Conférence de presse du 9 septembre 1965

09 septembre 1965
01h 29m 11s
Réf. 00384

Notice

Résumé :

Trois mois avant l'élection présidentielle qui doit avoir lieu en décembre, le général de Gaulle a convoqué les journalistes à l'Elysée. Il aborde les questions du développement économique et social de la France, du Marché commun, de la position de la France dans le monde, et des institutions françaises.

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Date de diffusion :
09 septembre 1965
Type de parole :
Conditions de tournage :

Éclairage

À trois mois de la première élection présidentielle au suffrage universel, le 9 septembre 1965, le général de Gaulle réalise sa treizième conférence de presse depuis qu'il est à la tête de la Cinquième République. C'est un exercice dont il a l'habitude : sorte de bilan prévisionnel effectué deux fois l'an, destiné à exposer les positions officielles de la France sur les grandes questions de l'heure, il s'agit aussi de s'adresser au peuple directement, sans intermédiaire, pour lui expliquer ce qui a été fait, et ce qui doit être encore accompli.

Tout d'abord questionné par un journaliste sur la prochaine élection, le général de Gaulle refuse de dire s'il demandera, ou non, le renouvellement de son mandat (il le fera en novembre, un mois à peine avant le rendez-vous électoral). Néanmoins, il développe longuement sa vision des Institutions de la Cinquième République et celle du rôle du chef de l'État. Au moment même de cette conférence de presse, François Mitterrand fait quant à lui savoir qu'il sera candidat à la présidence de la République.

Répondant aux questions sur la crise indo-pakistanaise (des affrontements opposent les deux pays pour le contrôle du Cachemire), le général de Gaulle rappelle que trois jours auparavant, le 6 septembre, la France votait, au sein du Conseil de sécurité de l'ONU, l'envoi du Secrétaire général sur place pour tenter d'apaiser la situation. Et en effet, un cessez-le-feu sera signé le 22 septembre.

Interrogé sur la situation économique et sociale de la France, qui s'inscrit dans la période des Trente Glorieuses (caractérisée par une expansion continue), de Gaulle plaide en faveur des actions de son gouvernement. Et il évoque le Vème Plan (1965-1975), élaboré sous la houlette du Commissariat général au Plan, et qui doit permettre de moderniser, d'industrialiser et d'équiper la France, afin qu'elle puisse affronter la concurrence internationale.

Le général de Gaulle aborde ensuite la délicate question du Marché commun, dont la construction subit alors une crise importante : en effet, le 30 juin 1965, la France n'a pu obtenir de ses partenaires européens que soient adoptés les règlements financiers agricoles, comme cela était normalement prévu. En conséquence, le 1er juillet, le gouvernement décidait que la France ne participerait plus aux travaux des Conseils des ministres des communautés, et rappelait son représentant permanent à Bruxelles : la crise " de la chaise vide " débutait (elle sera réglée en janvier 1966, par le compromis de Luxembourg).

Interrogé sur la politique internationale, le général de Gaulle aborde pêle-mêle le refus de la France de subir l'hégémonie des deux blocs, son désir d'inscrire l'Europe comme une troisième voie possible dans un monde bipolaire, sa condamnation des actions militaires américaines au Viêt Nam, son désir de voir un jour les pays de l'Est européen - satellites de l'URSS - s'affranchir de la domination de Moscou, et enfin, il prépare les esprits au prochain retrait des unités françaises du commandement intégré de l'OTAN et à l'évacuation de toutes les bases étrangères en France (annoncé officiellement en février 1966).

