Conférence de presse du 5 septembre 1961

05 septembre 1961
01h 07m 23s
Réf. 00380

Notice

Résumé :

Lors d'une conférence de presse tenue à l'Elysée le 5 septembre 1961, le général de Gaulle évoque plusieurs questions d'actualité : la crise de Berlin, la situation en Algérie, la question de la base de Bizerte, la modernisation de l'agriculture française, la perspective de l'entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché Commun.

Type de média :
Date de diffusion :
05 septembre 1961
Type de parole :

Éclairage

Le 5 septembre 1961, le général de Gaulle tient sa cinquième conférence de presse depuis qu'il est à la tête de la Cinquième République. C'est un exercice dont il a l'habitude : sorte de bilan prévisionnel effectué deux fois l'an, destiné à exposer les positions officielles de la France sur les grandes questions de l'heure, il s'agit aussi de s'adresser au peuple directement, sans intermédiaire, pour lui expliquer ce qui a été fait, et ce qui doit être encore accompli. Les journalistes l'interrogent tout d'abord sur Berlin, où les Soviétiques ont bâti, en août 1961, un mur ayant pour objet l'arrêt du flot des réfugiés qui rejoignent les secteurs occidentaux, dans le but d'échapper à la dictature communiste. Le général de Gaulle réitère fermement sa condamnation de l'URSS, dont la politique s'oppose aux accords de Postdam de 1945, et, dit-il, menace la paix du monde. Le président poursuit sa conférence sur la question du drame algérien. Depuis le référendum de février sur l'autodétermination et l'ouverture des négociations en mai, les événements dramatiques se succèdent : l'Organisation Armée Secrète (OAS), créée durant l'été, multiplie les attentats à l'explosif en métropole ; au printemps, la tentative de coup d'État de quatre généraux (Challe, Jouhaud, Zeller rejoints par Salan) avait contraint le Général à intervenir sur les ondes télévisées pour exiger le retour à l'ordre ; en octobre, à Paris, la manifestation des Musulmans de la région parisienne - organisée à l'appel du F.L.N. - était violemment réprimée. C'est dans ce contexte extrêmement tendu que de Gaulle réaffirme la volonté de "désengagement" de la France. En effet, la dernière phase des négociations - rompues le 13 juin 1961 sur la question du Sahara - reprendra quelques mois après cette conférence, le 11 février 1962, engageant alors le pays - plus de sept ans après le début de la guerre - à tourner définitivement la page de la colonisation. Il revient également sur la question de Bizerte, en Tunisie, où un accord signé en juin 1958 autorisait la marine française à y établir une base militaire. Mais, en juillet 1961, le gouvernement tunisien de Bourguiba - qui négociait depuis le début de l'année pour une évacuation des troupes françaises - lançait une attaque contre cette garnison, à laquelle la France ripostait, acte condamné quasi unanimement par les instances internationales. Un arrangement sera finalement trouvé en 1962, et la base évacuée l'année suivante. Enfin, le général de Gaulle - interrogé sur la question du Marché commun, et plus particulièrement sur celle de l'agriculture - indique dans quel sens la politique française doit s'orienter quant à l'union économique de l'Europe. En décembre 1961 en effet, s'ouvrira le premier "marathon agricole" qui verra la mise en place d'un accord sur une Politique agricole commune (PAC) en janvier 1962. Mais, cette étape sera vite suivie par des obstacles, notamment à cause du refus du général de Gaulle de voir entrer la Grande-Bretagne dans le Marché commun.

Aude Vassallo

Transcription

Charles de Gaulle
Messieurs, je pense que nous aurons à parler d'un certain nombre de choses, sur des objets fort importants, et le mieux que nous ayons à faire, à mon sens, c'est d'organiser notre entretien, notre conférence. C'est pourquoi je m'en vais tout simplement, pour commencer, demander à ceux d'entre vous qui ont des questions déterminées à poser, d'avoir l'obligeance de se lever, et de m'en donner dès à présent connaissance, de façon que nous mettions nos affaires en ordre. Alors je vous en prie, messieurs, ceux d'entre vous qui ont quelques questions à me poser, je leur demande de me les poser dès à présent.
Journaliste 1
Monsieur le président, quelle est la position de la France à l'égard des gouvernements qui viennent de reconnaître le GPRA ?
Charles de Gaulle
Oui.
Journaliste 2
Monsieur le président, pensez-vous qu'on peut éviter un conflit mondial au sujet de l'Allemagne et de Berlin, et dans quelles conditions ? Et par ailleurs, est-ce que vous estimez que la reprise des essais nucléaires par l'Union soviétique rend la recherche d'une solution pacifique plus difficile, moins difficile, ou bien il n'y a pas énormément d'importance ?
Charles de Gaulle
Bien. Je vous en prie.
Journaliste 3
Monsieur le président, le Général de Gaulle juge-t-il souhaitable, ou opportun, qu'un acte international vienne consacrer le tracé actuel des frontières allemandes, et en garantir le respect ?
Charles de Gaulle
Bien. Et encore ? Je vous en prie.
Journaliste 4
[inaudible] de maintenir la base de Bizerte au service de la défense occidentale, avez-vous pris en considération la possibilité de négocier sa cession aux forces de l'OTAN ?
Charles de Gaulle
Bien.
Journaliste 5
[inaudible] souveraineté sur le Sahara ?
