La forêt vosgienne à l’épreuve du réchauffement climatique
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Le réchauffement climatique est en train de modifier profondément la physionomie des forêts vosgiennes. Il ne s’agit pas seulement de la destruction de parcelles entières sous l’effet des scolytes, avec son lot de conséquences économiques et environnementales, il s’agit aussi de penser aux nouveaux paysages qui pourraient voir le jour d’ici 50 à 100 ans.
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Date de publication du document :
16 nov. 2022
Date de diffusion :
26 sept. 2020
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Contexte historique
ParProfesseur agrégé d’histoire-géographie au collège Elsa Triolet à Thaon-les-Vosges
La région Grand Est compte 1,912 million d’hectares de forêt dont 78 % est constitué de feuillus et 22 % de conifères. À la différence d’autres forêts sur le territoire national, les peuplements multi-essences y prédominent. Au sein de la région, le département des Vosges est celui dont la superficie forestière est la plus importante puisqu’elle atteint près de 48 % du territoire avec 280 000 ha répartis entre un tiers de forêts privées et deux tiers de forêts publiques (domaniales, communales, départementales...) dont l’exploitation et l’aménagement sont confiés à l’Office national des Forêts (ONF), un établissement public à caractère industriel et commercial.
Une partie de ce patrimoine forestier subit une violente crise depuis 2018 avec une vague importante de mortalité d’épicéas liée aux sécheresses répétées et à un insecte, le scolyte typographe, dont les populations ont atteint un niveau épidémique sur les secteurs de plaine et les contreforts montagneux de l’Est de la France, y compris, désormais, à des altitudes supérieures à 800-900 m. Le massif des Ardennes, le nord de la Meuse, les Vosges, le Morvan et le nord de la Haute-Saône sont les zones les plus affectées par cette épidémie de scolytes.
Ce petit coléoptère de 4 à 6 mm est pourtant un animal endémique présent naturellement dans les pessières françaises, c’est-à-dire les forêts d’épicéas qui, dans le Grand Est, recouvrent 118 000 ha. Cependant, lorsque certaines conditions sont réunies – hivers doux permettant la prolifération de l’insecte et arbres affaiblis après des tempêtes ou suite à des épisodes de stress hydrique –, le scolyte devient un danger pour les résineux. Or, 2018 a été l’année la plus chaude depuis 1900 à l’échelle nationale et 2019 a été marquée par un épisode de sécheresse conséquent et deux canicules.
Cependant, le phénomène est plus ancien. Depuis 1989, l’ONF a déterminé trois phases de destruction des épicéas par le scolyte typographe : entre 1989 et 1992 avec des arbres affaiblis suite à la sécheresse, entre 2000 et 2007 après la tempête de 1999 et la canicule 2003 qui ont déstabilisé et affaibli les peuplements, enfin depuis 2015 avec une explosion en 2018.
Les conséquences de ces destructions sont multiples. Les images d’arbres morts sur pied et de parcelles rasées à blanc deviennent monnaies courantes dans le massif vosgien à l’image des flancs de l’ancien maquis de la Piquante-Pierre surplombant la vallée de la Moselotte. L’impact sur les paysages risque d’avoir bien évidemment des répercussions sur l’attractivité touristique de ces territoires, sans compter la prévalence accrue des incendies. Dès lors, se pose la question du rôle régulateur de la forêt dans les émissions de CO2 via la séquestration et le stockage du carbone.
Quant à l’impact économique, il peut être lourd. En 2019, les régions Grand Est et Bourgogne Franche-Comté produisaient 33 % de la récolte nationale de bois commercialisés, une activité qui sous-tend toute une filière forêt-bois qui s’étend de l’ameublement à la papeterie en passant par les constructions en ossature bois ou l’alimentation des chauffages urbains, sans oublier bien évidemment l’exploitation sylvicole et le sciage. En 2015, dans le Grand Est, cette filière a dégagé 2,7 milliards d’euros de chiffre d’affaires et regroupait 11 420 établissements et 45 810 salariés. Les conséquences de la crise actuelle sont particulièrement perceptibles dans un département comme celui des Vosges où l’état de délabrement des résineux a nécessité la coupe de 220 000 m³ de bois en 2020 contre 50 000 deux ans plus tôt, provoquant une forte chute des cours.