Aude Vassallo

Transcription

Charles de Gaulle
Mesdames et Messieurs, je vous en prie. Mesdames, Messieurs, je me félicite de vous voir. J'ai l'impression que notre réunion d'aujourd'hui revêt une espèce de relief particulier. Ca tient aux conjonctures, celles du monde, qui est en pleine gestation, et est troublé actuellement par maintes secousses. Celles de notre pays qui entreprend une nouvelle étape dans son progrès intérieur et extérieur. Et enfin celle qui est liée aux termes prochains de l'actuel septennat. C'est dans cet état d'esprit que je me trouve, tandis que je vous demande de bien vouloir formuler les questions que vous voudrez me poser. Je vous écoute, Mesdames, Messieurs.
Journaliste 1
Mon Général, puis-je vous demander quelles sont les critiques de la France à l'égard de l'organisation actuelle atlantique, et quelles sont ses intentions pour l'avenir ? Y a-t-il un projet français de réorganisation de l'Otan ?
Charles de Gaulle
Voilà pour l'Otan.
Journaliste 2
Mon Général, qu'avez-vous à dire au sujet du trouble actuel entre l'Inde et le Pakistan ?
Journaliste 3
Monsieur le Président, au terme de votre septennat et dans la perspective de la prochaine élection présidentielle, pouvez-vous porter un jugement sur les institutions de la cinquième république et notamment sur le rôle du président de la république ?
Journaliste 4
Monsieur le Président, quelle est la position de la France sur les questions de la sécurité européenne, dont les négociations sur le désarmement à Genève et les discussions au sein de l'OTAN ont fait un sujet d'inquiétude en Allemagne ?
Journaliste 5
Monsieur le Président, pouvez-vous nous dire si vous comptez vous présenter à l'élection du 5 décembre ?
Charles de Gaulle
Je vous réponds tout de suite que vous le saurez, je vous le promets, avant deux mois d'ici.
Journaliste 6
Mon Général, mes respects, ma question c'est : quelles sont selon vous les causes de la crise du Marché Commun, et comment pensez-vous qu'on puisse en sortir ?
Charles de Gaulle
Voilà pour le Marché Commun.
Journaliste 7
Mon Général, on enregistre depuis quelques temps des jugements contradictoires sur la situation économique. Les uns sont optimistes, les autres pessimistes. Pourriez-vous nous dire ce que vous en pensez et plus précisément quelles perspectives peut ouvrir le cinquième plan à cet égard ?
Journaliste 8
A la veille des élections présidentielles, puis-je vous demander ce que vous pensez de la gérontocratie et la croyez-vous conciliable avec l'exercice difficile du pouvoir ?
Journaliste 9
Le gouvernement français veut-il contribuer à une Europe unie qui soit autre chose qu'un vague club intergouvernemental ?
Journaliste 10
Monsieur le Président, est-ce que je peux vous demander quelle est la politique de la France au Moyen-Orient ?
Journaliste 11
Monsieur le Président, je voudrais savoir comment la France voit la poursuite des négociations Kennedy à Genève ?
Journaliste 12
Monsieur le Président, je voudrais prolonger la question de mon confrère sur le sujet indo-pakistanais, j'aimerais savoir si la France qui est alliée avec le Pakistan dans le cadre du traité de l'Otase, et par exemple l'Iran, dans le cadre du pacte du Sento, doivent prendre position pour les partenaires ou au contraire prêcher la conciliation ?
Charles de Gaulle
Sur la question que me posez relativement au conflit déplorable qui a lieu actuellement entre le Pakistan et l'Inde, je vous dirais simplement ceci aujourd'hui, que cela est encore une fois déplorable, Que dans l'immédiat il y a une procédure qui est engagée normalement par l'Organisation des Nations Unies et spécialement par son secrétaire général qui est sur place, et qu'on peut espérer que ces démarches parviendront à établir un cessez-le-feu. Ce ne sera naturellement qu'une solution provisoire. Quant au règlement définitif du problème, je vous en parlerai quand je serai amené à parler de l'ensemble de la politique française vis-à-vis du monde d'aujourd'hui.
Journaliste 13
Monsieur le Président, êtes-vous satisfait des développements sur le plan militaire et sur le plan du matériel militaire, sur le plan économique et spécialement dans la petite Europe, et sur le plan diplomatique, spécialement dans l'alignement des positions vis-à-vis des Etats-Unis, des conséquences du traité de coopération franco-allemand ?
Charles de Gaulle
Bien, je retiens tout cela. En somme, si je comprends bien les uns et les autres, vous m'interrogez d'abord sur le point où nous en sommes et ce vers quoi nous allons quant au point de vue économique et social. Voilà un premier point. En second lieu, on me parle du Marché Commun, plusieurs questions m'ont été posées et c'est bien explicable. On m'interroge aussi sur différentes questions concernant la politique de la France vis-à-vis du monde tel qu'il est, Il s'agit de l'Europe, il s'agit du conflit du sud-est asiatique, il s'agit d'autres sujets encore. Et enfin, vous me parlez du septennat et du régime par rapport au septennat. Je vous répondrai sur ces différentes questions. Oui, abrégeons je vous en prie pour les questions, je ne crois pas que vous en gagniez d'autres qui soient très différentes des sujets que vous avez évoqué.