Charles de Gaulle
Bien.
Journaliste 6
L'action de l'ONU au Katanga est-elle conforme au droit à l'autodétermination ?
Charles de Gaulle
Oui.
Journaliste 7
[inaudible].
Charles de Gaulle
Fort bien.
Journaliste 8
Monsieur le président, il y a quatre semaines, à un dîner à l'Elysée, vous avez dit aux parlementaires que vous vouliez vous débarasser de la question algérienne avant la fin de cette année.
Charles de Gaulle
Est-ce vous débarasser... Comment résoudre le problème algérien ? Bien madame. Et encore ?
Journaliste 9
Est-ce que le général de Gaulle approuve la décision brittanique d'adhérer au Marché Commun ?
Charles de Gaulle
Bien. Et encore ?
Journaliste 10
Monsieur le président, est-ce que vous estimez, estimez-vous, plus exactement, que l'armée a surmonté la crise issue du 22 avril ?
Charles de Gaulle
Bien.
Journaliste 11
Monsieur le président...
Charles de Gaulle
oui ? Je vous en prie.
Journaliste 11
Monsieur le président, qu'est-ce que c'est la position française en ce qui concerne la proposition anglo-américaine sur la suspension des essais nucléaires en atmosphère ?
Charles de Gaulle
Bien. Ceci se ramène à ce que nous avons entendu déjà. Je vous en prie.
Journaliste 12
[inaudible] du prochain contingent.
Charles de Gaulle
Bien. Et puis ?
Journaliste 13
[inaudible] économique, si vous permettez. Estimez-vous que devant le mécontentement actuel renaissant des milieux agricoles, il y ait lieu d'envisager une modification de la politique d'ensemble de votre gouvernement en vue d'accélerer la réforme et la modernisation des structures ?
Charles de Gaulle
Bien.
Journaliste 14
[inaudible].
Charles de Gaulle
Bien. Alors, alors je vois que tout ça fait un ensemble, du reste très cohérent, et dont je dois vous dire qu'il ne me surprend pas. Il y a ce qui se rapporte, sous une forme ou sous une autre, à la situation internationale actuelle, à l'occasion de l'affaire de Berlin, et de tout ce qui s'y rapporte. C'est un premier sujet. Il y a, naturellement, l'affaire algérienne, à divers égards, c'en est un autre. Il y a la question de Bizerte, c'en est un troisième. Et alors, il y a l'affaire agricole. Et puis, alors, quelques annexes concernant l'armée, concernant les essais nucléaires ou leur suspension, et ainsi de suite. Et bien, nous allons aborder ces sujets les uns après les autres. Nous allons commencer, si vous le voulez bien, par la question extérieure, la plus importante, celle que vous avez bien voulu me poser, monsieur, le premier, au sujet de l'affaire de Berlin. Je vais vous demander de renouveler votre question, et j'y répondrai.
Journaliste 2
[inaudible] un conflit mondial au sujet de l'Allemagne et de Berlin peut être évité, et dans quelles conditions ? Et ma question connexe était, concernait les essais nucléaires soviétiques. Je vous avait demandé si vous estimiez que ces essais rendaient la recherche de la paix plus difficile, moins difficile, ou bien il n'y avait pas énormément d'importance dans ce sens ?
Charles de Gaulle
On peut en effet se demander pourquoi les Soviets ont pris tout à coup le prétexte de Berlin pour exiger que le statut de la ville soit changé, de gré ou de force. On peut se demander aussi pourquoi cette situation de Berlin, qui leur paraît tolérable depuis seize ans, et qu'ils ont eux-mêmes organisée, instituée, avec les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, à la réunion de Potsdam - où la France d'ailleurs, n'était pas -, pourquoi cette situation leur paraît tout à coup intolérable ? On peut se demander pourquoi ils assortissent tout à coup leurs exigences de menaces épouvantables ? On peut se demander s'il y a quelqu'un qui croit vraiment qu'il y ait un danger de la part de la République fédérale allemande telle qu'elle est, vis-à-vis de la Russie actuelle. Et on peut se demander enfin s'il y a vraiment un Soviétique qui le croit, puisque le Kremlin déclare qu'il est en mesure d'écraser totalement et immédiatement sous des bombes qui valent, paraît-il, cent millions de tonnes d'explosifs, quiconque lèverait la main sur le monde communiste. En vérité, il y a dans cette, dans ce tumulte d'imprécations et de sommations organisé par les Soviets, quelque chose de tellement arbitraire et tellement artificiel, qu'on est conduit à l'attribuer, ou bien au déchaînement prémédité d'ambitions frénétiques, ou bien à un dérivatif à de grandes difficultés. Cette deuxième hypothèse me paraît d'autant plus plausible qu'en dépit des contraintes de l'isolement et des actes de force dans lequel le régime communiste enferme les pays qui sont sous son joug, et malgré certaines réussites collectives qu'il a réalisé, en prélevant sur la substance de ces sujets, en fait, ces lacunes, ces défaillances, ces échecs internes, et par-dessus tout, son caractère d'écrasement inhumain, sont ressentis de plus en plus par des élites et des masses, qu'il est de plus en plus malaisé de leurrer et de courber. Et puis aussi, les satellites, que le régime soviétique tient sous sa loi, éprouvent de plus en plus dans leur sentiment national ce qu'il y a de cruel dans l'annexion qu'ils ont subie. Alors, on comprend que dans ces conditions, les Soviets considèrent que l'affaire de Berlin