Conférence de presse du 28 octobre 1966

28 octobre 1966
01h 16m 01s
Réf. 00261

Notice

Résumé :

Conférence de presse tenue au palais de l'Elysée le 28 octobre 1966. Le général de Gaulle expose aux journalistes français et internationaux la position de la France sur les grands problèmes du moment.

Type de média :
Date de diffusion :
28 octobre 1966
Type de parole :

Éclairage

La guerre d'Algérie terminée, les conférences de presse du général de Gaulle ont désormais pour objet d'exposer à l'opinion française et à l'opinion internationale les vues de la France sur les grands problèmes du moment, sans que ceux-ci revêtent le caractère d'urgence nationale qu'avait revêtu la guerre dAlgérie. Chacune d'entre elles apparaît donc comme la réponse du Général aux grands débats nationaux et internationaux. La conférence de presse du 28 octobre 1966, convoquée trois semaines après l'ouverture de la session parlementaire et avant les élections législatives prévues en mars 1967 permet d'aborder plusieurs questions importantes.

-En premier lieu, la politique extérieure de la France que de Gaulle place sous le signe de l'indépendance par rapport à l'hégémonie américaine. Indépendance qu'il manifeste en critiquant la politique américaine au Vietnam pour lequel il préconise un retrait des troupes américaines et la neutralité du pays. Indépendance qu'il souhaite étendre au continent européen, soulignant les efforts accomplis par la France pour se réconcilier avec l'Allemagne, tout en regrettant que les liens trop étroits de celle-ci avec les Etats-Unis aient conduit à vider de toute substance le traité de coopération signé à l'Elysée le 22 janvier 1963. Et c'est au nom de l'allégeance de la Grande-Bretagne envers les Etats-Unis qu'il justifie le veto opposé par la France à l'entrée de celle-ci dans le Marché commun. Enfin, rappelant l'hostilité de la France à la supranationalité, il se félicite de l'issue de la crise européenne de 1965-66 qui s'est conclue par le droit pour un Etat de réclamer l'unanimité dès lors que ses intérêts nationaux sont en jeu dans une décision. C'est cette conception d'une Europe politique fondée sur la coopération d'Etats souverains qui reste le but de la France, les Etats-Unis se trouvant accusés d'avoir provoqué en avril 1962 l'échec du Plan Fouchet qui devait la mettre en oeuvre. Enfin, c'est cette même volonté d'indépendance qui explique le retrait de l'OTAN des forces armées françaises comme la création d'une force de dissuasion nucléaire autonome qui permet à la France d'assurer elle-même sa propre sécurité, sans aucune intention d'agression envers un autre Etat.

Interrogé sur le futur statut de la Côte française des Somalis, territoire d'outre-mer dans lequel le Général s'est rendu en août 1966 et où il a été accueilli par des pancartes réclamant l'indépendance du territoire, il en rappelle la division entre les ethnies rivales des Ifars et es Issas, les convoitises territoriales des voisins somaliens et éthiopiens, l'extrême pauvreté du territoire, uniquement comblée par l'aide de la France qui y a construit le port de Djibouti et a développé l'infrastructure et les services publics. Sur le plan politique, le territoire a choisi en 1958 de rester dans la Communauté. Aussi sans révéler le futur statut proposé par la France, a-t-il décidé que les Somaliens choisiront par référendum de demeurer associés à la France ou de choisir une indépendance qui signifiera le retrait total de l'aide et de l'appui français. Il aura lieu le 19 mars 1967 et les électeurs choisiront à une très large majorité le statut d'association avec la France.

-Le troisième thème évoqué porte sur les questions économiques et sociales. Après avoir écarté d'un revers de main une question sur la baisse de la Bourse en affirmant que "la politique de la France ne se fait pas à la corbeille", il s'attarde longuement sur le problème de la condition des travailleurs à travers l'"amendement Vallon", adopté par l'Assemblée nationale le 12 mai 1965 qui propose un projet de loi intéressant les travailleurs aux profits des entreprises. Incluant cette réforme dont il approuve l'esprit dans l'ensemble des mesures sociales adoptées depuis la libération et dans l'oeuvre de rénovation entreprise par la Vème République, il en renvoie cependant la mise en oeuvre à la prochaine législature, après les élections de 1967.

-Le général a gardé pour la fin la question sur les élections législatives dont il n'ignore pas que ses interlocuteurs brûlent de les lui poser. Se plaçant en "Chef de l'Etat" au-dessus des questions partisanes, il se contente de rappeler que l'oeuvre considérable de la Vème République dans tous les domaines n'a été possible que grâce à l'existence de majorités solides soutenant l'action gouvernementale et il ramène l'enjeu de l'élection à un choix entre la poursuite du progrès grâce à l'élection d'une majorité décidée à appuyer l'action du pouvoir ou le retour au régime des partis qui conduirait le pays à la paralysie et à la crise.

