Voyage à Marseille

10 novembre 1961
18m 24s
Réf. 00220

Notice

Résumé :

Au cours d'un voyage dans le Sud-Est du pays, le général de Gaulle prononce un discours devant la foule rassemblée à Marseille. Après avoir remercié la ville pour son accueil, il évoque la question algérienne, ainsi que la place de la France dans le monde.

Type de média :
Date de diffusion :
10 novembre 1961

Éclairage

De février 1959 à juin 1965, le général de Gaulle réalise un gigantesque tour de France qui le conduit d'un bout à l'autre de la métropole. C'est pour lui l'occasion de créer un contact direct avec les Français, de " récolter des moissons d'impressions et de précisions pratiques " sur les grandes questions de l'heure. Du 7 au 10 novembre 1961, ce sont la Corse, le Var et les Bouches-du-Rhône qui accueillent le chef de l'État.

Le dernier jour du voyage se déroule à Marseille, et quelques incidents ponctuent le parcours : dans la matinée, le président - visitant les bassins du port - se voit confronté à la grève des dockers, qui scandent des " À bas de Gaulle ! ". Place de la Préfecture, le président prend la parole devant une foule dense et survoltée. Près lui, on aperçoit Gaston Defferre, le sénateur-maire de Marseille et Roger Frey, le ministre de l'Intérieur. Après avoir remercié la ville et ses habitants pour l'accueil qui lui a été réservé, il consacre l'essentiel de son discours aux grandes épreuves que la France doit surmonter pour accomplir son renouveau national. Et en ce mois de novembre 1961, c'est le problème algérien qui prime sur tous les autres.

Depuis le référendum du 8 janvier, où les Français approuvaient par une large majorité l'autodétermination de l'Algérie, il s'agit de négocier la paix. Les pourparlers avec le FLN, engagés en mai, sont rompus dès le mois de juin, comme suite aux revendications françaises sur le Sahara et sur les droits de la minorité européenne, ce que de Gaulle, à Marseille, continue de réclamer. Parallèlement, depuis le mois de février, les attentats de l'OAS se multiplient des deux côtés de la Méditerranée et, en avril, le putsch des généraux à Alger déstabilisait un moment le pouvoir. Poursuivant son discours, de Gaulle fustige le " bloc soviétique qui menace, qui somme et qui prétend dicter sa loi" : l'URSS - qui entretient déjà des rapports diplomatiques avec le GRPA - soutient sans réserve les indépendantistes algériens contre la France. Ainsi, pour de toutes les difficultés, le Général - très acclamé - appelle-t-il les Français à se rassembler derrière lui, et à soutenir ses décisions.

La retransmission télévisée de ce discours est essentielle pour le chef de l'État : elle donne à voir et à ressentir la communion entre les Français et leur président : "Au total, il se produit autour de moi, d'un bout à l'autre du territoire, une éclatante démonstration du sentiment national qui [. . .] apparaît ensuite partout grâce à la télévision." (Mémoires d'Espoir - Le Renouveau).

