sorte d’aristocratie ouvrière. Les mineurs ont fait l’objet d’une propagande très forte au moment de la bataille du charbon, menée par la CGT et le Parti communiste, traditionnellement très implantés dans le milieu minier. Or, en signant le pacte charbonnier en 1994, que la CGT refuse d’ailleurs, c’est l’arrêt de mort de la profession qui est acté, le pacte organisant la fin de carrière des derniers mineurs (maintien en activité jusqu’à la retraite ou reconversion) et celle de l’activité minière des Charbonnages (qui doit gérer la fermeture des derniers puits). C’est cette mort lente annoncée, à l’instar de celle des mineurs du Nord, que les mineurs interrogés dans le sujet refusent et qui explique manifestations et scènes de violence.
Les images d’archives montrent aussi que la mort des mineurs n’est pas que figurée. Plusieurs exemples d’accidents sont rapportés ici, en particulier celui du puits Simon en 1985 qui fait 22 morts. Les images permettent de prendre conscience de la dangerosité de ce métier si chèrement défendu par ces hommes, et aussi du poids de la mine dans la vie de chaque famille qui sait les risques et partage une solidarité de l’angoisse.
La question de la disparition, de la mort morale, est posée aussi en fin de reportage au travers de celle de la mémoire du monde minier. Le reportage prend l’exemple des installations sidérurgiques de la vallée de la Chiers à Longwy et du puits Reumaux à Merlebach, détruits à coups d’explosifs pour en supprimer la présence. Cette volonté de détruire les installations abandonnées est le plus souvent justifiée par la volonté de se tourner vers le futur. Mais cette mort des bâtiments, après celle de l’activité, le journaliste la craint en montrant que la carreau Wendel à Petite-Rosselle, qui ne bénéficie pas, à l’heure du reportage, des investissements nécessaires au maintien de la mémoire des mineurs. Il pose en cela la question de la mémoire et de la patrimonialisation du passé collectif lorrain.
Transcription
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