Serge Berstein

Transcription

(Silence)
Charles de Gaulle
Mesdames, Messieurs, je suis heureux de vous voir. Asseyons-nous. Pour ce qui concerne la France, je crois que ce que nous aurons à dire aujourd'hui n'est pas dramatique. Parce que, par contraste avec ce qui est arrivé souvent, et avec ce qui se passe dans beaucoup d'autres pays, la France actuellement ne vit pas de drame. Alors, c'est en toute sérénité que nous parlerons, si vous voulez bien, de la politique étrangère de la France, et de son action au dehors. Nous parlerons de Djibouti, nous parlerons de l'affaire sociale, et nous parlerons des élections. Et d'abord, je vais parler, si vous le voulez bien, de ce qui est la politique française en général. Dans le monde tel qu'il est, on a quelquefois légué les changements, les détours, les soi-disant changements et détours de l'action de la France au dehors. Et même il y en a qui ont parlé de contradiction ou de machiavélisme. Eh bien, cependant, je crois que si les circonstances changent autour de nous, en vérité, il n'y a rien de plus constant que la politique de la France. Cette politique en effet, à travers les vicissitudes très diverses que nous présentent notre temps et notre univers, cette politique tend essentiellement à ce que la France soit et demeure une Nation indépendante. Pourquoi ? Pour qu'elle joue son rôle à elle dans le monde. En vue de quoi ? En vue de l'équilibre, du progrès et de la paix. Cela ne veut pas dire, bien entendu, contrairement à ce que certains affirment, que nous voulions rester isolés et que jamais nous ne devions, nous ne voulions lier notre action à celle des autres. Bien au contraire, nous n'avons pas vécu aussi longtemps et aussi durement comme peuple au milieu des peuples, sans avoir appris que nos moyens ontu leurs limites, que notre géographie nous expose à de grands périls, que notre économie exige des échanges, que notre progrès est conjugué avec celui de l'humanité, que par conséquent, il nous faut nécessairement coopérer avec des partenaires. Mais l'indépendance, cela signifie que ce que nous jugeons bon de faire, et avec qui, nous en décidions nous-mêmes, sans que cela nous soit imposé par aucun autre Etat et par aucune collectivité. Il est vrai que parmi nos contemporains, il y a beaucoup d'esprits et souvent non des moindres, qui ont envisagé que la France renonçât à son indépendance, sous le couvert de tel ou tel ensemble international. Ayant ainsi remis à des organismes étrangers la responsabilité de notre destin, nos gouvernants n'auraient plus suivant l'expression consacrée par cette école de pensée, n'auraient plus qu'à y plaider le dossier de la France. Il faut dire que l'affaiblissement relatif que nous avons subi, que nous avions subi, à la suite des deux guerres avait l'air de donner un argument à ces champions de notre effacement. Et d'autre part il y avait des idéologues qui enrobaient l'abandon dans de plus ou moins séduisantes théories. Ainsi, certains s'exaltant au rêve de l'Internationale, voulaient-ils voir notre pays se placer, comme eux-mêmes se plaçaient, sous l'obédience de Moscou. Ainsi d'autres évoquant ou bien le mythe supranational ou bien le péril de l'Est, ou bien l'avantage que pourrait trouver l'Occident atlantique à unifier son économie, ou bien encore l'utilité grandiose d'un arbitrage universel, prétendaient-ils que la France laissât sa politique se fondre dans une Europe fabriquée tout exprès, sa défense dans l'OTAN, sa conception monétaire dans le fond de Washington, sa personnalité dans les Nations Unies etc. Certes, il est bon que ces institutions existent, et nous avons souvent avantage à en faire partie, mais si nous avions écouté leurs apôtres excessifs, ces organismes où prédominent, tout le monde le sait, la protection politique, la force militaire, la puissance économique, l'aide multiforme des Etats-Unis, ces organismes n'auraient été pour nous qu'une couverture pour notre soumission à l'hégémonie américaine. Ainsi la France disparaîtrait emportée par les chimères. Au contraire, pour ma part, qui ne le sait, je n'ai jamais cessé d'inciter notre pays à assumer son indépendance. Et c'est cela qui fait l'unité d'une politique, depuis l'origine, d'une politique qui est devenue par la volonté du peuple, celle de la République. On ne voit pas d'ailleurs que la France et le monde s'en trouvent mal. Et même il semble que ce que nous entreprenons au dehors et les attitudes que nous prenons sont en définitive utiles à tous. Et notamment à nos amis américains. Par exemple ce que nous disons et faisons pour le Viêt-Nam ou pour l'Europe, ou pour l'OTAN, ou pour la monnaie, je pense très sincèrement qu'ils auraient avantage à le vouloir et à le faire eux-mêmes. Je vous dirais d'abord que nous sommes certains qu'il n'y a pas de victoire militaire qui puisse permettre aux américains de soumettre les vietnamiens. Et nous ne croyons pas davantage à la possibilité pour ceux-ci de détruire les forces des Etats-Unis. Alors nous ne proposons aucune espèce de médiation que personne n'accueillerait et qui n'aboutirait à rien. Cela n'empêche pas que nous trouvions absolument détestable le fait qu'un petit peuple soit bombardé par un très grand. Et nous ne trouvons pas moins détestable les pertes subies par les soldats des deux côtés. Mais enfin nous ne formulons pas de plan de paix, pour cette bonne raison qu'actuellement la paix est impossible. Cela n'empêche pas que nous indiquons aussi clairement que possible quelles sont à notre avis les conditions qui pourraient permettre un jour de négocier pour faire cesser la guerre. Ces conditions que nous avons formulées à Phnom-Pehn et puis ensuite à l'assemblée générale des Nation Unies à New York, ces conditions, elles dépendent en vérité de la décision des américains. Il s'agirait pour eux d'observer le principe suivant lequel chaque peuple, quel qu'il soit, doit régler lui-même ses affaires à sa façon et par ses propres moyens. Il s'agirait que les américains