Aude Vassallo

Transcription

Foule
Vive de Gaulle !
Charles de Gaulle
Merci, merci, merci ... Vous comprenez bien, vous comprenez bien que mon premier mot, vous comprenez bien.
Commentateur
[Inaudible]
Charles de Gaulle
Mon premier mot est pour remercier Marseille de tout mon coeur. Pour remercier Marseille du magnifique spectacle que représente cette réunion. Il y a là sans aucun doute la manifestation d'une unité, d'un sentiment national, aujourd'hui plus nécessaire que jamais. Je remercie Marseille, d'abord pour moi-même, et je remercie Marseille pour la France. Pour moi-même, car de constater tous les témoignages qui me viennent de vous, je ressens un réconfort qui est précieux quand on porte les responsabilités que vous savez, et je vous remercie pour la France. Et je vous remercie pour la France, parce que dans la situation où elle se trouve et en face des obstacles qu'elle doit franchir, il est indispensable de savoir, et c'est ce que vous montrez, que ses enfants sont avec elle. J'ai parlé des obstacles, j'ai parlé des obstacles qui se trouvent sur notre route. Nous sommes un grand pays qui est sorti d'immenses épreuves, j'ai été témoin de ces épreuves, et beaucoup d'entre vous ici, et je ne peux pas ne pas me rappeler avec une émotion profonde, le Marseille de 44, ici même au milieu de ces ruines. Au lendemain de sa sanglante et glorieuse libération, et maintenant, je la revois une fois de plus dans son essor et dans sa splendeur. Oui, notre pays est sorti des grandes épreuves où il aurait pu périr, il n'est pas mort, il vit, comme tout ce qui vit, comme tout ce qui monte, il a des difficultés à vaincre, c'est le sort des vivants. Il n'y a que les morts qui ne rencontrent pas d'obstacles. Comme nous sommes un peuple très vivant, nous avons, c'est vrai, des problèmes à résoudre, et à résoudre ensemble, je vais vous en dire un mot. D'abord, il est essentiel que nous poursuivions et que nous accélérions notre développement économique et notre progrès social. C'est indispensable, car il n'y a pas de pays qui puisse vivre, en notre siècle, s'il ne progresse pas. Cette transformation de la France, ce progrès de la France, on les constate partout, et on les constate, avant tout d'abord, chez vous. Je dois vous le dire, mais il est bien vrai, qu'il y a encore énormément à faire. Chaque fois qu'on a résolu une question, il en apparaît d'autres, ça, c'est la loi du progrès. Et nous sommes en plein essor, et par conséquent, Et par conséquent, il faut que notre essor se poursuive. Et se poursuive, non pas seulement, au profit de telle catégorie ou de tels individus mais au profit de tous les enfants de France. Indépendamment de ce grand essor, de ce grand effort national de développement, il nous faut résoudre la question algérienne. Elle pèse sur nous, de telle sorte que notre avenir en est encombré. Eh bien, au nom de la France de toujours, le Général de Gaulle a indiqué au pays quelle était, à cet égard, la solution nationale. C'est-à-dire : celle qui était le mieux d'accord avec le génie de notre pays et avec son intérêt. Cette solution nationale, je le dis ici à Marseille, plus fortement encore que partout ailleurs, c'est une Algérie qui dispose d'elle-même. Qui dispose d'elle-même, non pas contre nous, mais avec nous, et qui, par conséquent,
Foule
Bravo !
Charles de Gaulle
Et qui par conséquent fasse d'abord la paix. Cette paix, nous sommes prêts à la faire demain, sans aucun préalable, sur les bases que voici. Nous sommes prêts à la faire demain sur les bases que voici : Premièrement, les Algériens décideront librement de leur destin, et nous savons d'avance qu'ils voudront que ce destin, ce soit celui d'un Etat algérien. Et en second lieu, nous proposons que cet Etat algérien soit encore en coopération avec notre France, parce que c'est le bon sens, pour les Algériens d'abord, et même pour les Français. Mais bien entendu, il y a une contrepartie, à cette coopération de la France qui, de toutes les façons, nous sera coûteuse. Cette contrepartie, c'est d'abord la place et les garanties à donner aux Européens de souche qui se trouvent en Algérie, et qui seront, demain, utiles et même nécessaires à l'Algérie. Et la deuxième contrepartie, c'est que nos droits vitaux, à nous la France, soient assurés, en ce qui concerne, par exemple, le pétrole et le gaz du Sahara que nous avons découvert, que nous exploitons. Et puis aussi nos communications interafricaines qui sont indispensables à un grand peuple comme le nôtre qui joue un grand rôle, en Afrique, à tous les égards. Voilà ce que peut et ce que doit être la paix.
Foule
Bravo !
Charles de Gaulle