peut être une occasion appropriée pour se donner le change et pour le donner aux autres. Et en effet, là où Berlin est situé, il leur est relativement facile de faire des manifestations sur place, et les mesures de contrainte qu'ils prennent entraînent pour eux des risques limités. Et puis, ils peuvent penser que les Etats-Unis, l'Angleterre et la France se laisseront glisser à quelque découragement, à quelque résignation, et qu'ainsi le recul de ces trois puissances amènera un coup grave pour l'alliance atlantique, que par-dessus tout, devant le monde entier, il apparaîtra que le régime totalitaire, le camp totalitaire devant un occident incertain et divisé, est décidément le plus fort. Or, justement, ce n'est pas vrai. Assurément, les Soviets disposent d'armements nucléaires terribles, mais les Occidentaux en ont aussi de formidables. Si le conflit mondial devait éclater, la mise en oeuvre des forces de destruction entraînerait, en particulier, sans aucun doute, le bouleversement complet de la Russie et des pays qui sont en proie au communisme. A quoi bon régner sur des morts ? Et puis du reste, le règne serait terminé aussi, parce que, dans ce désastre, l'armature serait brisée, l'armature d'un régime qui ne tient qu'en vertu d'un appareil d'autorité, d'activité, et de police, rigidement planifié, et implacablement imposé. Cela d'ailleurs, les dirigeants soviétiques le savent, malgré toutes leurs vantardises. Alors, les puissances occidentales n'ont aucune raison de ne pas considérer avec un oeil clair et un coeur ferme les manifestations soviétiques. Il est vrai, je le répète, que localement, à Berlin, l'action de force qui serait engagée, pourrait provoquer, pourrait procurer aux Soviets, quelque avantage, parce qu'il serait évidemment difficile aux puissances occidentales d'agir, en partant de loin, sur le sol et dans le ciel de l'ancienne capitale allemande. Mais les Occidentaux pourraient fort bien riposter sur des mers et dans des ciels du monde que parcourent des navires ou des avions soviétiques qui eux aussi seraient loin de leurs bases. Il y aurait alors un échange de mauvais procédés qui ne se terminerait sans doute pas au bénéfice des Soviets. Bref, si ceux-ci veulent, par la force, réduire les positions et couper les communications des Alliés à Berlin, les Alliés doivent, par la force, maintenir leurs positions et maintenir leurs communications. Assurément, de fil en aiguille, comme on dit, et si tout cela fait multiplier les actes hostiles des Soviets, actes auxquels il faudrait répondre, on pourrait en venir à la guerre générale. Mais alors, c'est que les Soviets l'auraient délibérément voulue, et dans ce cas, tout recul préalable de l'Occident n'aurait servi qu'à l'affaiblir et à le diviser, et sans empêcher l'échéance. A un certain point de menace de la part d'un impérialisme ambitieux, tout recul a pour effet de surexciter l'agresseur, de le pousser à redoubler sa pression, et finalement, facilite et hâte son assaut. Au total, actuellement, les puissances occidentales n'ont pas de meilleur moyen de servir la paix du monde que de rester droites et fermes. Est-ce que ça veut dire que pour toujours les deux camps devront s'opposer ? Ce n'est pas du tout ce que pense la France, parce que ce serait vraiment très bête, et que ce serait vraiment très cher. Si le conflit mondial doit éclater, alors le progrès mécanique moderne aura abouti à la mort ! Sinon, c'est la paix qu'il faut tenter de faire ! Que les Soviets cessent de menacer, qu'ils aident la détente à s'établir, au lieu de l'empêcher, qu'ils favorisent une atmosphère internationale pacifique, tandis qu'ils la rendent étouffante. Alors, il sera possible aux trois puissances de l'Occident d'étudier, avec eux, tous les problèmes du monde et, notamment, celui de l'Allemagne. Et dans ce cas, on pourrait compter que la France ménagerait des solutions. C'est qu'en effet, la France qui, pour sa part, n'est pas disposée à céder aux menaces de l'empire totalitaire, la France garde cependant sincère et profonde son amitié pour les pays qui vivent dans cet Empire. Et puis, la France croit que la civilisation moderne n'a d'avenir que par l'entente et puis la coopération, et enfin l'osmose des pays qui l'ont faite et qui continuent de la faire, qui l'ont répandue sur la terre et qui continuent de l'y répandre et, avant tout, de tous les peuples européens. Voilà ce que je puis vous répondre, monsieur. Quant à la seconde question, ou à son corollaire de la première, que vous m'avez posée, au sujet des expériences atomiques, je vous répondrai simplement ceci : la France sait qu'une conférence est engagée depuis longtemps à Genève entre les trois Etats qui ont des armements atomiques énormes. Cette conférence nous est toujours apparue comme devant faire partie d'un ensemble qui s'appelle le désarmement et, plus particulièrement, le désarmement atomique. Pour tout ce qui, effectivement, tendrait au désaremement atomique, la France coopérerait sans aucun doute. Voilà ce que je peux vous dire pour le moment. Quelqu'un m'a parlé de l'Algérie, et même plusieurs, je serai heureux qu'on me renouvelle, qu'on me répète les questions qui ont été posées.
