Journée de l'abolition de l'esclavage : le rôle de l'abbé Grégoire
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A l’occasion de la journée des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leur abolition, retour sur le rôle joué par l’abbé Grégoire sous la Révolution. Curé d'Emberménil devenu député, il contribue en 1794 à faire voter par la Convention une première loi qui abolit l'esclavage, rétabli par Napoléon en 1802, avant la seconde abolition de 1848. Un musée retrace son parcours à Emberménil.
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Date de publication du document :
08 déc. 2021
Date de diffusion :
23 août 2007
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Contexte historique
ParProfesseur agrégé d’histoire au Lycée international Jeanne-d’Arc, Nancy
L’abbé Henri Grégoire (1750-1831) est un personnage clé de la Révolution. Né à Vého près de Lunéville, puis curé à Emberménil, il est élu député du clergé aux Etats-généraux de Versailles. Il devient une figure du mouvement pour l’abolition de l’esclavage en même temps qu’un ardent défenseur d’autres causes (émancipation des Juifs, développement de l’instruction et des Arts et Métiers, unification linguistique, église constitutionnelle, contre le « vandalisme »). Il est l’un des principaux promoteurs d’une Église nationale reconnaissant les changements révolutionnaires tout en s’opposant aux destructions qui frappent les édifices.
L’étude de son parcours permet d’aborder « les conflits et débats qui caractérisent la période » (Première générale) et « l’émergence d’une nation de citoyens égaux en droit » ainsi que la notion d’Égalité devant la loi (Première technologique). En outre, il est possible d’insister sur ses années de formation à l’époque des Lumières et de prolonger les débats de la fin de l’Ancien régime, en lien avec le Point de passage et d’ouverture de Seconde qui permet d’étudier l’organisation de la traite (« Les ports français et le développement de l’économie de plantation et de la traite. »). L’importance de la traite dans l’économie française est mise en évidence par le poids des bénéficiaires de la traite dans les assemblées révolutionnaires.
Son ancrage dans les Lumières est une source de son engagement en tant qu’« Ami des hommes de toutes les couleurs ». S’inscrivant dans le courant janséniste (mouvement religieux insistant sur la grâce divine et critique de l’absolutisme), c’est au nom de sa foi chrétienne et de l’universalité du message biblique que Grégoire défend l’unité du genre humain et se bat contre les « préjugés de couleur », c’est-à dire le racisme.
Dès l’été 1789, il fait partie des membres du clergé rejoignant le Tiers-Etat pour former l’Assemblée nationale constituante, comme le montre sa participation au serment du Jeu de Paume le 21 juin. Sur le tableau de David immortalisant l'événement, il est représenté au premier plan en compagnie d’un moine et d’un pasteur. Il rédige l’article 1 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en août 1789. Par ses talents d’orateur et ses écrits, il acquiert une grande audience. Il adhère dès décembre 1789 à la Société des Amis des Noirs créée en 1788 pour regrouper les partisans de l’abolition de l’esclavage (Mirabeau, Sieyès ou Condorcet). Il est également désigné évêque de Blois en février 1791.
Agissant par pragmatisme dans un contexte révolutionnaire complexe, il parvient le plus souvent à n’obtenir des changements que pour les libres de couleur (mulâtres, descendants d’un homme blanc et d’une femme noire, et noirs) qui veulent obtenir la citoyenneté, en considérant qu’il faudra abolir l’esclavage progressivement. Entre 1789 et 1791, Grégoire peine à imposer ses conceptions dans la Constituante dont l’ordre du jour et la prise de parole sont contrôlés par le « club Massiac » qui défend, avec Barnave, les intérêts des colons blancs et des négociants des ports qui bénéficient de la traite. Même lorsqu’il y parvient le 15 mai 1791, les décrets alors pris en faveur de l’égalité pour les libres de couleur sont annulés dès septembre. La colonie de Saint-Domingue (aujourd’hui Haïti), alors premier producteur mondial de sucre et à ce titre « perle » des Antilles, concentre toute l’attention. La révolte des mulâtres, puis celle des esclaves en août 1791, dans le contexte de la guerre contre l’Espagne et l’Angleterre (à partir d’avril 1792) qui convoitent les colonies françaises, va changer la donne. Envoyés en mission sur place, Polverel et surtout Sonthonax décident d’émanciper les esclaves qui s’engagent dans la guerre et finissent par décréter l’abolition le 29 août 1793, facilitant le ralliement des esclaves révoltés dirigés par Toussaint-Louverture. La Convention suit le mouvement et décrète l’abolition dans toutes les colonies le 16 pluviôse an II (4 février 1794). Après s’être battu pour mettre fin à l’aide énorme versée aux négriers en 1793, Grégoire intervient de manière décisive lors du débat. Il insiste sur la nécessité de sortir des termes vagues qui ont, par le passé, permis aux colons d’interpréter à leur manière les décrets parisiens. Il prend la parole pour réclamer que le mot « esclavage » soit explicitement utilisé.
Grégoire reste ensuite un fervent militant de la cause abolitionniste, après l’annulation de celle-ci par Bonaparte en 1802, et un soutien de l’indépendance haïtienne, acquise en 1804 mais reconnue par la France en 1825 contre une indemnité exorbitante. Il meurt en 1831, sans avoir vu la deuxième abolition, mais bénéficie de funérailles nationales avant d’être inhumé au Panthéon pour le bicentenaire de 1989. Ses positions parfois complexes et ambigües au regard d’aujourd’hui ont pu être critiquées. Ainsi sa défense de l’idée de « régénération », à la fois pour les Juifs et les esclaves noirs, n’exclut pas l’idée de colonisation et va de pair avec la volonté de convertir au christianisme les populations qu’il défend.
