25 ans après la fin de la guerre d’Algérie, appelés et harkis se souviennent
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La date du 19 mars 1962, vingt-cinq ans après, cristallise toujours les écarts entre la mémoire officielle et les mémoires traumatiques de groupes porteurs d’une mémoire divergente. C’est le cas des appelés mais aussi des harkis et de leurs enfants qui expriment, en ces années 1980, des revendications particulières.
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08 déc. 2021
Date de diffusion :
19 mars 1987
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Contexte historique
ParProfesseur agrégé d’histoire au Lycée international Jeanne-d’Arc, Nancy
Le 18 mars 1962 sont signés à Evian des accords entre le Gouvernement français et le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA).
Ils concluent des négociations entamées en mai 1961 et ouvrent une période d’incertitude jusqu’à l’indépendance. Ils prévoient pour le lendemain à midi l’entrée en vigueur d’un cessez-le-feu mettant fin aux combats qui durent depuis 1954 entre l’armée française et l’Armée de libération nationale (ALN), bras armé du Front de Libération nationale (FLN). Outre un référendum en métropole approuvant ces accords dès avril, un référendum sur le seul territoire algérien a lieu le 1er juillet et permet la proclamation de l’indépendance le 5 juillet.
Durant le conflit, les appelés du contingent ont servi dans l’armée française dans le cadre de leur service militaire. De 1956 à 1962, plus d’1,5 millions de Français de 20 ans sont sous les drapeaux en Algérie, mais aussi parfois au Maroc et en Tunisie, pour une durée de 28 à 30 mois (voir à ce sujet Raphaëlle Branche, Papa, qu’as-tu fait en Algérie ?, La découverte, 2020). L’armée française compte aussi un nombre important de troupes dites « supplétives » c’est-à-dire constituées d’Algériens qualifiés de « musulmans français » ou « Français de souche nord-africaine » avec des statuts et des noms différents (moghaznis, Groupes mobiles de sécurité (GMS), Groupes d’autodéfense (GAD) et harkis). Le terme « harki » s’impose peu à peu pour les désigner. Incorporés pour des raisons et avec des motivations très différentes, ils ne constituent pas un groupe homogène. Leur nombre augmente progressivement jusqu’à dépasser 150 000 en 1961 (l’armée française compte alors plus de musulmans que l’ALN) avant de décliner.
Leur sort est abordé lors des négociations d’Evian mais les promesses des Français comme du FLN ne sont pas tenues. Désarmés et rendus à la vie civile, beaucoup sont massacrés par l’ALN avec leur famille. Parmi les harkis, le nombre de victimes est estimé par les historiens (Jean-Jacques Jordi, « À propos des Harkis » in J. Frémeaux et M. Battesti (dir.), Sortir de la guerre, 2014) entre 60 000 et 80 000. Le nombre de ceux qui restent est difficile à établir. Ceux qui parviennent à quitter l’Algérie pour la France le font grâce aux efforts individuels de certains de leurs officiers ou leurs propres moyens, le gouvernement français ne souhaitant pas leur arrivée en métropole. Au total, l’historien Abderahmen Moumen estime à 85 000, à partir de 1962, le nombre de personnes rapatriées ou réfugiées sous l’appellation générique de « harkis », à savoir les supplétifs et leur famille (Abderahmen Moumen, « Les harkis en 1983 », Hommes & migrations, 2016). Beaucoup sont parqués dans des camps ou des hameaux forestiers dans le sud de la France.
Les harkis obtiennent le statut d’ancien combattant en 1974. Les premières associations les regroupant sont créées au début des années 1970, moment où les problèmes spécifiques des anciens harkis et de leurs descendants commencent à être perçus. Des grèves de la faim sont menées dès 1974 dans plusieurs villes de France dont Longwy pour protester contre leurs conditions de vie dans des camps, l’impossible circulation vers l’Algérie et les questions de lieux de culte et de sépulture. S’appuyant sur les plus jeunes, des mutineries éclatent au printemps 1975 dans certains camps du sud de la France. Au cours des années 1980, la figure du fils ou de la fille de harki prend davantage d’importance dans les médias. Il faut attendre la loi de 1994 pour que « La République française témoigne sa reconnaissance envers les rapatriés anciens membres des formations supplétives et assimilés ou victimes de la captivité en Algérie pour les sacrifices qu’ils ont consentis ». Les années 2000 voient la reconnaissance de la situation particulière des harkis progresser au niveau officiel en France. La mémoire de l'événement reste vive parmi les protagonistes, civils ou militaires, d’un conflit qui n’a été reconnu officiellement comme « guerre » par la France qu’en 1999.