Journaliste 1
Quelle est la position de la France à l'égard des gouvernements qui ont reconnu le GPRA ?
Charles de Gaulle
Bien, il y avait une autre question sur l'ensemble de la question, je vous en prie. Oui.
Journaliste 7
[inaudible]
Charles de Gaulle
Et enfin, madame, vous aviez demandé quelque chose sur la question algérienne.
Journaliste 8
Comment vous vouliez vous débarasser de la question algérienne avant la fin de cette année ?
Charles de Gaulle
Parfaitement.
Journaliste 8
En donnant l'indépendance à l'Algérie ?
Charles de Gaulle
Bien.
Journaliste 5
[inaudible] sur le Sahara.
Charles de Gaulle
Oui.
Journaliste 14
[inaudible] si vous envisagiez cette politique comme théoriquement infaillible, ou si vous envisagiez qu'elle puisse être soumise à l'épreuve des faits ?.
Charles de Gaulle
Bien, bien. Alors à tout cela, je m'en vais répondre. Je vais plutôt répéter que notre conception pour l'Algérie, je le répète, est complètement différente de celle que nous y avons pratiquée depuis la conquête, que nous y avions pratiqué depuis la conquête. et cela parce que les conditions françaises, algériennes, et mondiales de cette affaire ont elles mêmes complètement changé. Notre objectif n'est pas du tout de garder la responsabilité politique, administrative, et économique de l'Algérie. Cette politique-là, si elle a pu, en de tout autres temps, être peut-être, peut-être, peut-être, valable, aujourd'hui elle serait vaine et anachronique. Et nous ne croyons pas du tout que l'intérêt, que l'honneur, que l'avenir de la France soit lié au maintien, à l'époque où nous sommes, de sa domination sur des populations dont la grande majorité ne fait pas partie de son peuple, et que tout porte, et portera de plus en plus, à s'affranchir et à s'appartenir. Cela, il faut le comprendre, et il faut l'avoir dans l'esprit, quand on épilogue sur la pensée du chef de l'Etat dans la matière. Encore une fois, nous sommes un pays en pleine révolution, qui sait que la source de la prospérité et de la puissance, c'est son propre développement, qui a besoin de ses moyens chez lui pour y parvenir, et qui n'entend pas les engouffrer indéfiniment dans des tâches sans issue. Bref, le métier d'être les posseseurs et les nourrisseurs de cette région, nous n'y tenons pas du tout. Bien entendu, nous n'excluons pas que ce dégagement aboutisse à une coopération, comme cela a eu lieu, ailleurs, mais cette coopération, pour désirable qu'elle nous paraisse, et surtout dans l'ordre du sentiment, cette coopération ne nous est nullement nécessaire. Nous n'y tenons que dans la mesure où elle comporterait échange et compréhension. Alors, le problème algérien se ramène pour nous à trois termes essentiels : l'institution d'un Etat algérien, les rapports de la France avec cet Etat et, comme vous l'avez proposé, monsieur, l'avenir du Sahara. L'institution d'un Etat algérien. Un tel Etat, d'où peut-il sortir ? Normalement, il ne peut sortir que de l'autodétermination, c'est-à-dire du suffrage des habitants, parce qu'il n'existe pas de légitimité et de souveraineté algérienne antérieure à la conquête et à qui on puisse s'en remettre, comme on l'a fait en Tunisie ou au Maroc. Et cette autodétermination, cela veut dire un référendum qui instituera l'Etat algérien, et puis ensuite des élections, d'où sortira le gouvernement définitif. Mais nous ne voulons pas que la libre disposition, au cas où elle aurait lieu, que la libre disposition, je dis bien, procède directement de l'autorité française. Car alors, nous nous serions encore accrochés vainement, alors que ce dont il s'agit, c'est du dégagement. Dans ces conditions, ce n'est qu'un pouvoir provisoire algérien qui peut mener le pays à l'autodétermination et aux élections. Encore faut-il, bien sûr, que ce pouvoir ait assez de consistance et assez d'audience, et aussi qu'il se soit mis en accord avec nous sur les conditions de l'opération. On avait pu imaginer - peut-être peut-on encore - imaginer que le FLN, pourvu que tous les combats et les attentats aient cessé, ferait partie d'un tel organisme. Et d'ailleurs, c'était là un des objet principaux des conversations que nous avons tenté d'engager avec ses représentants. Faute que cela puisse se faire, il n'y a pas d'autre source concevable pour l'exécutif algérien que l'ensemble des élus, et cet exécutif, sa tâche immédiate serait de conduire le pays, encore une fois, au référendum et aux élections, avec sans doute, la mise à sa disposition d'une force d'ordre locale. Si, à la longue, et en définitive, malgré ce que propose la France et ce qu'elle compte encore proposer, on ne pouvait pas aboutir à ce que des Algériens veuillent et puissent conduire l'Algérie à sa propre décision, alors il faudrait bien que nous en tirions les conséquences. Et, en effet, pour la France, la situation actuelle en Algérie ne peut pas durer toujours et d'autre part, le succès de nos armes sur le terrain, qui nous assure l'entière liberté de nos décisions et de nos mouvements, nous ne sommes pas certains que la situation internationale nous la laissera garder entière indéfiniment. C'est pourquoi, dans l'hypothèse que je dis, nous serions amenés à regrouper dans une région déterminée les Algériens de souche eruopéenne et ceux des musulmans qui voudraient rester avec la France. Après, on y verrait sans doute plus clair. D'autant plus que, parmi ces éléments, ceux qui en exprimeraient le désir seraient amenés dans la métropole où leur implantation et leur situation future doivent être réglées incessamment. Quant aux territoires que nous laisserions à eux-mêmes, il va de soi que les crédits de fonctionnement et d'investissement qui leurs sont à présent consacrés seraient bloqués. D'autres que nous prendraient, auraient