Journaliste 14
Monsieur le président, la diplomatie de la France repose sur le principe de l'indépendance nationale. Les adversaires de ce principe disent qu'il est dépassé. Peut-on, Monsieur le Président, le concilier ce principe et cette politique d'indépendance nationale avec les aspirations des peuples vers une plus grande unité, en Europe et hors d'Europe ?
Charles de Gaulle
Madame, je vous répondrai quand je m'en vais parler de l'Europe je vous promets de le faire. Alors, nous abordons le premier sujet, c'est-à-dire celui qui concerne notre situation économique et sociale, les conditions de notre développement à cet égard, les objectifs que nous voulons atteindre, et les actions que nous devons mener pour les atteindre. Je ne crois pas que jamais les études, les discussions, les conclusions relatives à cet ensemble aient été aussi méthodiques et aussi approfondies qu'ils l'auront été cette année. L'élaboration du cinquième plan par le commissariat général et par ses diverses commissions, la collaboration des commissions de développement économique régionale qui apparaissent dans la matière pour la première fois, Les décisions prises par les gouvernements, les débats qui ont eu lieu ou qui vont s'engager au conseil économique et social, ou qui formule ses avis sur l'ensemble des dispositions qui sont proposées, Et puis ensuite au Parlement pour qu'il en fasse une loi, tout ça accompagné par toutes les voies de l'information, ont permis de fixer en connaissance de cause le point où nous en sommes, et vers quoi nous allons. A cet égard, il y a sans aucun doute un progrès décisif de la planification, telle que nous l'avions adoptée et instituée lors de la Libération, dans l'état lamentable où nous étions alors, et puis ensuite passablement négligée. Au temps où notre vie économique dépendait pour une large part des prêts que nous fournissait l'étranger, enfin remise en vigueur et en honneur depuis que nous avons repris notre indépendance dans ce domaine là comme dans les autres. Mais on peut être indépendant de deux manières très différentes. Ou bien on peut s'enfermer derrière des remparts, et quand il s'agit d'économie, se couvrir de barrières douanières. Ou bien on peut affronter les moyens et les capacités d'autrui et si on parle d'échanges, ouvrir et multiplier les relations internationales. Comme pour nous qui sommes accoutumés au protectionnisme par une longue facilité, comme aussi les marchés nouveaux sont à l'extérieur de chez nous, et comme dans le monde entier la présence suit la marchandise et que nous devons être présents partout, Nous avons, en prenant certaines précautions à l'égard de tel ou tel pays qui ont beaucoup de surplus, ou bien en pratiquant des préférences vis-à-vis de nos partenaires du Marché Commun européen, Ou vis-à-vis des pays d'Afrique qui sont liés à nous par des accords particuliers, nous avons, dis-je, choisi de vivre en état de concurrence. Cette concurrence, encore faut-il la soutenir et même en tirer profit. C'est dire que tout tient à ce que vaut notre appareil de production par rapport à celui des autres. Et c'est pourquoi notre effort collectif pendant les années qui viennent va consister en particulier à rendre cet appareil décidément compétitif. L'indépendance et la puissance économiques de la France en dépendent directement. Tandis que l'élévation du revenu national et celle du niveau de vie seront les conséquences. Voilà devant quoi nous nous trouvons dans la perspective actuelle. Améliorer notre appareil collectif de production. Mais étant donné que nous sommes devant de grandes capacités industrielles et agricoles qui nous entourent, eh ! bien nous ne pouvons pas adapter nos moyens sans un vaste effort d'investissement. Investissement au plan de l'Etat, cela veut dire que ce qu'il consacre au fonctionnement des administrations et des services publics doit être aussi réduit que possible, par rapport à ce qu'il fait pour l'équipement du pays. Et dans les dépenses relatives à cette catégorie, je veux dire l'équipement du pays, la priorité doit appartenir à celle qui contribue plus directement à améliorer la productivité nationale. Je veux dire la recherche scientifique et technique, je veux dire les communications de toute nature, je veux dire l'enseignement technique et je veux dire la formation professionnelle. Oui dans les années qui viennent, on va voir la France à un bon rang dans le peloton mondial de tête pour ce qui concerne le personnel et les moyens d'invention, d'expérimentation, d'application. On va la voir activer la construction de ses autoroutes, si exceptionnellement bonnes et nombreuses que soient ses routes secondaires. Et on va la voir développer son réseau téléphonique. On va la voir mettre ses collèges, lycées, instituts