Agricultrice : un métier au féminin

Les journées de la femme sont pléthore : traditionnelle fête des mères, journée internationale de la femme, ou, à l’initiative de l’ONU, journée internationale des femmes rurales. La nécessité de multiplier ces journées rappelle sûrement que l’égalité hommes-femmes reste une frontière à conquérir.

La journée des femmes rurales permet de souligner que ce sont les femmes qui, dans la plupart des sociétés et en particulier dans les Suds, ont la mission essentielle de nourrir l’humanité. Et pourtant, dans le monde agricole, particulièrement dans les agricultures modernes, productivistes et mécanisées, la figure dominante est celle de l’agriculteur, le mot même d’agricultrice étant peu usité. Cette situation dit la difficulté des femmes à obtenir une reconnaissance professionnelle et sociale dans un monde largement masculin, patriarcal et/ou matriarcal.

En France, les femmes sont elles aussi omniprésentes et quasiment invisibles dans le monde agricole. Elles représentent plus de 25 % des actifs non-salariés du secteur, contre seulement 8 % en 1970, une augmentation qui doit d’abord à l’évolution de leurs droits. Mais on voit aussi des femmes qui reprennent des exploitations agricoles à la retraite de leur mari, qui s’installent à la suite de leurs parents en agriculture traditionnelle (élevage, grandes cultures), qui se lancent dans de nouvelles productions liées à la diversification de l’agriculture actuelle : cultures biologiques, cultures rares comme le safran, élevage de petits animaux, activités liées au tourisme vert (gîtes, fermes-auberges, …). Les métiers de l’agriculture sont divers et les femmes sont de plus en plus présentes.

Pour l’essentiel, elles ont trois grands profils. Les plus âgées sont souvent, à l’image de notre reportage, des femmes entrées en agriculture par le mariage et qui créent parfois, parallèlement à l’activité principale de l’exploitation, des activités annexes sources de revenus complémentaires. Parmi les plus jeunes, deux parcours se distinguent : des jeunes femmes qui ont fait des études dans la filière agricole, avec aujourd’hui un niveau d’études longues supérieur à celui des hommes, et qui ont toujours eu le projet de reprendre ou créer une exploitation ; des femmes plus âgées qui réorientent leur vie professionnelle après une première carrière pour chercher un meilleur accord entre vie personnelle et vie professionnelle, sans forcément être issues de la campagne et de l’agriculture.

Très longtemps, les femmes d’agriculteurs ont souffert d’une absence complète de reconnaissance, leur travail sur les exploitations n’étant pas plus reconnu que le travail de mère de famille, n’ouvrant notamment aucun droit aux prestations sociales et en particulier à la retraite, créant des situations de grande pauvreté en cas de décès du mari. Il faut attendre le début des années 1980 pour que le droit crée progressivement un statut. En 1985, avec l’apparition de l’EARL (exploitation agricole à responsabilité limitée), elles obtiennent une reconnaissance de leur activité au sein des exploitations car ce type de société civile permet aux conjoints de s’associer en individualisant leurs tâches et leurs responsabilités. La loi d’orientation agricole de 1999 et la création du statut de conjoint collaborateur leur donne accès à une protection sociale (retraite). À compter de 2006, le conjoint du chef d’exploitation exerçant sur l’exploitation une activité professionnelle régulière doit opter pour l’un des statuts suivants : collaborateur du chef d’exploitation, salarié de l’exploitation, chef d’exploitation. C’est le statut de collaboratrice qui est le plus souvent choisi par les agricultrices d’un certain âge, surtout présente en agriculture traditionnelle, alors que les jeunes vont plus vers le statut de co-exploitante à part égale avec un ou une associé(e).

Aujourd’hui, en France au moins, les droits des femmes et leur statut se sont donc améliorés mais sans aller vers une reconnaissance complète.

Le reportage de France 3 Champagne-Ardenne a été réalisé au moment de la journée internationale de la femme au printemps 2001. La régionale avait eu le projet de dresser des portraits de femmes et s’était donc intéressée au secteur agricole très présent dans la région. L’ambition est de suivre le quotidien d’une agricultrice, Josée Sellier, installée avec son mari à La-Neuville-lès-Wasigny. Quelle image de la femme est donnée ? 

La construction du sujet est donc centrée sur les activités de Madame Seller, suivant les différentes activités qui rythment sa journée, entre activité professionnelle, engagement socio-professionnel et vie personnelle. Il alterne images de ses activités commentées par la journaliste et courtes prises de parole de Josée et de son mari. 

Le reportage pourrait être exploité pour décrire les espaces productifs agricoles. On y voit en effet, en ouverture, le paysage ardennais du Porcien, et de nombreux plans permettent de décrire l’exploitation, avec ses différents bâtiments et ses productions (salle de traite mais aussi hangar à fourrage notamment) et donc ses activités multiples. On pourrait ainsi faire un portrait de l’agriculture ardennaise dans cette partie du département : moitié des terres agricoles en herbages et forte présence de l’élevage pour la production de lait ou de viande réputée. On pourrait souligner, durée de la journée de travail à l’appui, que cet élevage laitier est aujourd’hui considéré comme l’activité agricole la plus difficile car la plus contraignante, les animaux ayant besoin de soins quotidiens.

Le reportage est cependant centré sur Josée et ses activités. C’est d’abord son parcours de vie qui est retracé : des études, une rencontre et un mariage qui la conduisent à abandonner un emploi de bureau pour accompagner l’activité de son mari, et des enfants. 

Le reportage permet de saisir cette situation particulière qui est de vivre et de travailler sur un même lieu et avec la même personne. Cela implique une répartition des tâches entre vie quotidienne et vie professionnelle à l’intérieur du couple. On peut ainsi interroger les rapports de genre dans les deux domaines. On apprend que Josée ne réalise pas certaines tâches sur l’exploitation, la conduite des gros engins et les traitements, activités sensibles sur l’exploitation et qui semblent être perçues comme non féminines, à l’inverse du travail sur le troupeau de laitières et le soin aux veaux. Les images de la vie domestique interrogent aussi le genre : elles laissent penser que c’est Josée qui assume la plus grande part des tâches. L’interview croisée du couple est d’ailleurs assez intéressante : on peut s’interroger sur la perception qu’a chacun des rapports de couple. Josée insiste sur leur complémentarité, induisant une forme d’égalité entre les deux. Cela semble moins clair pour son mari dont le propos peut laisser percer le fait que son épouse assume des missions secondaires. On ne sait d’ailleurs pas quel est le statut de Josée sur l’exploitation. Il y a là, quelle que soit la perception que l’on peut avoir de ce passage, matière à créer une discussion de classe sur les rapports de genre dans le couple. C’est peut-être d’ailleurs à cela que conduit le questionnement de Josée : elle valorise le fait d’exercer un métier indépendant mais elle s’interroge sur sa reconnaissance.

Un dernier point qui pourrait être développé avec les élèves porte sur l’engagement militant de Josée et plus largement sur la vie hors du travail dans le monde rural. On y voit une femme qui a un peu de temps pour les loisirs et pas forcément l’énergie… On y voit surtout une femme engagée dans son métier et son mode de vie au travers sa participation aux activités de la Chambre d’agriculture et de la commission des femmes. Cet engagement militant, souvent fort dans le monde agricole, est aussi un moyen de sortir de la ferme et d’un isolement fréquent.