à répondre de la vie des populations. Il y a l'affaire du Sahara. Pour ce qui est du Sahara, notre ligne de conduite, c'est celle qui sauvegarde nos intérêts et qui tient compte des réalités. Quels sont nos intérêts ? Nos intérêts, c'est la libre exploitation du pétrole et du gaz que nous avons découverts, ou que nous découvririons. C'est la disposition de terrains d'aviation et de droits de circulation pour nos communications avec l'Afrique Noire. Les réalités ? Les réalités c'est que, il n'y a pas un seul Algérien, je le sais, qui ne pense que le Sahara doit faire partie de l'Algérie, et qu'il n'y aurait pas un seul gouvernement algérien, quelle que soit son orientation par rapport à la France, qui ne doive revendiquer sans relâche la souveraineté algérienne sur le Sahara. Et puis enfin, le fait que si un Etat algérien est institué, et qu'il est associé à la France, la grande majorité des populations sahariennes tendront à s'y rattacher, même si elles ne l'ont pas explicitement réclamé d'avance. C'est dire que dans le débat franco-algérien, qu'il se ranime avec le FLN, ou qu'il s'engage avec un autre organisme, représentatif celui-là, des élus, la question de la souveraineté du Sahara n'a pas à être considérée. Tout au moins, elle ne l'est pas par la France. Ca peut servir de slogan, de panneau, pour une propagande. En ce qui concerne la France, c'est un coup d'épée dans l'eau. Mais ce qui nous intéresse, c'est qu'il sorte de ces accords, s'ils doivent se produire, une association qui sauvegarde nos intérêts. Si ni la sauvegarde ni l'association ne sont possibles du côté algérien, eh bien, il nous faudra, de toutes ces pierres et de tous ces sables, faire quelque chose de particulier aussi longtemps et pour autant que, pour nous, l'inconvénient ne sera pas supérieur à l'avantage. De toute façon, bien entendu, il faudra que les populations algériennes soient consultées sur leur sort et dans des conditions conformes à leur dispersion et à leur diversité. Ces populations algériennes, étant donné que le Sahara, figurez-vous, c'est un désert, elles sont en nombre infime et rarissime. Voilà ce que je voulais dire sur tout cet ensemble algérien. On m'a parlé de Bizerte. Je voudrais savoir qui l'avait fait. Je vous en prie.
Journaliste 4
Etant donné votre préoccupation de maintenir la base de Bizerte au service de la défense occidentale, avez-vous pris en considération la possibilité de négocier sa cession aux forces de l'OTAN ?
Charles de Gaulle
Bizerte n'a jamais été couvert par l'OTAN et je ne crois pas que Bizerte le sera jamais. Ca n'est pas dans la nature de l'organisation dont vous parlez. Le fait est que, quand on veut se faire un jugement qui ne soit pas de parti pris sur cette affaire de Bizerte, moi je recommande qu'on regarde la carte. Alors on voit Bizerte occupant une situation exceptionnelle, là où la Méditerranée se resserre, entre ses deux bassins, l'oriental et l'occidental. Les pays qui bordent le second, c'est-à-dire l'occidental, pour eux, il y a la perspective d'une agression qui viendrait de l'autre, c'est-à-dire de l'oriental, et ils ne peuvent pas ne pas l'envisager. D'autant plus que la situation du monde est dominée tous les jours, à tous les instants, par la perspective d'une guerre que l'Est déclencherait contre l'Ouest. Et puis sur la carte, il faut regarder où se trouve la France. La France qui, en cas d'intervention adverse dans ces parages, serait intéréssée d'une manière vitale à ce qu'il arriverait militairement et politiquement aux riverains qui sont proches de son territoire. La France qui serait, de toute manière, impliquée d'une manière directe, dans la défense des deux bords de la Méditerranée. Alors, quand on a considéré ces réalités-là, on comprend que la France ne veuille pas et ne puisse pas, dans la situation du monde telle qu'elle est, s'exposer elle-même, exposer l'Europe, exposer le monde libre, à l'éventualité d'une saisie de Bizerte par des forces hostiles. Voilà pourquoi la France a établi une base à Bizerte, et qu'elle y a maintenu jusqu'aux derniers événements, la garnison minimum indispensable pour éviter que Bizerte ne puisse être prise par un coup de main. Cette base n'a rien qui menace ni qui fasse pression sur la Tunisie, elle est entièrement tournée vers la mer, et pas du tout vers l'extérieur. Au milieu des installations, il y a deux villes, Bizerte et Mensel-Bourguiba, qui étaient administrées normalement par les Tunisiens et occupées par leurs troupes. L'arsenal est en pleine ville tunisienne. Il y a des milliers de Tunisiens qui, avant les événements, travaillaient dans l'arsenal ou bien sur les terrains militaires, et le goulet qui fait communiquer la base avec la mer était tenu par les Tunisiens. Quand nous avons, en 1954, quand la France a, de sa propre initiative, conclu avec le gouvernement beylical, le traité qui remplaçait le protectorat, quand elle a reconnu, en 1956, l'indépendance de la Tunisie, et quand j'ai moi-même, en 1958, prescrit le retrait de toutes les forces françaises qui se trouvaient encore dans ce pays, nous n'avons jamais, à un seul moment, laissé de doute dans l'esprit des Tunisiens, que tout en prennant à leur égard cette voie, qui était bien celle de l'amitié, nous comptions continuer à utiliser la base de Bizerte, tant que le danger mondial serait ce qu'il est. Naturellement, ça ne nous empêchait pas de proposer aux Tunisiens, comme nous le faisons constamment, de régler avec nous les conditions d'utilisation de cette base. Et nous leur remettions, au fur et à mesure, toutes espèces d'installations et de casernes qui n'étaient pas indispensable à l'emploi éventuel des organisations. Et par-dessus tout, nous entretenions avec la