appliquent ces principes au peuple vietnamien. Il s'agirait par conséquent qu'ils ramènent en Amérique les forces que peu à peu ils ont amenées au Viêt-Nam après le départ des nôtres. Il faudrait aussi qu'ils adoptent comme base d'un futur règlement la neutralité réelle et réellement contrôlée du sud-est asiatique et l'aide à lui apporter pour qu'il puisse réparer ses ruines et reprendre son développement. Enfin il faudrait que les américains reconnaissent qu'en Asie aucun accord, aucun traité important n'est valable sans la participation de la Chine et qu'ils en tirent les conclusions quant aux relations à établir avec ce grand Etat et quant à la place qui lui revient aux Nation Unies. Il est vrai que la politique et l'opinion américaine ne sont pas en ce moment, c'est le moins que l'on puisse dire, orientées dans ce sens, et que du coup la position prise par la France à ce sujet heurte beaucoup d'esprits sur l'autre rive de l'Atlantique. Mais nous nous y tenons, nous, pourtant. Parce que nous sommes convaincus qu'il n'y a pas d'autres solutions concevables pour ce conflit, s'il doit rester local. Et aussi parce que les américains prestigieux, puissants, prospères comme ils le sont, auraient suivant nous, moralement et matériellement tout avantage à faire en sorte que la paix fût possible grâce à eux et de cette façon. Et d'ailleurs en se prolongeant, que peut leur apporter la guerre ? Sinon des charges et des inconvénients croissants, sans aucune compensation dans le domaine idéologique. Et même si, en la cessant, la suite politique sur place ne devait pas être celle qu'ils auraient souhaitée, voilà ce que nous pensons du sujet. Si nous en parlons aussi nettement, c'est comme des gens qui ont donné l'exemple naguère en Algérie, en prenant sur eux. Et croyez-moi, c'était méritoire, en prenant sur eux, d'y laisser la place à la paix. Nous le faisons aussi, étant donné que nous sommes parmi les peuples d'Occident celui qui sans doute a le plus d'attachement pour les peuples d'Indochine. Et enfin nous le faisons à cause de notre amitié pour l'Amérique, amitié qui depuis le début nous a amené sans cesse à tâcher de la détourner de cette funeste entreprise. Voilà ce que je puis dire et ce que je veux dire sur la question du Viêt-Nam. Eh !bien la conception que nous avons de l'Europe et l'action que nous y menons sont naturellement les nôtres. Mais elles ne sont dirigées contre personne. Et même nous pensons qu'elles peuvent être utiles à tout le monde. Il est vrai que leur fondement c'est l'Europe telle qu'elle est et non pas telle qu'on a pu se figurer qu'elle était et qu'elle n'est pas. Il est vrai aussi que ce que nous tâchons d'y faire vise à servir ses intérêts à elle et non pas des intérêts qui lui soient extérieurs. Et puis nous croyons que notre continent doit par lui-même, d'un bout à l'autre de son territoire, organiser la détente, l'entente et puis la coopération. Mais nous pensons qu'il n'y a rien là qui doive en définitive contrarier l'intérêt de personne et telle est l'inspiration de notre politique européenne, qu'il s'agisse de nos rapports avec l'Allemagne, notre ennemi d'hier, ou bien qu'il s'agisse de nos efforts pour que s'organise un groupement économique et peut-être un jour, politique, des six, ou bien de ce que faisons pour nous accorder et nous associer avec les pays de l'Est. Pour ce qui est de l'Allemagne, en dépit des pertes terribles qu'elle nous avait infligées, les guerres entamées et déclenchées par le premier Reich et puis par le troisième Reich, nous lui avons offert une franche réconciliation. Et j'ai moi-même parcouru ses villes, ses usines, ses campagnes, pour le crier à son peuple au nom de la France, de la France de toujours. Nous avons même été, il y aura bientôt quatre ans, nous avons même été jusqu'à conclure avec la République Fédérale, et à sa demande, un traité qui aurait pu servir de base à une coopération particulière des deux pays dans les domaines de la politique, de l'économie, de la culture et de la défense. Ce n'est pas notre fait si les liens préférentiels contractés et sans cesse développés par Bonn avec Washington ont privé d'inspiration et de substance cet accord franco-allemand. Il est bien possible que de ce fait, nos voisins d'outre-Rhin aient perdu quelques occasions quant à ce qu'aurait pu être l'action commune des deux Nations. Parce que pendant qu'ils appliquaient non pas notre traité bilatéral mais le préambule unilatéral qui en changeait tout le sens et qu'eux-mêmes y avaient ajouté, les événements marchaient ailleurs et notamment à l'Est, et même peut-être à Washington, Brouillant les données du jeu telles qu'elles étaient au départ. Cependant, nous ne sommes revenus ni sur l'oubli de nos griefs ni sur la pratique de rapports cordiaux avec l'Allemagne Fédérale. Et même tout en conservant, là comme ailleurs, l'entière disposition de nos forces, nous consentons à maintenir pour le moment sur son territoire une force militaire importante qui bien évidemment y concourt à sa sécurité, que nous en retirerions dès qu'elle viendrait à nous le demander, et pour laquelle, par opposition avec ses autres alliés, nous ne lui demandons aucune compensation financière. En somme, vis-à-vis de l'Allemagne, qu'aurions-nous pu raisonnablement faire de plus méritoire et de plus accommodant ? D'autre part, la Communauté Economique Européenne, le Marché Commun des six, s'il a pu être organisé, ça a été avec la participation très active de la France. Je ne parle pas seulement de la contribution inlassable apportée à la construction de l'édifice par nos ministres et par nos experts, mais je veux souligner qu'à plusieurs reprises, c'est la netteté et la fermeté de l'action des pouvoirs publics français qui a empêché l'entreprise de s'égarer dans des voies qui n'avaient pas d'issue. C'est ainsi qu'en 1963, nous avons été amenés à mettre un terme aux négociations engagées à Bruxelles par l'Angleterre pour entrer dans l'organisation. Non pas