techniques au même plan que les classiques. Comme il convient à un pays qui veut avoir à tous les étages de son activité des cadres multiples et qualifiés. On va la voir assurer plus largement qu'aujourd'hui à ses jeunes gens et à ses adultes la possibilité soit de bien apprendre un métier, soit d'en changer, soit de s'élever en qualification parce que l'évolution moderne impose d'accroître le rendement dans les entreprises, de bien employer, De mieux employer une jeunesse de plus en plus nombreuse et d'augmenter la mobilité des travailleurs français entre les régions et entre les professions. En particulier d'ailleurs d'offrir à ceux qui sont en surnombre dans l'agriculture des débouchés honorables et rapides dans l'industrie ou bien dans le secteur tertiaire. L'investissement qui par conséquent absorbe et continuera d'absorber une part croissante des dépenses dans le secteur public devient aussi l'impératif catégorique pour l'ensemble des entreprises privées. Car il y a là pour elle une chance unique mais combien importante d'améliorer leur outillage de manière à ce qu'elle devienne compétitive à mesure que nous nous ouvrons aux échanges internationaux. Que l'ensemble des entreprises privées... j'ai dit les entreprises privées ? que l'ensemble des entreprises privées procède aux investissements par l'autofinancement ou bien par le recours au marché financier. De toutes les manières, c'est pour eux, je le répète, un impératif absolu. Alors, jusqu'à présent ou plus exactement jusqu'à assez récemment, elles trouvaient des facilités assez malsaines dans l'inflation et dans la hausse des produits. Mais jusqu'au jour où l'ensemble de notre appareil économique, financier, social et monétaire chancelait au bord du gouffre, les mesures ont été prises, tout le monde le sait, pour que soient taries ces sources empoisonnées. Mais au contraire l'épargne, ressuscitée par la stabilité des prix et de la monnaie et par l'équilibre du budget, l'épargne devient ou plutôt redevient le grand réservoir où puiser l'économie. Une des tâches principales de l'Etat dans les années qui viennent, sera donc d'encourager l'accroissement de l'épargne plutôt que celui de la consommation et aussi de rendre les ressources ainsi formées plus actives et plus accessibles aux entreprises qui en valent la peine. La concentration et l'organisation étant en ce qui les concerne des critères essentiels, cet effort étendu de l'Etat pour accroître la capacité de l'équipement national, soit dans le secteur privé, soit dans le secteur des entreprises publiques et semi-publiques, soit dans le secteur placé directement sous son administration, Cet effort de l'Etat implique que soient plus précises et mieux coordonnées les indications qui sont fournies à ces plus hautes instances, et c'est pourquoi trois hauts comités, composés d'un très petit nombre d'idoines, vont être institués à cet effet et entreront en fonction lorsque le cinquième plan lui-même entrera en activité. Dans le monde d'aujourd'hui, à mesure que la menace de la guerre générale s'éloignera, à mesure que peut-être les conquêtes brutales cesseront de solliciter les plus forts, eh ! bien l'élan général vers le progrès, facilité d'ailleurs par les possibilités de l'époque industrielle moderne, va devenir quelque chose de capital, d'universel. C'est dire au fur et à mesure que les communications deviennent plus rapides, que les échanges entre les peuples se multiplient, c'est dire que le désir d'avoir affaire les uns avec les autres ira en s'accroissant. Aussi la compétition devient-elle peu à peu le ressort d'une juste ambition. Et c'est pourquoi la France veut en avoir les moyens. Nous abordons le Marché Commun. Je voudrais qu'on me répète les questions qui m'ont été posées sur ce sujet.
Journaliste 9
Monsieur le président, le gouvernement souhaite-t-il aller vers l'unité européenne autrement que par un vague club intergouvernemental ?
Charles de Gaulle
Bien. Et on m'a demandé aussi comment on comptait sortir de la crise du Marché Commun. N'est-il pas vrai ? Oui. Voulez-vous répéter votre question ? Alors nous abordons la question du Marché Commun et de l'Europe en même temps si vous voulez bien, tout au moins à certains égards. Ce qui s'est passé à Bruxelles le 30 juin dernier, au sujet du règlement financier agricole, a mis en lumière deux choses : d'abord une réticence persistante de nos partenaires à faire entrer l'agriculture dans le marché commun des six. Et ensuite certaines erreurs ou équivoques qui sont incluses dans les traités concernant la communauté économique de l'Europe. Alors, tôt ou tard, la crise était inévitable. En effet, les trois traités qui instituent respectivement la CECA, l'Euratom et le Marché Commun, ces trois traités ont été conclus avant le redressement français de 1958. Et c'est pourquoi ces trois traités tiennent compte avant tout de ce que demandaient les autres. Pour la CECA, indépendamment du rapprochement franco-allemand qu'elle voulait