Tunisie tout un ensemble de rapports politiques, économiques, culturels, humains, dont le moins qu'on puisse dire, c'est qu'ils n'étaient pas à son détriment. Du côté de Tunis, nous pouvions penser que, tout en proclamant la souveraineté de la Tunisie sur Bizerte, souveraineté qui n'a jamais été contestée en principe du côté français et qui ne l'est pas, et tout en déclarant que il faudrait qu'un jour soit négocié le retrait des troupes françaises, on comprenait que la situation générale ne comportait pas actuellement cette issue. Et l'échange de lettres qui a eu lieu le 17 juin 1958 entre mon gouvernement et celui de Tunis, et qui a réglé ce retrait des forces françaises dont je parlais tout à l'heure, cet échange de lettres, exceptait Bizerte de ce retrait, et réservait explicitement ce cas. On pouvait donc croire, encore une fois, du côté français, que c'était une sorte d'engagement à l'expectative et à la temporisation. Quand le Président de la République tunisienne a été reçu par moi-même à Rambouillet, le 27 février dernier, et que la question de Bizerte est venue dans nos entretiens, je lui ai dit, de la façon la plus nette, que la situation étant ce qu'elle était, la France ne pouvait et ne voulait pas quitter Bizerte. Et je dois dire qu'il m'a paru s'en accomoder. Et du reste, après nos conversations, il s'est répandu en déclarations amicales à notre égard, et même il a dit à plusieurs reprises que pour le Maghreb la question essentielle, c'était le règlement de la question, de l'affaire algérienne, et tant que ça n'aurait pas abouti, il ne poserait pas, lui, la question de Bizerte pour ne pas ajouter à la complication des choses. Alors, pour des raisons qui tiennent probablement à ce qui se passe dans l'univers arabe, la République tunisienne a tout à coup changé de ton et de chanson. C'a été les menaces, et puis les sommations, et puis l'agression. Il faut dire, que dans les entretiens de Rambouillet, le président de la République tunisienne avait réclamé au Sahara une rectification de frontière en faveur de la Tunisie et aux dépens de l'Algérie. Cette rectification de frontière devant ménager, en quelque sorte, un accès futur à la Tunisie vers le Sahara. Et du reste, monsieur Bourguiba ne cachait pas que ce n'était là qu'une étape, et qu'il visait, au plus profond du désert, la région d'Edjélé où se trouvent, comme on sait, d'importants gisements de pétrole. Je remarque en passant que la région d'Edjélé n'a jamais été habitée par qui que ce soit, avant que les Français n'y aient placé leurs implantations et leurs recherches. Mais enfin, il y avait là un signe de plus de cet intérêt passionné et soudain, qui est porté maintenant par d'autres que des nomades très clairsemés, des explorateurs épisodiques de grottes, ou des touristes passagers, au désert saharien. Mais j'ajoute que il semblait, tout se passait comme si la décision amicale que mon gouvernement avait prise en 1958 à l'égard de la Tunisie, de faire aboutir l'oléoduc d'Edjélé en Tunisie, au lieu de le diriger sur l'Algérie, comme celui d'Hassi-Messaoud, ce qui procurait à l'Etat tunisien - en définitive aux frais de la France - des redevances qui n'étaient pas négligeables, et bien ça servait comme d'un titre à l'Etat tunisien pour réclamer la source du pactole. Nous avons fait connaître, à l'époque, à M.Bourguiba, que du moment que nous étions en train d'aider à naître un Etat algérien qui ne pourrait pas ne pas être intéréssé au premier chef par le Sahara, et pendant que nous étions en train aussi, de consacrer dans le désert beaucoup de nos initiatives et beaucoup de nos investissements, et bien nous n'allions pas inconsidérément découper les pierres et les sables, leur souveraineté, et la distribuer en tranches. La question du Sahara ne pouvait pas être étudiée normalement et réglée à ce moment-là avec la Tunisie. Alors, je le répète, c'est alors qu'il y a eu cette agression tunisienne, d'une part sur notre territoire, au Sahara, et d'autre part sur nos installations à Bizerte. Et en même temps, il y avait toutes sortes de séquestrations, de spoliations et d'humiliations à l'égard d'un certain nombre de nos compatriotes qui vivent en Tunisie. Dans ces conditions, nous n'avions rien d'autre à faire, et nous n'avons rien fait d'autre, que de maintenir l'intégrité de notre territoire au Sahara, et de rétablir les conditions d'utilisation de la base de Bizerte. Et, bien sûr, nous le ferons encore, le cas échéant. Mais nous ne cessons pas, depuis longtemps, et encore récemment,d'inviter le gouvernement tunisien à conclure avec nous, d'abord un modus vivendi pour Bizerte, et ensuite d'entamer des négociations sur les conditions d'utilisation de la base dans la période dangereuse que court le monde actuellement. Alors on me dit, vous en avez parlé tout à l'heure, que il y avait eu une discussion et le vote d'une motion par l'organisation des Nations dites "Unies". Je ne crois pas nécessaire d'indiquer qu'étant donné la façon dont cette organisation est maintenant composée, et aussi les courants haineux, frénétiques ou chimériques qui l'agitent, et aussi le fait qu'elle est en contradiction, en violation permanente de sa propre charte, nous n'allons pas lui reconnaître aucune espèce de droit d'arbitrage ni de juridiction. Quand tous les mots qu'on y a prodigués sur le sujet se seront évanouis, après tant et tant d'autres, il restera les réalités. Puisse Tunis en tenir compte pour régler, pour trouver avec Paris un arrangement qui soit conforme au bon sens ! C'est là le souhait de la France. Quelqu'un m'a parlé de notre agriculture, et des mouvements qui s'y produisaient ou qui risquaient de s'y produire, n'est-il pas vrai ? Voulez-vous me répéter votre question ?