certes que nous désespérions de voir jamais ce grand peuple insulaire unir vraiment son destin à celui du continent, mais le fait est qu'il n'était pas alors en mesure d'appliquer les règles communes, Et qu'il venait à Nassau d'attester une allégeance extérieure à une Europe qui en serait une. Ce fut le cas de nouveau en 1965 lorsque nous dûmes interrompre les entretiens à Bruxelles, entretiens qui paraissaient être sur le point d'aboutir mais qui n'aboutissaient pas. Parce qu'au moment décisif, on remettait en cause l'achèvement du marché commun agricole, lequel nous était nécessaire, et qu'en outre on réclamait de nous un grave abandon de souveraineté. Eh ! bien, l'attitude que nous avons prise alors, malgré certains remous, cette attitude a été en définitive salutaire, éminemment salutaire, puisqu'elle a contribué à la décision prise par les six de régler, d'achever cette année tous les règlements essentiels concernant l'agriculture et qui étaient restés jusqu'alors en suspens, et aussi à prendre acte du fait que pour revenir sur ce qui avait été décidé, il faudrait l'unanimité des membres, autrement dit l'aval de la France. Mais on le voit, en servant ses propres intérêts, la France a servi ceux de la communauté, ne fût-ce qu'en la sauvegardant, quand elle risquait d'échouer. Il est vrai que cette communauté économique des six, pour qu'elle soit durable et qu'elle puisse aller en se développant, elle implique une coopération politique de ses membres. Eh ! bien cette coopération, nous n'avons jamais cessé de la proposer. Nous avons proposé qu'elle s'organise progressivement à une seule condition : c'est qu'elle définisse et qu'elle suive une politique qui soit européenne. Et qu'elle ne se borne pas par principe et nécessairement à se conformer à une politique qui ne l'est pas. C'est cette condition qui a empêché, jusqu'à présent, le plan français d'être adopté bien qu'aucun autre n'ait été formulé. Et pourtant, il ne peut y avoir d'avenir à ce concert politique par une autre voie que celle que nous avons indiquée. Du reste, même si un jour, le concert politique des six s'ajoutait à leur groupement économique, rien encore ne serait fait de fondamentalement valable pour ce qui est de l'Europe, tant que ces pays de l'Ouest et ces pays de l'Est ne se seront pas accordés. On sait quelle initiative a prise la France à cet égard, initiative qu'a illustré le voyage que j'ai eu l'honneur de faire en Russie l'été dernier, voyage auquel vont fort heureusement répondre les visites des dirigeants de l'Union Soviétique. On sait aussi quelle rapidité et quelle étendue marquent les progrès qui ont déjà été accomplis, et on sait quelles perspectives vraiment amples et vraiment fécondes ouvrent les accords économiques, culturels, techniques et scientifiques qu'ont conclus les deux pays. Et d'autre part nul n'ignore que nous sommes en train de renouveler profondément nos rapports avec la Pologne, la Roumanie, la Yougoslavie, la Tchécoslovaquie, la Bulgarie, la Hongrie. Entre tous ces peuples et le nôtre, aujourd'hui la guerre froide apparaît comme dérisoire, tandis que s'organise une grandissante et amicale coopération. Si comme nous le croyons, l'intérêt de tous, y compris celui de l'Amérique, est dans l'équilibre, le progrès et la paix de l'univers, comment pourrait-on nier qu'en nous efforçant de les établir en Europe nous sommes utiles à tout le monde ? Beaucoup croyaient impossible, il y en a même qui disaient que c'était ridicule ou bien dangereux pour notre sécurité, ou bien de nature à compromettre notre situation internationale, le fait que la France recouvrerait son indépendance en matière de défense. Elle le fait pourtant bel et bien. Et on ne voit pas jusqu'à présent quel drame cela a pu entraîner. Dès à présent, bien que l'Alliance Atlantique demeure telle que nous l'avons conclue en 1949, il ne subsiste pour nous aucune subordination ni actuelle ni éventuelle de nos forces à une autorité étrangère. Dans cinq mois, aucun Etat-major, aucune unité, aucune base, aucune armée alliée ne resteront sur notre territoire. Les militaires, les matériels, les navires, les avions qui souhaiteront passer par chez nous le feront en vertu d'une autorisation que nous leur donnerons, cas par cas, et pour le temps limité ils seront en France, dans nos zones, dans notre ciel, eh ! bien ils défèreront aux ordres du commandement français. En même temps, nous faisons notre force atomique. La capacité de cette force, dès l'année prochaine dépassera plusieurs milliers de kilotonnes, et elle dépassera les cent mille dès lors que dans les quatre ans, elle sera devenue thermonucléaire. Et en même temps, nous rendons leur caractère complètement national à nos armées de terre, de mer, de l'air en fait de commandement, d'opérations, de formation, le tout en les modernisant à tous égards et en les dotant de matériel fabriqué chez nous ou pour certains avec la participation d'un autre pays d'Europe. On ne voit pas que le pays en soit ruiné, puisque par rapport à son budget total, il ne dépense pas plus qu'il ne dépensait avant. On ne voit pas non plus qu'il soit plus menacé, personne ne croit que le danger d'invasion grandisse. Et on ne voit que nous en soyons déconsidérés, car bien au contraire, tous les jours, partout, tous les signes démontrent l'impression salutaire que produit la réapparition de la France au rang des grandes puissances. Et d'ailleurs c'est là le fond de la question. Une situation internationale, une situation mondiale dans laquelle deux super Etats auraient seuls les armes susceptibles d'anéantir tout autre pays, possèderaient seuls les moyens par la dissuasion, les moyens d'assurer leur propre sécurité, tiendraient seuls tout leur obédience, chacun son camp de peuples engagés. Cette situation, à la longue, ne pourrait que paralyser et stériliser le reste de l'univers, placé ou bien sous le coup d'une concurrence écrasante, ou bien sous le joug d'une double hégémonie qui serait convenue entre