manifester, eh bien, elle consistait essentiellement à rendre à l'Allemagne la disposition qu'elle avait perdue de son charbon et de son acier, Et à donner à l'Italie qui est naturellement dépourvue de houille et de fer la possibilité de s'en procurer à assez bon compte pour se créer à son tour une puissante industrie métallurgique. Quant à l'Euratom, l'institution tendait à mettre en commun tout ce qui était à faire et tout ce qui était fait dans le domaine de l'énergie atomique. Et dont la France, en raison de l'avance qu'elle avait prise fournirait la plus large part. Mais aussi l'institution tendait à contrôler la production des matières fissiles de manière ou tout au moins en vue d'empêcher leur utilisation militaire, Alors que seule la France était en mesure de se doter d'un armement nucléaire. Enfin le traité de Rome fixait très complètement les conditions de la communauté industrielle dont se souciaient surtout nos voisins, Mais pas du tout celle de la communauté agricole, à laquelle nous étions les plus intéressés. D'autre part, les trois traités instituaient une figuration d'exécutif sous la forme d'une commission indépendante des Etats bien que leurs membres fussent nommés et rémunérés par eux. Et une figuration de législatif sous les espèces d'une assemblée européenne, formée de membres des divers parlements, mais dont aucun d'entre aux n'avait reçu de leurs électeurs un mandat qui ne fut pas national. Alors cet embryon de technocratie en majeure partie étrangère et qui était destinée à empiéter sur la démocratie française pour le règlement de problèmes dont dépend notre existence, Ne faisait évidemment pas notre affaire dès lors que nous avions résolu de prendre notre destin entre nos mains. Nul ne peut ignorer que l'idée de grouper les Etats de l'Europe occidentale dans le domaine économique, et j'ajoute politique, est depuis longtemps la nôtre. Pour s'en convaincre, il n'y a rien d'autre à faire que de se reporter aux déclarations qu'il m'a été donné de faire au cours et à l'issue de la guerre mondiale, Alors que personne n'en parlait, et puis après dans de solennelles et multiples occasions, et enfin aux actes effectivement accomplis par mon gouvernement. En effet, il nous paraît normal qu'ait lieu l'ajustement des activités respectives des pays qui sont situés de part et d'autre du Rhin et des Alpes. Parce qu'ils sont étroitement des voisins, parce qu'ils se trouvent au point de vue de la production en même temps analogues et complémentaires, et puis parce que les conditions de l'époque moderne engagent à constituer des ensembles qui soient plus larges qu'aucun Etat européen. Et d'autre part, la France qui est en plein essor et dont la monnaie est devenue une des plus fortes du monde, la France a maintenant les meilleures raisons de s'ouvrir comme je l'ai dit tout à l'heure à la concurrence. C'est pourquoi depuis sept ans, nous avons activement aidé à mettre sur pieds le marché commun, la Communauté Economique Européenne, Mais bien entendu, nous voulions que cette communauté, qui d'ailleurs je le dis en passant, théoriquement instituée en 1957, Est restée jusqu'en 1959 sur le papier, parce que jusque là, le déficit chronique de la balance française des paiements empêchaient que l'institution prît son essor, autrement que dans des discours, Cette communauté, dis-je, nous avons travaillé depuis sept ans à la bâtir effectivement. Mais ce que nous voulions, et ce que nous voulons, c'était une communauté qui fût équitable et qui fût en même temps raisonnable. Equitable, ça veut dire que les produits agricoles dans les conditions qui leur sont propres, doivent entrer dans le marché commun en même temps que les produits industriels. Et équitable ça signifie que rien de ce qui est important aujourd'hui dans l'organisation, demain dans le fonctionnement du marché commun des Six, ne doit être décidé ni a fortiori appliqué que par les pouvoirs responsables dans les six Etats, C'est-à-dire les gouvernements contrôlés par les parlements. Or on sait, Dieu sait si on le sait, qu'il y a une conception différente au sujet d'une fédération européenne dans laquelle, suivant le rêve de ceux qui l'ont conçue, les pays perdraient leurs personnalités nationales. Et où d'ailleurs, faute d'un fédérateur, comme tentèrent de l'être, chacun d'ailleurs à sa façon, César et ses successeurs, Charlemagne, Othon, Charles Qunit, Napoléon, Hitler, et tel qu'à l'Est s'y essaya Staline, Faute de ce fédérateur, eh ! bien la fédération européenne serait régie par un aréopage technocratique, apatride et irresponsable. Et on sait aussi que la France propose à ce projet qui paraît vraiment en dehors de la réalité, oppose le plan d'une coopération organisée des Etats, laquelle évoluerait probablement vers une confédération. C'est en effet ce plan qui nous paraît seul répondre à ce que sont réellement les Nations de notre continent. Ce qu'elles sont à l'heure qu'il est, ce qu'elles sont au siècle où nous sommes. C'est aussi