Journaliste 13
Oui, monsieur le président, je m'excuse d'ailleurs de rompre l'unité de cette conférence en parlant agriculture...
Charles de Gaulle
Mais tout se tient, vous savez !
Journaliste 13
Les milieux agricoles semblent avoir pris conscience de leur retard par rapport aux secteurs en expansion dans l'économie. De son côté, votre gouvernement semble avoir pris conscience également de ces retards vis-à-vis du secteur agricole, et il a pris un certain nombre de mesures non négligeables mais, c'est un fait, qui n'ont pas donné satisfaction aux bénéficiaires. Dans ces conditions, monsieur le président, envisagez-vous de repenser l'ensemble de la politqiue agricole du gouvernement en vue d'accélérer les rythmes de modernisation de l'agriculture et d'intégration du secteur agricole, non seulement dans l'économie, mais dans la vie culturelle, technique et sociale du pays ?
Charles de Gaulle
Oui, ce qui se passe, vous avez raison de l'évoquer, ce qui se passe, c'est que l'agriculture française se trouve à son tour saisie par les facteurs de transformation qui dominent notre époque. En ce qui la concerne, il s'agit de la nécessité d'adapter ses structures et ses organisations aux conditions de la qualité et du rendement, et de la concurrence. Et puis alors il y a, là comme partout, une poussée générale vers un meilleur niveau de vie, vers une sécurité sociale mieux assurée, vers une instruction plus complète. Bref, l'agriculture est saisie par l'évolution, comme l'industrie l'est, et du reste se développe en conséquence - je parle de l'industrie - et comme il faudra bien que le commerce en fasse autant. Cette évolution indispensable de l'agriculture, c'est son intérêt, et c'est aussi l'intérêt du pays, c'est surtout l'intérêt du pays, qui veut que cette branche si importante ne soit pas, comme on dit, à la traîne, et qu'elle soit un élément équilibré, moderne, de son activité, de son activité économique. Alors, naturellement, ce sujet-là est l'un de ceux qui occupent principalement l'Etat, son chef, et son gouvernement, qui veulent que l'intérêt national profite de ce mouvement qui se fait jour pour le progrès et pour la rénovation parmi nos ruraux. La politique valable pour la collectivité française dans cette affaire, c'est celle qui pousse et qui aide l'agriculture à se transformer. C'est le grand effort d'orientation et d'équipement qui a été commencé, entamé l'année dernière par les pouvoirs publics, sur une échelle qui n'avait jamais été vue. Ca consiste, pour l'Etat, à déterminer les exploitations, à adopter des structures, des dimensions, des productions qui puissent les rendre toutes rentables. Ca consiste à amener les agriculteurs eux-mêmes à s'organiser, à organiser leur marché pour acheter et pour vendre, en limitant les intermédiaires, à établir les installations qui permettent de conserver et de conditionner les produits, de façon à pouvoir les offrir, au moment opportun, et sous une forme choisie. Et puis aussi, amener les agriculteurs à prendre à leur compte, à prendre eux-mêmes, ou à attribuer à un personnel qui soit le leur une large part des industries et des commerces qui exploitent les fruits de la terre. L'effort de l'Etat consiste aussi à faciliter l'implantation d'activités diverses dans les régions agricoles, de telle manière que ceux qui sont en trop dans la profession, en particulier des jeunes, à cause de la mécanisation, puissent s'employer sans quitter nécessairement le pays. Egalement, assurer sur place l'instruction de la jeunesse, une instruction qui vaille celle qu'on donne ailleurs, de telle sorte qu'un jeune homme, une jeune fille qui ne veut ou ne peut pas rester, comme on dit "à la terre", et bien trouve des chances égales à celles des autres. Améliorer aussi, certainement, la situation des agriculteurs en ce qui concerne la sécurité sociale, les allocations familiales, la retraite des vieux. Et poursuivre, poursuivre l'équipement, le programme d'équipement des campagnes pour l'eau, pour les logements, pour les écoles, pour les hôpitaux, pour les chemins, etc, voilà qui est valable et constructif. Encore une fois, c'est cette politique-là qui est en oeuvre depuis l'année dernière et que les pouvoirs publics doivent poursuivre, bien sûr dans la mesure où, dans d'autres domaines, cela leur est possible, compte tenu de l'équilibre général. Qu'est-ce que l'agriculture a à faire dans cette période dure de sa propre gestation ? C'est pas, évidemment, de se livrer à des démagogies partisanes, qui la conduiraient, et qui ne conduiraient le pays à rien qu'à des malheurs. Il s'agit qu'elle s'organise elle-même pour sa propre évolution. Du reste, je dois dire que je constate souvent, et que je sais, qu'à cet égard il y a beaucoup de choses qu'elle fait, déjà, et qu'elle projette de faire. C'est une très grande têche nationale, et j'ai confiance dans les pouvoirs publics, et dans les agriculteurs français, pour que cette tâche-là soit menée à bien. Quelqu'un m'avait demandé quelque chose encore, sur d'autres sujets, corrélatifs à ceux-là.