les deux rivaux. Dans ces conditions, comment l'Europe pourrait-elle s'unir, l'Amérique latine se révéler, l'Afrique suivre sa propre route, la Chine trouver sa place et les Nations Unies devenir quelque chose qui ait une réelle efficacité ? Puisque l'Amérique et l'Union Soviétique ne détruisent pas leurs armes absolues, il fallait rompre le charme. Nous l'avons rompu, nous le rompons, en ce qui nous concerne, et nous, par nos seuls moyens. Alors, l'accession de la France à la puissance atomique et son accession à son indépendance en matière de défense sont pour elle désormais une garantie essentielle et sans précédent de sa sécurité propre. Mais aussi, comme nous n'avons aucune ambition de nous étendre au-delà du territoire où nous sommes souverains, et comme nos frontières actuelles nous suffisent à nous, comme nous ne prétendons nous ni convertir ni dominer idéologiquement, politiquement ou économiquement personne, Comme nous ne serions entraînés dans aucun conflit dont nous n'aurions pas voulu, il n'y a pas un peuple au monde qui puisse se sentir menacé par le fait que nos mains sont libres et que notre force acquiert les suprêmes moyens. Bien mieux, je dis qu'il y a là au milieu de l'univers un fait nouveau et libérateur, parce qu'il est de nature à atténuer la tension posée dans le monde par l'opposition permanente des deux camps groupés autour des deux rivaux. Dès lors que la France rompt cette étouffante rigidité, du même coup, on verra et on voit déjà s'estomper le jeu constamment et gravement dangereux qui s'appelle la guerre froide. Et qui donc pourrait le regretter ? Voilà ce que je pouvais dire sur l'ensemble de notre politique étrangère, en espérant que vous en tirerez les mêmes conclusions que moi, à savoir qu'elle est bonne pour tout le monde. Je vais vous répondre sur Djibouti, je ne vous parlerai pas spécifiquement du statut pour une raison que vous comprenez très bien, c'est que jusqu'à présent, notre gouvernement n'a pas encore décidé de la formulation du décret dans lequel ce statut sera indiqué. C'est pourquoi je n'en parlerai pas explicitement, mais je vais vous en dire assez pour que vous compreniez quelle est la politique de la France au sujet de son territoire d'outre-mer qui est la Côte française des Somalis. Qu'est-ce que c'est que la Côte française des Somalis, c'est une contrée de vingt trois mille kilomètres carrés avec environ quatre-vingt mille habitants, qui est à la Corne de l'Afrique orientale, là où se joignent la Mer Rouge et l'Océan Indien. C'est un pays au climat torride, presque sans eau, qui n'a comme ressource naturelle que la maigre végétation dont peuvent subsister les nomades, ou bien la pêche et la navigation qui font vivre quelques vaillants. Et d'autre part, la population est divisée en deux communautés très différentes et très souvent opposées, les Afars et les Issas. Ceux-ci, les Issas, d'origine somalienne. Sans compter nombre d'arabes. L'Ethiopie et la Somalie l'enveloppent complètement, ce territoire, le considèrent chacune de son côté comme une enclave implantée dans ce qui devrait être son propre domaine, et l'épient le long d'une frontière qui a 530 kilomètres et qui n'est une ligne sur le sable dans cette terre vraiment dépourvue et vraiment menacée. Qu'a fait, que fait la France ? Eh ! bien d'abord, elle a donné à ses habitants un moyen d'existence collectif, en créant de toutes pièces le port moderne de Djibouti. Ayant à partir de là construit une extraordinaire voie ferrée qui va jusqu'à Addis-Abeba, elle a fait du port le débouché principal de l'Ethiopie. Comme en outre il y a beaucoup de bateaux de tous les pays du monde qui passent en Mer Rouge et qui viennent faire escale à Djibouti, il se produit une activité commerciale importante et qui profite au budget local et qui profite aux habitants. Car le port qui ne cesse de se développer, puisqu'en 1966 son trafic aura été d'environ seize millions de tonnes, et qu'on comptait qu'en 1967, s'il n'y avait pas eu les incidents qui ont eu lieu récemment et qui hypothèquent plus ou moins l'avenir, ce trafic aurait monté à dix-huit millions de tonnes, c'est ce qu'on appréciait. Et il aurait grandi encore plus après, étant donné l'incertitude où se trouve Aden de l'autre côté de la Mer Rouge. Je répète que ce port procure au territoire l'essentiel de ses ressources propres, ainsi, je le répète, que l'activité commerciale qui s'y produit et d'autant plus que la France n'y lève aucun impôt, que la France a remis le port au territoire, tout en continuant de l'entretenir et de l'étendre. Et comme le port est franc, alors vous voyez qu'il y a quelques moyens d'exister dans cette terre si dépourvue. Mais ce n'est pas là le seul concours que la France apporte à la vie et au progrès des populations. Par la voie des subventions budgétaires, par celle du fond de développement économique et social, par la présence d'ingénieurs, de médecins, de professeurs, de techniciens, elle fait accéder à la civilisation moderne des hommes qui sans cela végèteraient dans de bien difficiles conditions. C'est ainsi, tout en sachant qu'il y encore des progrès à faire à cet égard, c'est ainsi que les écoles primaires publiques et privées accueillent cette année cinq mille élèves, que le lycée, que le collège technique, le collège secondaire privé en reçoivent un millier, que la radio fonctionne, que les hôpitaux modernes traitent en moyenne douze mille malades par an, qu'une prophylaxie méthodique y a réduit des quatre cinquièmes les maladies endémiques qui ravageaient la population. Et que dans le bled désolé, le forage de points d'eau continue à grands frais, mais avec des résultats appréciables. En outre, l'armée française détache à Djibouti les forces voulues pour assurer la sécurité du territoire dans une région du monde où ce territoire est très exposé. D'autant plus que cette région du monde est très instable et très agitée. Bref, en 1966, c'est cent vingt millions de francs nouveaux que la France