Entre exploration et conquête, les ambiguïtés de la mémoire coloniale
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La visite d’une exposition consacrée au capitaine Louis-Gustave Binger aborde la question de l’exploration et de la « mise en valeur » de la Côte d’Ivoire durant les années 1887-1895. On peut aussi interroger le reportage sur la manière dont notre société contemporaine traite la mémoire coloniale.
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Date de publication du document :
08 déc. 2021
Date de diffusion :
07 août 2009
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Contexte historique
ParProfesseur agrégé d’histoire-géographie au collège Elsa Triolet à Thaon-les-Vosges
Le reportage évoque, par le biais d’une exposition, la « découverte » puis la colonisation de la Côte d’Ivoire par Louis-Gustave Binger. Si le terme « explorateur » est mis en avant pour qualifier l’œuvre de ce dernier, nous ne sommes pourtant plus à l’époque de l’exploration du contient africain à proprement parler. Le contexte est désormais celui qu’a entériné le congrès de Berlin de 1884-1885 en fixant les règles que doivent respecter les puissances européennes pour prendre le contrôle de territoires africains. La décennie 1880 inaugure en réalité une accélération du processus de colonisation durant laquelle les explorations sont de plus en plus militarisées, où l’esprit de conquête supplante la volonté de mener des négociations commerciales. C’est dans ce mouvement que prennent place les missions de Binger dans la boucle du Niger, agissant sous les ordres d’une IIIe République qui se constitue, à partir du Sénégal, un empire colonial en Afrique de l’Ouest, en particulier dans la région du Soudan – cette immense bande sahélienne qui s’étend de l’Atlantique au Darfour – et le long de la côte du golfe de Guinée. Louis-Gustave Binger est l’un des principaux acteurs de cette politique.
Né à Strasbourg en 1856, ayant vécu à Sarreguemines avant de s’installer dans les Ardennes après l’Annexion, il entame très rapidement une carrière dans l’infanterie de marine. Il réalise sa première mission en Afrique en 1882-1883, plus précisément au Sénégal où il retourne trois ans plus tard pour mener une étude linguistique soldée par la publication d’un Essai sur la langue bambara.
En 1887, il débute une expédition d’exploration entre Bamako, au Soudan français (actuel Mali), et Grand-Bassam, sur le littoral du golfe guinéen. Durant vingt mois, il arpente la boucle du Niger dans le double but d’accumuler des données géographiques et topographiques sur ces territoires et de relier les établissements du Soudan français au littoral atlantique alors même que les Britanniques poussent leurs pions dans la région. La seconde expédition qu’il dirige en 1892 se cantonne d’ailleurs à parcourir les zones contestées entre les deux puissances coloniales afin d’établir la frontière entre la future Côte d’Ivoire à l’ouest et la Gold Coast à l’est. C’est à l’occasion de cette seconde mission que le reporter Marcel Monnier réalise plus de 760 clichés, images inédites de cette région à peine ouverte aux Européens. De son côté, Binger relate ses observations dans Esclavage, islamisme et christianisme et dans Du Niger au golfe de Guinée, deux publications qui lui valent les honneurs de la Société de Géographie et de la Royal Geographical Society.
En 1893, l’officier Binger devient administrateur en étant nommé gouverneur de la toute nouvelle Côte d’Ivoire devenue colonie autonome. Son état de santé lui impose cependant de revenir en métropole deux ans plus tard, date à laquelle la Côte d’Ivoire intègre l’Afrique-Occidentale française, vaste fédération de huit colonies dirigée par un gouverneur-général établi au Sénégal. A son retour à Paris, Binger occupe le poste de directeur des Affaires d’Afrique au ministère des Colonies jusqu’ à sa retraite en 1907, et poursuit son travail d’écriture dont Le Serment de l’explorateur, un roman d’aventures. Il continue également à défendre sa conception du rôle de l’islam dans l’œuvre coloniale ; à rebours de nombre de ses contemporains, il soutient que les populations musulmanes soudanaises doivent constituer des points d’appui pour les administrateurs français. Après avoir mené des missions en AOF pour le compte de la Chambre de Commerce de Grand-Bassam, il pose définitivement ses valises en 1929 à L’Isle-Adam, où il décède sept ans plus tard.