Éclairage média
ParProfesseur agrégé d’histoire au Lycée international Jeanne-d’Arc, Nancy
Le reportage est réalisé en 1987, à l’occasion du 25e anniversaire des accords d’Evian. Il aborde deux mémoires du conflit, celle des appelés du contingent et celle des harkis et de leurs enfants. L’introduction évoque la signature des accords d’Evian, datée du 19 mars 1962 et donc confondue avec l’entrée en vigueur du cessez-le-feu décidé la veille. Cette commémoration est replacée dans un contexte national mais abordée au travers d’actions locales menées par des associations d’anciens combattants organisateurs d’une exposition et une association d’anciens harkis à Hussigny-Godebrange (près de Longwy en Meurthe-et-Moselle et non en Moselle).
La première partie, centrée sur les appelés, est illustrée par des unes de quotidiens sur les étapes de la guerre, de son déclenchement en 1954 à sa conclusion en 1962. On voit des anciens appelés raconter « leur guerre » en montrant à des enfants différents objets dont un fusil. La question du nombre de morts est abordée (« 23 000 côté français, un million peut être côté algérien »). Les chiffres officiels algériens sont donc repris même si les travaux historiques remettent en cause ce mythe du « million de martyrs » (« chahids »), tombés pour l’indépendance. Le nombre de morts, difficile à établir, est estimé autour de 300 000, civils et militaires (C-R Ageron, Genèse de l'Algérie algérienne, 2005).
La deuxième partie donne la parole à des harkis et à une fille de harki. A partir de 1962, 4.5 % de ceux qui fuient l’Algérie s’installent en Lorraine (6e région en importance). Contrairement au sud de la France, les harkis ne sont pas installés dans des camps mais sont logés, comme les immigrés, dans des logements sociaux ou des foyers SONACOTRA. Dans ces années de croissance, la Meurthe-et-Moselle et la Moselle industrielles et minières accueillent à la fois une importante immigration en provenance d’Algérie et une part importante de « rapatriés » (qu’il s’agisse des harkis ou des Européens surnommés « Pieds-noirs »). Ces rapatriés constituent en 1968 plus de 5% de la population en Meurthe-et-Moselle et plus de 10 % en Moselle. Parmi les immigrés en Lorraine, les Algériens sont les plus nombreux pendant les années 1960, dépassant alors les Italiens. Cette immigration reste élevée tout au long des années 1970 et 1980, même inférieure à celle en provenance du Portugal, de Turquie ou du Maroc.
Il est d’abord question de la date de commémoration de la fin de la guerre. Dès le lancement en plateau, la présentatrice précise que « comme tous les rapatriés d’Algérie, ils refusent de commémorer le 19 mars ». Ce débat témoigne de la pluralité des mémoires et des groupes qui les portent, en France comme en Algérie. Commémorer le 19 mars aboutit à passer sous silence les morts du printemps et de l’été 1962, que ce soient les Européens ou les harkis. Le président de l’Association des harkis, Mohamed Sebbah, rappelle que des harkis sont morts après le 19 mars. La controverse cristallise les rancœurs qui se poursuivent aujourd’hui malgré la mise en place officielle de trois journées. Le 19 mars est commémorée, depuis 2012, « la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie», le 5 décembre « les morts pour la France pendant la guerre d’Algérie ». Enfin le 25 septembre, depuis 2003, est rendu un « hommage aux harkis et autres membres des formations supplétives ».
Les discriminations dont sont victimes les harkis et leurs enfants sont ensuite abordées grâce au témoignage d’un ancien harki qui dit « je vis en France mais je ne suis pas chez moi ». Une fille de harki est interrogée plus longuement et pointe la stigmatisation dont sont victimes les harkis et leurs enfants, à la fois de la part des immigrés algériens, qui les considèrent souvent comme des « traîtres » à leur patrie, et de la part de la société française qui les assimile aux immigrés et les rejette parfois comme tel. Cet extrait permet de voir la prise de conscience progressive du sort des harkis par la société française.
Transcription
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