aura consacrée à la Côte des Somalis. Et elle se disposait à en consacrer cent cinquante millions l'année prochaine. Vraiment je ne crois pas que nulle part l'aide économique et sociale, c'est-à-dire l'oeuvre humaine de la France, ait été plus désintéressée. Elle le fait jusqu'à présent de grand coeur, en raison de l'affection et de l'estime qu'elle porte à une population très méritante et qui lui a donné depuis longtemps toute sorte de marques de son attachement. Et moi je ne peux pas oublier en particulier le vaillant bataillon Somali que la France libre avait recruté et qui s'est illustré lors de la libération de la France, notamment à la prise de Royan. Et cependant, quand les 25 et 26 août derniers, le président de la république est venu, au nom de la France, rendre visite à la ville de Djibouti, il a été accueilli tout au long de son parcours par beaucoup, beaucoup d'inscriptions et de cris : « indépendance ». Ce jour-là et les jours suivants, sur le même thème, se sont produites dans beaucoup de quartiers des échauffourées violentes. Cependant, on doit savoir qu'après l'adoption de la constitution de 1958, laquelle constitution avait été votée par la Côte française des Somalis à une énorme majorité, le territoire avait eu la possibilité de décider de son destin. Et l'assemblée élue avait à l'unanimité choisi le statut de territoire de la République française, moyennant l'engagement pris par le gouvernement que les modalités pourraient en être modifiées le cas échéant. Ce que d'ailleurs la constitution prévoit d'une manière explicite. Et cependant je le répète, lors de mon passage, la question a été posée d'une manière qu'on peut qualifier de pressante et de bruyante. Eh ! bien, soit, mais alors il faut savoir à quoi s'en tenir. La France, étant donné les charges qu'elle porte, entend savoir si la Côte des Somalis veut rester avec elle ou non. Elle va donc le lui demander et dans un délai suffisant pour que les citoyens aient le temps de se décider en toute connaissance de cause. Si la réponse était négative, alors évidemment la France retirerait du territoire ses représentants, son aide et ses forces. Et laisserait ceux qui invitent la population à réclamer l'indépendance en assumer les responsabilités. Il est vrai que parmi ceux-là, certains semble-t-il imaginent que la séparation étant choisie, et le territoire devenant soi-disant un Etat souverain, la France qui n'aurait plus à s'en mêler continuerait cependant de pourvoir aux dépenses et au besoin d'engager ses troupes pour empêcher les voisins d'entrer. Il convient de dissiper cette dérisoire illusion. Car la France n'engagerait certainement pas ses moyens et ses soldats pour soutenir inutilement une apparence d'Etat que le faible nombre et la division de sa population, la médiocrité de ses ressources, l'infirmité de ses frontières, les visées de ses voisins, l'Ethiopie et la Somalie qui par rapport à ce futur Etat ou soi-disant futur Etat seraient des colosses, et aussi étant donné tous les appels qui de l'intérieur seraient adressés continuellement à l'un ou à l'autre, étant donné enfin la situation de la région du monde où le territoire se trouve et qui est très agitée comme je l'ai dit tout à l'heure, cet Etat serait pratiquement inviable. Si au contraire la réponse set positive, alors la France continuera de tenir la Côte des Somalis, la République française continuera de tenir la Côte des Somalis comme étant liée à son propre destin. Elle continuera de lui fournir l'aide et la protection qu'elle doit à ceux qui font partie d'elle-même. Elle continuera d'y ménager peu à peu une formation humaine, une ascension économique, une promotion sociale, un rayonnement extérieur qui sont possibles avec son concours, étant donné, comme elle l'a plusieurs fois affirmé, et comme moi vous l'avez rappelé tout à l'heure, je l'ai déclaré à Djibouti à l'assemblée territoriale le 26 août dernier, étant donné que les conditions du gouvernement et de l'administration internes doivent évoluer, compte tenu du développement. Voilà pour Djibouti. Depuis l'avènement de la civilisation industrielle moderne, la vie de la France et notamment l'épreuve des deux guerres ont mis en lumière les causes qui entravaient l'essor de notre pays, qui l'affaiblissaient par rapport à d'autres et qui répandaient parmi les Français le sentiment d'un déclin national. C'étaient ce que les politiques, les techniciens, la presse appelaient « les grands problèmes », dont on discutait indéfiniment sans toutefois jamais les résoudre. Or voici, qu'ayant tranché presque tous ces noeuds gordiens, l'avenir nous est rouvert. C'est ainsi qu'après une période de confusion qui a duré plusieurs générations, nous avons doté notre pays d'institutions qui font de lui maintenant un modèle de stabilité et d'efficacité quant à son système politique. C'est ainsi que la natalité, qui depuis le second empire n'avait pas cessé de se réduire, au point qu'elle était dépassée par la mortalité, la natalité s'est relevée d'une manière durable et notable, notamment à cause des mesures prises dans ce but lors de la Libération. C'est ainsi qu'ayant pendant plus d'un demi-siècle tenu notre industrie derrière un mur protectionniste, nous avons maintenant par le plan, l'emploi du crédit, le Marché Commun, etc, dirigé notre industrie vers la productivité, la recherche, la concentration, pour qu'elle devienne compétitive. Et en même temps nous avons assuré le destin de notre agriculture, compte tenu de l'immense mutation qui a porté la masse paysanne à quitter les champs pour chercher les usines. C'est ainsi qu'après des décades d'inflation et de crise monétaire, nous avons fait du Franc français une des monnaies les plus solides du monde. C'est ainsi que pour donner ses chances à notre jeunesse et élargir à sa dimension nos ressources humaines, nous avons donné à l'éducation nationale l'extension, l'organisation, les moyens proportionnés à cette tâche capitale, alors qu'elle risquait d'étouffer