En regard de cette figure de l’explorateur-administrateur, on pourrait s’attacher à celle de l’explorateur-scientifique incarnée par le Spinalien Louis Lapicque, jeune physiologiste de la Faculté de médecine à l’Hôtel-Dieu de Paris, chargé d’une mission sur les Négritos dans l’Océan Indien en 1892-1893. Ces figures ne s’opposent cependant pas, la science sous la IIIe République ayant largement soutenu les ambitions coloniales du pays.
Éclairage média
ParProfesseur agrégé d’histoire-géographie au collège Elsa Triolet à Thaon-les-Vosges
Diffusé lors du journal télévisé du 19/20 de France 3 Ile-de-France le 7 août 2009, le reportage est consacré à l’exposition L’Afrique en Noir & Blanc qui se tient jusqu’au 20 septembre au Musée d’art et d’histoire de L’Isle-Adam (Val-d’Oise). La journaliste propose une déambulation et un entretien avec Claude Auboin, son commissaire, biographe de Louis-Gustave Binger, véritable sujet de l’exposition.
La première séquence du reportage est consacrée à la mission de 1887-1889 en insistant sur Binger l’explorateur, en particulier dans sa manière de nouer des contacts avec les différentes populations, sur son souci de consigner ses impressions sur les cultures et les traditions découvertes, de cartographier les régions traversées. Seul Européen de l’expédition, plus tard accompagné de médecins, il est présenté comme un « pacifiste », même si les finalités commerciales - et territoriales - de la mission ne sont pas évacuées par la journaliste. L’image s’attarde sur de nombreuses photographies (prises en réalité lors de la mission de 1892) mais aussi sur la reconstitution de ce que pouvait être un campement de l’expédition de Binger, une évocation qui réactive le mythe puissant de l’explorateur blanc confronté à une Afrique noire impénétrable et fantasmée. La geste de David Livingstone ou de Pierre Savorgnan de Brazza s’impose presque instinctivement dans la mémoire du public européen. De la même manière, les statues et masques africains que pointe l’image renvoient à l’influence de « l’art nègre » sur la production artistique européenne du début du XXe siècle.
La deuxième séquence, plus courte, a trait au rôle de Binger comme premier gouverneur de la Côte d’Ivoire, période durant laquelle il développe les infrastructures de transport permettant d’exporter vers la métropole les ressources en bois, or et cacao du territoire. Une séquence qui insiste sur ses talents d’administrateur, sa capacité à rendre « prospère » la colonie. On comprend donc les impératifs qui ont conduit à l’aménagement du territoire ivoirien et à l’orientation de son économie vers l’exportation, deux traits communs à la plupart des colonies, deux traits qui ont conditionné le devenir des Etats africains et doivent interroger sur la mémoire de l’économie de prédation coloniale.
Le reportage s’achève sur une très brève séquence (1 min 57-2 min 09) évoquant, à travers une carte postale, l’hommage rendu à l’homme par la République qui, de son vivant, baptise la capitale de Côte d’Ivoire du nom de Bingerville (avant son transfert à Abidjan en 1934). Les dernières images sont tournées hors de l’exposition, laissant découvrir par un zoom arrière le monument dédié « Au gouverneur général Binger » inauguré dès 1938 par la commune de L’Isle-Adam.
On notera que la durée respective des trois séquences du reportage donne la part belle à la dimension scientifique et humaniste de l’œuvre de Binger. Même la partie consacrée à son action comme gouverneur insiste sur le développement économique qu’il a su insuffler. Autrement dit, le reportage semble épouser la vision de la mission civilisatrice de la République en Afrique. Dès lors, les non-dits sont assourdissants : le pillage - et plus seulement l’exploitation - des ressources naturelles, la compétition pour leur contrôle avec le Royaume-Uni, la mise sous tutelle de la population.
Le reportage a bien une dimension hagiographique qui se révèle dans le choix des images de Binger lorsque, à deux reprises, est interviewé le commissaire de l’exposition : on passe de la photographie, prise sur le terrain, de l’explorateur au retour de la chasse, portant une simple chemise et un chapeau fatigué, au tableau le figurant en portait en pied et vêtu de l’uniforme blanc des administrateurs coloniaux, non dans un décor de bureau mais dans un campement en pleine nature. C’est donc toujours l’explorateur qui est représenté. Seule la substitution du singe mort par la Légion d’honneur nous informe de son changement de statut.
Transcription
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