Et la France, la France, dans sa masse, la France dans son âme et dans son corps, la France dans son Etat n'admet pas qu'un élément quelconque de notre peuple, où qu'il soit, quels que puissent être ses regrets ou ce qu'il croit être son intérêt, se mette en travers de cette action nationale. Tous les Français, tous les Français, où qu'ils soient, doivent marcher avec la France dans cette affaire si grave pour notre destin. Il faut tout prévoir, il faut même prévoir que, le bon sens ne l'emportant décidément pas, il n'y aurait pas moyen de trouver, parmi les nationalistes algériens, c'est-à-dire à peu près tous les musulmans algériens, nous le savons bien, à trouver les éléments capables de prendre en main le destin de leur pays et de faire avec nous la paix que j'ai dit. Eh bien dans ce cas là, nous serons assez forts et assez résolus, pour en tirer par malheur, je dis pas par malheur, les conséquences. Nous saurons regrouper ceux des Européens, en Algérie, qui ne rentreront pas dans la métropole, qui voudront rester là-bas, nous les regrouperons dans des régions déterminées, nous les y protègerons, et nous laisserons le reste des territoires algériens à leur sort. Et puis nous verrons venir. Mais, je le répète, cette solution, bien que nous ayons le devoir de l'envisager comme un pis-aller, n'est rien d'autre chose qu'un pis-aller. Le bon sens est notre souhait ardent : c'est la paix dans les conditions que j'ai dites. Tout cela, mes chers compatriotes de Marseille, la France doit le faire dans une situation internationale dangereuse. Il y a ce bloc, ce bloc soviétique qui menace, qui somme et qui prétend dicter sa loi. Il prétend, en particulier, submerger, et dominer le monde libre. Eh bien, le monde libre, en particulier nous qui sommes libres, nous n'admettons pas d'être dominés, et par conséquent, nous n'acceptons ni les menaces, ni les sommations. Que ces menaces s'effacent, que ces sommations cessent ! Alors, la France sera prête. Et je dirais même au premier rang, à apporter des solutions aux grands problèmes du monde qui intéressent aussi bien un camp que l'autre, et qui s'appellent l'Allemagne, oui, l'Allemagne, qui s'appellent le désarmement, oui, le désarmement, qui s'appellent le progrès des pays sous-développés, oui, le progrès de nos frères sous-développés, et qui s'appellent, enfin, une coopération organisée entre les peuples, car les régimes, aucun d'entre eux n'a autre chose qu'un temps. Il s'agit beaucoup moins, en vérité, de rivalités, d'opposition de régimes que de la nécessité pour les peuples de s'accorder aujourd'hui pour le bien commun. Je le répète, dès lors qu'auraient cessées sommations et menaces, la France aurait sur tous ces sujets essentiels à tous les hommes, des solutions humaines à proposer car c'est son destin, sa vocation et c'est son génie.
Foule
Bravo !
Charles de Gaulle
Les obstacles que nous avons devant nous sont à la mesure de nos moyens, sont à la mesure de notre volonté, sont à la mesure du grand peuple que nous sommes. Et d'ailleurs, quel grand peuple et même quel petit n'a pas des problèmes au moins aussi graves que les nôtres à résoudre ? Est-ce que nous ne savons pas que les Etats-Unis ont bien des choses à faire qui sont très difficiles ? Est-ce que nous ne savons pas que l'Angleterre a beaucoup, elle aussi, de difficultés ? Que l'Allemagne a de graves soucis, et que l'Union Soviétique a beaucoup de mal, pour ce qui la concerne, à en croire tout au moins ce spectacle que nous en donne ses dirigeants, qui depuis 44 ans que ça dure, sont continuellement enterrés politiquement, ou réellement, bien avant (...)
Foule
Bravo
Charles de Gaulle
(...) bien avant qu'ils ne l'aient imaginé. A moins bien entendu qu'on s'aperçoive que même leur sépulture n'est qu'une concession provisoire. Allons donc ! Nous sommes un grand, solide et fort peuple français. N'écoutons pas tous ceux qui ragotent, qui racontent, qui écrivaillent pour nous démontrer le contraire, essayer de nous diviser et de nous opposer les uns aux autres. A l'heure qu'il est, il n'y a qu'un devoir, il n'y a qu'une loi, je le répète en terminant, comme je l'ai dit en commençant, c'est l'unité française. Sachons passer par-dessus nos divergences, nos problèmes, nos questions, nos intérêts particuliers, il n'y a qu'une querelle qui vaille : c'est la querelle de la France. Il n'y a qu'un intérêt qui doive compter, c'est le sien. Et il n'y qu'un devoir qui existe pour nous tous, c'est de nous unir sur elle et autour d'elle. A Marseille, ce matin, vous avez aujourd'hui, je vous le dis encore une fois, offert un spectacle magnifique que la France toute entière voit ou verra, que le monde entier sait ou saura. Au nom de la France, j'en remercie Marseille ! Vive Marseille ! Vive Marseille, vive la République, vive la France !
Foule
De Gaulle ! De Gaulle ! De Gaulle !
Charles de Gaulle
Et maintenant, et maintenant, d'un seul coeur, d'une voix, votre Marseillaise. Allons enfants de la patrie, le jour de gloire est arrivé. Contre nous de la tyrannie, l'étendard sanglant est levé, L'étendard sanglant est levé, entendez-vous dans nos campagnes, Mugir, ces féroces soldats, ils viennent jusque dans nos draps, Egorger nos fils et nos compagnes, Aux armes, citoyens ! Formez vos bataillons ! Marchons, marchons, qu'un sang impur abreuve nos sillons !
Foule
Vive de Gaulle !
Charles de Gaulle
Merci, merci, merci ...