ce plan qui seul permettrait un jour à d'autres pays comme l'Angleterre et l'Espagne d'y adhérer. Parce que ces pays là, comme le nôtre, ne veulent pas perdre leur souveraineté. Et enfin ce plan rendrait concevable dans l'avenir l'entente de l'Europe toute entière. Enfin, quelles qu'aient été les différences, les divergences et les arrière-pensées, et en ce qui concernait les théories politiques, les négociations de Bruxelles, très longues et très minutieuses, semblaient sur le point d'aboutir. Nous avions eu les plus grandes difficultés à faire admettre en pratique par nos partenaires l'entrée de l'agriculture dans le Marché Commun, or on sait que pour nous c'est une condition sine qua non. Parce que faute qu'elle soit remplie, nous resterions chargés plus que nos voisins du très lourd fardeau que représente le soutien de notre agriculture, et qu'ainsi nous serions très handicapés dans la concurrence industrielle. Et c'est pour ça du reste qu'en janvier 1962, nous n'avions consenti à ce que l'on passât à la deuxième phase du traité de Rome, c'est-à-dire à l'abaissement considérable des barrières douanières, Que moyennant l'engagement formel des six de régler le problème agricole, notamment au point de vue financier, au plus tard le 30 juin de cette année, dans des conditions et suivant un calendrier qui était précisé explicitement. Il y avait eu des pleurs et des grincements de dents mais enfin, nous étions parvenus à obtenir l'adhésion de nos partenaires et nous pouvions croire qu'à l'échéance, ils rempliraient leurs engagements. D'autre part, je dois dire que tout en observant à quel point le très lourd appareil international qui a été construit autour de la commission fait souvent double emploi avec les services qualifiés des six gouvernements, Tout en observant cela, nous avions au long des travaux constaté la compétence des fonctionnaires de la Communauté et remarqué qu'ils s'abstenaient d'empiètement excessif sur les seules responsabilités qui fussent valables et qui sont celles des Etats. C'était trop beau pour aller jusqu'au terme. Alors le 30 juin, notre délégation s'est heurtée à une fin de non-recevoir pour ce qui concernait la mise au point définitive du règlement financier tel qu'on s'y était antérieurement engagé. Et puis peu auparavant, la commission sortant soudain de sa réserve politique, avait formulé au sujet de ce règlement financier des conditions qui tendaient à lui attribuer en propre à elle un budget dont le montant aurait pu s'élever jusqu'à vingt milliards de nouveaux francs. Les Etats ayant à verser entre ses mains les prélèvements et les recettes douanières qui auraient fait d'elle littéralement une grande puissance financière indépendante. Et puis les Etats, dis-je, qui auraient alimenté cet énorme budget, aux frais de leurs contribuables, ne l'auraient contrôlé aucunement. Il est vrai que les auteurs du projet alléguaient que ce budget serait soumis à l'examen de l'assemblée européenne. Mais l'intervention de cette assemblée, qui est essentiellement consultative, et dont d'ailleurs les membres n'ont pas du tout été élus pour cela, aggraverait le caractère d'usurpation de ce qui était réclamé. Enfin, qu'il y ait eu une conjonction préméditée ou non entre les exigences supranationales de la commission, l'attitude prise par certaines délégations qui se déclaraient prêtes à les approuver et à les appuyer, Et enfin le fait que certains de nos partenaires revenaient au dernier moment sur ce à quoi ils s'étaient engagés. Tout cela nous a amené, nous obligeait à cesser les négociations de Bruxelles. Mais aussi à la lumière de cet événement, nous avons pu mesurer encore plus clairement à quoi la France pourrait être exposée dans l'avenir, si telle ou telle disposition inscrite dans le traité de Rome devait être réellement appliquée. C'est ainsi que suivant le texte à partir du 1er janvier prochain, les décisions du conseil des ministres des six seraient prises à la majorité. Ce qui fait que la France pourrait se voir forcer la main dans toute matière économique et par conséquent sociale et même politique. Et que même ce qui aurait paru acquis au point de vue agricole pourrait être malgré elle remis en cause à tout instant. Et d'autre part, les propositions de la commission suivant le même texte seraient également à partir du 1er janvier prochain, présentées au conseil des ministres pour être adoptées ou non telles quelles. Sans que les Etats puissent y changer rien, à moins que par extraordinaire ils fussent unanimes à formuler un amendement. On voit à quoi on pourrait nous conduire une pareille subordination si nous nous laissions aller à renier à la fois la libre disposition de nous-mêmes et notre constitution qui fixe que la souveraineté française appartient au peuple français qui l'exprime par ses représentants, Qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum sans qu'il soit prévu dans la constitution aucune espèce d'exception. Les choses en sont là. Naturellement