Éclairage média
ParProfesseur agrégé d’histoire au Lycée international Jeanne-d’Arc, Nancy
Le reportage est réalisé à l’occasion de la "Journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leur abolition". Rappelons que cette journée a lieu le 10 mai depuis 2006, faute de consensus sur une autre date. Le 10 mai 2001, le Sénat adoptait à l’unanimité la loi reconnaissant « la traite et l’esclavage comme crime contre l’humanité », dite loi Taubira. C’est aussi le jour de 1802 où l’officier libre de couleur Louis Delgrès faisait en Guadeloupe une proclamation antiesclavagiste au moment où Bonaparte, Premier Consul, reprenait le contrôle de l’île et rétablissait l’esclavage. Si l’abolition définitive de 1848, sous la IIe République naissante, et la figure de Victor Schœlcher, responsable des colonies dans le gouvernement provisoire et initiateur du décret, sont souvent mis en avant, le reportage invite à se souvenir de la première abolition de 1794 et du rôle de l’abbé Grégoire « qui fut le premier à faire voter l’abolition de l’esclavage ».
Le reportage s’ouvre par quelques vues du village d’Emberménil au travers des lieux rappelant l’abbé Grégoire. On aperçoit ainsi l’église (reconstruite dans les années 1950) et le cénotaphe (transféré après sa panthéonisation en 1989), une stèle des droits de l’homme et une statue de l’abbé ornant un mémorial.
L’entretien avec François Bier, fondateur en 1994 de la Maison Abbé Grégoire, permet d’envisager quelques aspects de l’engagement de Grégoire, dont la journaliste Anne-Laure Chéry nous dit qu’« il a été de tous les combats » même s’il est « moins connu que d’autres révolutionnaires ». Elle rappelle que Grégoire « préside la séance des Etats généraux pendant que le peuple est en train de prendre la Bastille ». Il s’agit plus exactement de l’Assemblée nationale constituante, proclamée en juin 1789 après que des députés du clergé, comme Grégoire, ou de la noblesse ont rejoint ceux du Tiers-Etat. François Bier évoque les prises de position de l’abbé Grégoire pour l’émancipation des Juifs et des « nègres », terme utilisé à l’époque. Il mentionne les profits « juteux » tirés de la traite par les marchands et négociants des ports français (par ordre d’importance au XVIIIe siècle Nantes, La Rochelle, Le Havre, Bordeaux, Saint-Malo, Lorient, Honfleur). C’est l’occasion, pour François Bier, de rappeler l’un des principaux arguments des partisans du maintien de l’esclavage, la prospérité économique : « Si ça continue, le curé d’Emberménil va nous faire crever de faim ». Il parle notamment du débat de la Convention du 27 juillet 1793 à l’issue duquel Grégoire obtient la fin de la prime royale donnée aux négriers. C’est l’une des premières victoires des abolitionnistes dans un contexte révolutionnaire compliqué où ils n’ont pas toujours le droit à la parole, d’autant que plusieurs sont Girondins et viennent d’être exécutés...
Le reportage montre brièvement l’intérieur du musée où sont conservés des objets (chaines, gravures, manuscrits, affiches) et de nombreux ouvrages anciens (plus de 400 constituent la bibliothèque). Un vitrail, visible dans le sujet, représente l’abolition au travers d’un noir se libérant de ses chaînes en dessous de la synagogue de Lunéville, première autorisée dans le royaume de France en 1786. Il fait partie d’une série de vitraux dessinés par Henri Gérardin et retraçant les étapes du parcours de Grégoire qui servent de support aux visites guidées. Tour à tour sont évoqués l’engagement de Grégoire en faveur des Juifs et des opprimés, pour l’abolition et pour le développement de l’instruction. Ces aspects sont rappelés à la fin du reportage avec la création du Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM) et du bureau des longitudes devenu l’Institut de mécanique céleste et de calcul des éphémérides au sein de l’Observatoire de Paris (et non la « météo nationale », pas plus que le Muséum…).
Le musée fait partie d’une « Route des abolitions de l’esclavage et des Droits de l’homme » qui fédère des sites de l’est (Fort de Joux, Maison de la négritude et des Droits de l’homme de Champagney, Musée Schoelcher à Fessenheim) comme l’indique la stèle-mémorial évoquée plus haut. Celle-ci a été érigée en 2000 pour le 250e anniversaire de la naissance d’Henri Grégoire dans le village voisin de Vého. De nombreuses inscriptions associent d’autres figures de l’abolition : Schœlcher (originaire de Fessenheim en Alsace), Toussaint-Louverture (1743-1803, mort au Fort de Joux dans le Jura), Sœur Anne-Marie Javouhey (1779-1851, qui a conduit une œuvre missionnaire à Mana en Guyane et est originaire de Côte d’Or) autour du thème de la liberté. Le nom du village de Champagney (Haute-Saône) est inscrit sur la stèle. C’est l’un des rares dans l’Est où le cahier de doléance du Tiers faisait référence à l’abolition (avec ceux du clergé de Reims, Sézanne et Metz et celui de la noblesse de Chaumont). Des fêtes célébrant l’abolition de 1794 ont eu lieu dans l’Est (Vézelise, Châlons-sur-Marne, Vitry-le-François, Troyes et Bar-sur-Aube).
Transcription
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