Pour les communes, les perspectives sont inquiétantes. Un rapport interministériel de juin 2021 a analysé l’impact financier de cette crise pour les communes de l’Est de la France (régions Grand Est et Bourgogne Franche-Comté, trois départements des massifs jurassien et alpin) alors que, pour nombre d’entre elles, les recettes de vente de coupes de bois représentent une part importante de leurs recettes de fonctionnement. Une dépendance qui est d’autant plus grande que les communes sont peu peuplées : ainsi dans les Vosges, elles peuvent dépasser 25 % des revenus des communes de moins de 500 habitants. À l’échelle de l’Est de la France, en 2020, le rapport estime que les recettes forestières ont baissé de 167,2 millions d’euros : 3 653 communes ont connu une baisse d’au moins 25 % et 2 688 d’au moins 50 %.
Éclairage média
ParProfesseur agrégé d’histoire-géographie au collège Elsa Triolet à Thaon-les-Vosges
Le reportage débute par des vues aériennes sur des forêts du secteur de Remiremont (Vosges), insistant sur des zones de résineux morts sur pied, totalement dépourvus d’épines et aux houppiers devenus gris. Ces épicéas, parfois ces sapins, sont victimes de la prolifération du scolyte permise par le réchauffement climatique depuis une dizaine d’années.
Les images au sol permettent de suivre deux agents de l’ONF qui constatent les dégâts faits en six mois sur une parcelle jusque-là saine. Gilles Oudot, responsable de l’unité territoriale de Remiremont, et Patrick Kubler, directeur de l’agence Vosges Montagne depuis 2014 et dont dépend le secteur romarimontain. Le périmètre de l’agence s’étend sur le flanc occidental du massif vosgien, des hauts de Senones jusqu’au Val-d’Ajol. l’ONF y gère près de 95 000 ha de forêts publiques (39 680 ha de domaniales et 55 240 ha de forêts des collectivités).
Gilles Oudot présente tout d’abord le résultat du travail des scolytes sur un arbre : trous de pénétration en début d’attaque lorsque les scolytes commencent à forer l’écorce, galeries sous-corticales qui sont des couloirs de ponte parallèles aux fibres du bois (généralement long de 20 cm et large de 3 mm), destruction des tissus conducteurs de sève, décollement d'écorces par plaque en fin d’attaque de l’arbre alors que les scolytes sont en fin de développement et prêts à essaimer ou déjà partis, enfin jaunissement puis roussissement progressif du houppier qui annoncent la mort du résineux.
Courbes à la main, les deux hommes constatent ensuite une hausse de 1 à 2°C des températures moyennes du secteur de Bains-les-Bains (désormais La Vôge-les-Bains) sur la période 1973-2018 avec un décrochage net à partir des années 1990 et une hausse qui ne cesse de croître. Pour Gilles Oudot, les mutations en cours de la forêt vosgienne la rendent plus sensible aux risques d’incendie en la mettant dans une situation de plus en plus proche de celle des massifs du sud de la France.
Les conséquences économiques sont illustrées par des images de coupes sur des parcelles entières, laissant les sols nus. C’est aussi l’occasion d’aborder le devenir de la forêt vosgienne à partir de l’exemple du Girmont-Val-d’Ajol (Vosges) où, sur une parcelle rasée en 2015, à côté d’une régénération naturelle constituée d’essences diverses (chêne, bouleau, châtaignier, sapin, merisier ou encore érable), on plante des essences exogènes capables de résister aux modifications climatiques. C’est ce qu’explique Patrick Kubler en présentant des plants de pin laricio originaires de Corse. Pour le directeur de l’agence Vosges Montagne, il est nécessaire d’anticiper les transformations à l’œuvre en faisant remonter des essences du sud de la France ou en provenance des États-Unis. Cette politique qui vise à sauvegarder la forêt vosgienne pourrait en transformer les paysages : aux massifs ombrageux et sombres se substitueront probablement des forêts plus clairsemées et ouvertes mais dont la rentabilité économique devra être préservée.
Transcription
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