il est concevable et il est désirable que la grande entreprise de la Communauté Economique Européenne puisse être remise un jour en chantier. Mais avant que cela n'arrive, il se passera un délai dont nul ne peut prévoir la durée. Car personne ne sait si quand, comment la politique de chacun de nos partenaires, compte tenu d'ailleurs de certaines conjonctures électorales ou parlementaires, si cette politique pourra définitivement s'adapter aux nécessités telles qu'elles viennent d'être démontrées. Quoi qu'il en soit, la France, pour sa part, est prête à participer à tous échanges de vue qui seraient proposés par les gouvernements. Et le cas échéant, elle envisage de reprendre la négociation de Bruxelles dès lors que l'entrée de l'agriculture dans le marché commun serait réellement adoptée et qu'on voudrait en finir avec les prétentions que des mythes abusifs opposent au bon sens et à la réalité. Voilà pour le Marché Commun. Il y toute espèce de questions qu'on m'a posées. Concernant également l'Europe, quoi que cette fois là pas exclusivement au point de vue économique. Et il y a d'autres sujets, je voudrais qu'on me les répète.
Journaliste 15
Monsieur le Président, je suis un journaliste américain à New York. Tout le peuple des Etats-Unis est très [INCOMPRIS] durant la guerre au Viet Nam. Et cette question, vous avez l'attitude dans la guerre France-Indochine, nous avons délivré beaucoup de résistance. Et je suis très triste parce que vous avez [INCOMPRIS] le contraire des Etats-Unis et c'est une affaire très sensitive pour l'opinion des touristes,et les autres personnes des Etats-Unis. C'est possible [INCOMPRIS] votre attitude ?
Charles de Gaulle
Bien, voilà pour le Viet Nam et le sud-est asiatique. Et encore ?
Journaliste 13
Monsieur le président, je m'étais permis de vous demander si vous étiez satisfait des développements sur le plan militaire et en particulier le matériel militaire, sur le plan économique vous avez répondu et sur le plan diplomatique et en particulier sur l'adoption de positions communes vis-à-vis des Etats-Unis, des conséquences du traité de coopération franco-allemand.
Charles de Gaulle
Bien, voilà pour le traité franco-allemand. Et encore ?
Journaliste 11
Je vous avais demandé comment vous comptiez poursuivre la négociation Kennedy.
Charles de Gaulle
Bien, et encore ?
Journaliste 1
Ma question concerne l'organisation actuelle du pacte atlantique, l'OTAN.
Charles de Gaulle
Bien.
Journaliste 16
Mon Général, les Français s'intéressent beaucoup à votre santé en ce moment. Pouvez-vous nous répondre là-dessus ?
Charles de Gaulle
Et encore ?
Journaliste 17
Mon Général, croyez-vous que les conditions pour l'admission éventuelle de l'Angleterre dans le marché commun se présentent autrement aujourd'hui qu'il y a deux ans ?
Charles de Gaulle
Bien.
Journaliste 18
[inaudible] le rapprochement éventuel de la France avec les pays de l'est européen.
Charles de Gaulle
Bien. Alors de tout cela, je conclus qu'il y a une curiosité parmi vous au sujet de la politique de la France dans le monde à tous les égards, qu'il s'agisse de l'Europe, du Sud-est asiatique, des pays de l'est, de l'OTAN, et je m'en vais tâcher de vous répondre d'une manière générale et totale. Et chacun d'entre vous trouvera certainement dans ce que je vais dire la réponse à sa préoccupation particulière. Nous sommes en un siècle qui arrive aux deux tiers de sa durée, pas plus. C'est déjà pas mal, Monsieur qui avait parlé tout à l'heure de la gérontocratie. Il est arrivé donc aux deux tiers de sa durée, et depuis qu'il est né, le monde a déjà subi de très grands changements, et même des changements sans précédent, au point de vue du rythme et de l'étendue. Et tout indique que le mouvement va se poursuivre, parce qu'on voit bien qu'il y a tout un ensemble de faits, d'une immense portée qui disons est à l'oeuvre, actuellement pour repétrir l'univers. Dans cet ensemble, il me semble qu'on peut résumer les choses en disant ceci : dans cet ensemble, il y a l'avènement à la souveraineté d'un grand nombre d'Etats créés ou restaurés depuis la guerre. Il y a la puissance prépondérante acquise par deux pays, l'Amérique et la Russie, et qui les porte à rivaliser entre elles, et à placer sous leurs hégémonies respectives les peuples qui sont à leur portée. Il y a la profonde gestation qui se produit dans l'énorme Chine et qui la destine à un rôle mondial de premier plan. Il y a l'existence et l'accroissement des armements nucléaires qui sont capables de détruire de grandes Nations tout à coup et de fond en comble. Et puis enfin il y a cet élan général vers le progrès dont je parlais tout à l'heure, favorisé par les possibilités industrielles de l'époque et qui remuent toutes les régions de la Terre. Autrement dit, le monde qui est en pleine évolution est rempli d'espérance presque infinies et aussi de gigantesques dangers. Devant cette situation, quel peut être le rôle de la France ? Et puis d'abord, faut-il qu'elle en ait un ? Il