à force de tergiversation, d'insuffisance et de retard accumulé depuis des lustres. C'est ainsi que pour en finir avec de stériles et coûteuses expéditions, nous avons décolonisé délibérément des peuples qui voulaient être affranchis et remplacé à leur égard notre administration directe par une amicale et féconde coopération. C'est ainsi que nous arrachant aux mythes du renoncement national, nous avons repris notre indépendance dans le domaine politique et dans celui de la défense, que nous dotons des moyens voulus, pour dissuader toute agression de n'importe quelle puissance. Pour mener à bien chaque partie de cette vaste transformation, il nous fallu le temps d'en faire mûrir et d'en réunir les éléments psychologiques et matériels, et les réalisations n'ont pas eu lieu du jour au lendemain. Eh ! bien, il reste devant nous une question essentielle au premier chef. Comme elle est profondément humaine, économique et nationale, celle-là aussi commande notre avenir. Il s'agit de la condition des travailleurs au sein de l'activité économique dont ils font partie, que ce soit au niveau de l'industrie ou au niveau de la Nation. Je vais en parler, j'en parle, sans me lancer dans des considérations idéologiques ou doctrinales ni dans des déclarations émouvantes et grandiloquentes auquel le sujet se prêterait trop bien. C'est posément et me plaçant sur le seul terrain de l'intérêt général que j'évoquerai le problème aujourd'hui. A vrai dire on ne peut pas méconnaître qu'en ce qui concerne le niveau de vie et la sécurité des travailleurs, des choses importantes ont été faites déjà. La rémunération moyenne de chaque catégorie sociale s'élève à mesure de notre industrialisation. La sécurité sociale et les allocations familiales qui ont été créées par le gouvernement de la Libération, ont fortement atténué les angoisses, que la misère et la vieillesse, la maladie, l'infirmité, le chômage, Ou bien la naissance des enfants, ou les soucis immédiats des parents à leur sujet, suscitaient naguère parmi tant et tant de gens, et la dignité de chacun et de chacune y a certainement trouvé son compte. D'autre part, bien qu'il y ait encore et qu'il y aura toujours beaucoup à faire pour le logement, l'aménagement des villes, des villages, des habitations, les hôpitaux, les maisons de retraite, l'organisation des loisirs etc. Il est clair que tout le monde maintenant tire quelque avantage de l'équipement social que nous développons d'un bout à l'autre du territoire. Mais il n'y a là qu'une participation passive d'un grand nombre pour un grand nombre, une participation passive à nos progrès collectifs. Le changement qu'il faut apporter à la condition ouvrière, c'est l'association active du travail à l'oeuvre économique qu'il contribue à accomplir. Je sais bien qu'à cet égard-là aussi, dans cette voie-là aussi, quelques pas ont déjà été franchis. Bien que la réalisation n'en soit encore qu'à ses débuts, on peut même dire que le cap du principe et maintenant dépassé. C'est quelque chose en effet que d'avoir en 1945 institué les comités d'entreprise. C'est quelque chose que d'avoir par une loi de 1964 étendu leurs attributions. C'est quelque chose que d'avoir par une ordonnance de 1959 incité matériellement les entreprises à intéresser le personnel au bénéfice, au capital et à la productivité. C'est quelque chose d'avoir prévu dans la loi tout récemment que les travailleurs, dans certains cas, auront droit à une part capitalisée des plus-values du capital. Mais à l'échelon de la Nation aussi, c'est quelque chose que d'avoir inauguré la politique des revenus avec le cinquième plan, politique par laquelle les salaires s'élèvent en moyenne en même temps que le produit économique global. Je ne dis pas au même niveau ni à la même vitesse, je dis en même temps. Et vous savez ce que veux dire. Car il y a tous les prélèvements à faire subir pour toutes espèces de raisons qui font que le taux de l'un et le taux de l'autre ne peuvent pas être rigoureusement égaux. C'est quelque chose aussi, à l'échelon de la Nation, que d'avoir introduit les syndicats dans les instances qui élaborent les données économiques et sociales de la politique de l'Etat. C'est quelque chose que d'avoir organisé l'éducation nationale de telle sorte que désormais tous les enfants de France auront leurs chances complètes dans les études, depuis le début jusqu'à la fin. Mais il reste à fixer les voies et les moyens par lesquels, légalement, la part des travailleurs et du même coup leur responsabilité dans les progrès des entreprises seront définies étant donné qu'ils y ont participé, qu'ils y participent par leurs efforts et par leurs capacités. Il va de soi qu'une réforme pareille, qui consiste à bâtir ou plus exactement à achever un support nouveau de notre édifice économique et social, cette réforme ne saurait ébranler les deux autres piliers qui sont l'investissement nécessaire des capitaux pour l'équipement des entreprises, et d'autre part l'initiative et l'autorité de ceux qui ont à les diriger. Il va de soi, du même coup, que cette réforme comporte elle aussi à son tour des études, des choix et des délais. Mais il faut la vouloir, la décider et la déclencher. Voilà pourquoi j'ai dit aujourd'hui à ce sujet ce que j'avais à en dire. Voilà ce qui sera, au cours de la prochaine législature, entrepris par le président, le gouvernement et le parlement de la République. Il faut dire quelque chose des élections, je pense que ça vous préoccupe quelque peu. Mais si vous voulez bien, j'en parlerai quant à la portée qu'elles peuvent avoir sur le domaine, sur un des domaines que la constitution attribue au chef de l'Etat et qui est la permanence des institutions et le fonctionnement régulier des pouvoirs publics. Je fais observer que c'est la troisième fois, qui ne le sait, que depuis la fondation de la République nouvelle, on va procéder à des élections générales. Compte tenu des quatre référendums et des élections présidentielles au suffrage