Journaliste 9
La décision de la Grande-Bretagne d'adhérer au Marché Commun, est-ce que vous l'approuvez ?
Charles de Gaulle
Ah, de tout temps, les participants au Marché Commun, qui sont six, ont souhaité que d'autres, et en particulier la Grande-Bretagne, se joignent au traité de Rome, qu'ils en assument les obligations et que, je pense, ils en reçoivent les avantages. Nous savons très bien quelle est la complexité du problème, mais il semble que tout porte maintenant à l'aborder, et pour ma part, je n'ai qu'à m'en féliciter, non seulement au point de vue de mon pays, mais je crois aussi au point de vue de l'Europe et, du même coup, au point de vue du monde. Et bien, mesdames, messieurs, je voudrais dire quelques mots pour conclure, si vous voulez bien. En réalité, la France est engagée dans un effort de rénovation, de renouvellement, plus grand qu'aucun de ceux qu'elle s'est jamais imposé. Elle poursuit son essort économique, technique, social, elle multiplie sa jeunesse et elle développe l'instruction. Elle achève outre-mer sa tâche pénible de décolonisation. Elle reprend son poids international. Elle modernise ses moyens de défense. Tout ça ne peut pas aller, ne va pas sans difficultés, sans secousses, parce que l'affaire elle-même est très dure. Et puis, nous revenons de très loin. Et puis, tout ce qu'il y a de partis pris, d'intérêts particuliers, de passions, de routines, se trouve inévitablement mis en cause. Comme l'Etat a subi de graves crises, depuis longtemps, et a subi un long abaissement, il advient que, dans les corps qui le servent, il y ait des négligences et des défaillances. Même, il y eut des dissidences. Comme les libertés, la liberté est maintenue dans tous les domaines, politique, presse, syndicats, les doléances, les critiques, les revendications se donnent aisément carrière. Comme les clans des rancunes, anciennes et nouvelles, ceux aussi du pessimisme foncier, ceux enfin de l'obéissance à l'étranger totalitaire, comme tous ces clans s'agitent simultanément à propos de tous les sujets, on sent quelquefois dans l'air quelque chose comme des entreprises de découragement public. Mais tout cela, ce n'est qu'une écume flottant sur les profondeurs. Quiconque, chez nous et au-dehors, a les yeux ouverts et l'oreille attentive se rend à l'évidence de notre progrès national. Alors, devant cette France, qui est stable et solide, s'affichent plus virulentes que jamais maintenant les prétentions soviétiques devant la France et devant le monde. On peut constater que notre pays se montre également ferme et serein vis-à-vis du trouble du dehors. Sans doute entre-t-il dans son attitude l'idée que le prétexte pris par les Soviets pour leur manifestation est tellement dérisoire par rapport aux malheurs qu'ils risquent de déclencher, qu'ils n'iront pas aux extrémités qui les détruiraient eux-mêmes, tandis qu'ils ravageraient les autres. Et puis, notre peuple, par instinct et par expérience, juge que c'est servir la paix du monde que de ne pas reculer devant ceux qui la menacent. D'autre part, ils pensent que des hommes libres, comme nous le sommes en France, ne doivent pas laisser asservir ceux qui veulent le demeurer. Mais, en même temps, notre peuple croit qu'un pays sûr de lui-même comme est le nôtre, doit se tenir prêt aux ententes, aux rapprochements, aux efforts en commun, que les grands Etats des deux côtés seront obligés d'entreprendre, à moins que la catastrophe n'éclate. Et notre peuple pense que dans ce cas, il pourra rendre un service signalé à l'univers. Telle est la France d'aujourd'hui. On peut déplorer que ses moyens relatifs ne soient pas égaux à ceux qui furent les siens en d'autres périodes de son histoire. Combien souvent, je puis le dire, j'en aurai éprouvé moi-même le chagrin et l'inconvénient ! Mais il n'en reste pas moins que dès à présent, pour peu que les Français persévèrent, ces moyens-là, ils les retrouveront. Il reste aussi qu'en attendant, au milieu des peuples, de tous les peuples qui portent chacun son fardeau, comme nous portons le nôtre, je crois que la nation française est vraiment digne de la France. Mesdames, messieurs, je vous remercie, j'ai terminé.
(Applaudissements)