universel, jamais les Français n'ont eu plus souvent, plus directement, plus complètement à décider de l'ensemble de leurs affaires. Ils n'ont jamais eu si souvent, si directement, si complètement l'occasion. Autrement dit, aucun régime, à beaucoup près, n'a été aussi démocratique que celui qui fut fondé en 1958. Cependant les élections législatives prochaines auront pour notre pays une importance considérable. Parce qu'il s'agit de savoir si la France va normalement continuer sa marche en avant, ou risquer de retomber dans le marasme d'antan. C'est là en réalité l'enjeu des élections prochaines. J'ai dit que la question se pose parce que, s'il s'est trouvé que depuis l'adoption de la constitution par le peuple, vote qui avait marqué la volonté massive de la Nation, si le courant national que cela avait indiqué avait pu dès les élections de 1958 commencer à surmonter les barrières que localement, les habitudes, les partis, les journaux opposaient à la rénovation, si en 1962 les élections avaient fortement accentué cette transformation, malgré tout ce qui était évident, on n'est pas sûr que les leçons en ont été tirées d'une manière complète par l'ensemble des citoyens. Les choses ne vont pas toujours très vite dans ces matières. En tous cas, le fait est qu'après les élections de 1958 et surtout celles de 1962, il existait à l'assemblée nationale une majorité constante et positive. C'était un fait essentiel, et qui ne s'était jamais produit. De là alors était possible une collaboration cordiale, constante, féconde, entre le parlement et le gouvernement. Laquelle collaboration aidait puissamment la République à vouloir et à agir avec une continuité et une efficacité que de mémoire d'homme notre pays n'avait jamais connues. D'autre part, il faut reconnaître que depuis huit ans, la valeur, l'étendue, la cohérence de l'oeuvre législative sont saisissantes et tout à fait conformes aux conditions d'une époque qui exige la rénovation mais qui exclut la confusion. On peut espérer que ces évidences seront reconnues plus largement encore qu'elles ne paraissent l'être, et en particulier dans beaucoup de vos colonnes. Et qu'on verra se rallier à la cinquième république des hommes qui jusqu'à présent s'en tenaient éloignés. Mais si les élections législatives devaient, numériquement parlant, mettre les partis en mesure de tenter de reprendre au parlement les jeux stériles qui sont inéluctablement les leurs, de plonger de nouveau les pouvoirs publics dans une confusion chronique, de rejeter la Nation dans l'impuissance où naguère ils l'avaient enfouie, alors il serait aisé de prévoir à quels risques serait une fois de plus exposée la Nation. En effet si on voit très bien que les quatre ou cinq formations qui sont à la fois opposées à notre régime et opposées les unes aux autres, pourraient numériquement parlant avoir la possibilité de faire entrer à l'assemblée nationale une majorité de députés hostiles à la cinquième république, si on voit très bien que cette majorité négative pourrait censurer successivement tous les ministères et entraver le fonctionnement des pouvoirs, on ne voit pas du tout comment on pourrait y trouver la base et le soutien d'un gouvernement qui en soit un. Cela est vrai de chacune de ces quatre ou cinq fractions dont j'ai parlé, car aucune d'entre elle n'a aucune espèce de chance d'enlever un nombre assez grand de sièges, d'obtenir de ses membres et même de ses chefs une discipline assez solide, de disposer dans le pays d'une confiance assez large pour assumer valablement la politique de l'Etat. Et quant à la coalition de ces éléments divers, son impuissance serait encore plus certaine. Même si ces éléments, pour le temps de la campagne électorale, parvenaient à dissimuler leurs contradictions, assez pour se répartir la majorité des voix, au contraire si les Français maintenaient et renforçaient à l'assemblée nationale une majorité qui fasse corps avec la cinquième république, telle que tout justement le premier ministre s'emploie à la préciser en vue des élections, alors cette majorité positive continuerait avec une vigueur renforcée son oeuvre de progrès, d'indépendance et de paix, étant entendu que pour elle la cohésion est une obligation. Il est vrai que naguère, il y avait des tacticiens qui s'efforçaient d'aménager les choses devant le peuple et au sein du parlement, de telle sorte que ça aboutissait à un fractionnement propice aux combinaisons. Comme ça rendait précaire toute majorité, cela gênait et même paralysait le jeu des pouvoirs publics, leur fonctionnement. Eh ! bien, il faut que de tels procédés soient relégués au temps où ils étaient et qui n'est plus. Il est bien entendu que pour confronter les idées, pour élaborer les doctrines, pour mettre au point les projets, les débats sont nécessaires. Mais dès lors que la position de la majorité est prise à la lumière des données ainsi délibérées, que la position de la majorité est prise en accord avec les autres instances responsables de l'Etat, toute division suscitée à l'intérieur d'elle-même, toute divergence serait néfaste et condamnable. Car la cohésion est la raison d'être même de notre régime. Et elle a été voulue par le peuple au lieu et place de l'inconsistance et de l'impuissance d'autrefois. En somme, dans toutes les circonscriptions, je crois que les Français se trouveront, quand ils seront appelés à voter, devant un choix aussi simple et clair que possible. Ou bien investir les candidats qui se seront réunis et s'engageront à le rester pour servir la cinquième république, ou bien donner la préférence à d'autres, mais dans ce cas risquer de plonger de nouveau la France, et cette fois dans des conditions plus graves que jamais, dans les mêmes bouleversements qui ont marqué l'ancien régime des partis. Encore une fois, j'en parle au point de vue du chef de l'Etat, compte tenu de ses attributions constitutionnelles, et j'ajoute que pour ma part, je ne doute pas de l'issue. Mesdames et Messieurs, je vous remercie.