ne manque pas de gens pour penser, on le sait, que non. N'étant plus suivant eux en mesure d'agir par nous-mêmes, ni politiquement, ni économiquement, ni techniquement ni militairement, nous n'avons rien d'autre à faire que de nous laisser conduire par d'autres. D'ailleurs les idéologies sont là pour couvrir le renoncement. Ainsi, chez nous, certains, utilisant le paravent de l'Internationale, voudraient nous soumettre à l'obédience de Moscou. Et d'autres, invoquant tantôt des théories arbitraires, tantôt la convenance des intérêts, professent que notre pays doit s'effacer et effacer sa personnalité nationale dans des organisations internationales faites de telle sorte que les Etats-Unis y exercent, puissent y exercer, soit du dedans soit du dehors une action prépondérante à laquelle nous n'avons qu'à nous conformer. Et c'est de cette façon là d'ailleurs que ceux dont je parle envisagent notre participation à l'ONU ou à l'OTAN, ou bien qu'ils souhaitent nous voir nous dissoudre dans une fédération qualifiée d'européenne et qui serait en fait atlantique. Je ne crois pas, vous vous en doutez, que cette sorte d'abdication nationale serait justifiée. Je ne crois qu'elle serait utile aux autres, même pas à l'Amérique et à la Russie. Je ne crois pas que le peuple français dans son immense majorité la juge conforme avec le sentiment qu'il a de sa propre valeur, ni même avec le simple bon sens. Sans doute, la France n'est plus aujourd'hui la Nation mastodonte qu'elle était au temps de Louis XIV ou de Napoléon 1er. Sans doute l'effondrement brutal de 1940, bien qu'il ait été précédé au cours de la première guerre mondiale par le déploiement admirable des capacités et des mérites de notre pays, et bien qu'il ait été suivi de la seconde guerre mondiale par l'élan de la Résistance, le succès de la Libération et la présence à la victoire, Cet effondrement, dis-je, a laissé dans nombre d'esprits l'empreinte du doute, voire du désespoir. Et puis il faut bien dire que l'inconsistance du régime d'hier a quelque peu contrarié notre redressement. Mais enfin, ce redressement est maintenant évident. Je dirais même qu'il est impressionnant, nous sommes un peuple qui monte, comme montent les courbes de notre population, de notre production, de nos échanges extérieurs, de nos réserves monétaires, de notre niveau de vie, de la diffusion de notre culture et de notre langue, de la puissance de nos armes, de nos résultats sportifs, etc. Alors, cela étant, on ne voit pas pourquoi la France renoncerait à avoir une politique qui soit la sienne. Il est bien vrai que dans beaucoup de matières, nous avons les meilleures raisons de nous associer avec d'autres. Mais en gardant la libre disposition de nous-mêmes. Car ce dont il s'agit pour nous, c'est de nous tenir en dehors de toute inféodation. C'est ainsi qu'aussi longtemps que nous jugerons nécessaire la solidarité des peuples occidentaux pour la défense éventuelle de l'Europe, nous resterons les alliés de nos alliés. Mais qu'à l'expiration des engagements que nous avons pris jadis, c'est-à-dire au plus tard en 1969, cessera pour ce qui nous concerne la subordination qualifiée d'intégration qui est prévue par l'OTAN et qui remet notre destin entre les mains étrangères. C'est ainsi que tout en travaillant à unir dans les domaines économique, politique, culturel et stratégique, les Etats situés de part et d'autre du Rhin et des Alpes, nous faisons en sorte que cette organisation ne nous prive pas de notre libre arbitre. C'est ainsi que tout en trouvant bon qu'un système international aménage les rapports monétaires, nous ne reconnaissons à la monnaie d'aucun Etat en particulier aucune valeur privilégiée et automatique par rapport à l'or qui est, qui demeure, qui doit demeurer en l'occurrence le seul étalon réel. C'est ainsi qu'ayant avec quatre autres pays, quatre autres puissances, étant les fondateurs de l'organisation des Nations Unies, et tout en désirant qu'elle reste le lieu de rencontres des délégations de tous les peuples et le forum ouvert à leurs débats, Nous ne considérons pas du tout comme liés, même financièrement, par des interventions armées qui ont pu avoir lieu contradictoirement avec la charte et auxquelles nous n'avons jamais donné notre approbation. D'ailleurs, c'est en étant ainsi que nous croyons le mieux servir en définitive l'alliance des peuples libres, la Communauté européenne, les institutions monétaires internationales et l'organisation des Nations Unies. En effet, l'indépendance ainsi recouvrée permet à la France d'être en, dépit des hégémonies et des idéologies des colosses, malgré les passions et les présomptions des races et par-dessus les rivalités et les ambitions des Nations, D'être un champion de la coopération sans laquelle iront en s'étendant les troubles, les interventions et les conflits qui mènent le monde à la guerre. Du reste la France est éminemment qualifiée pour agir dans ce sens là, elle l'est pas sa nature qui la porte au contact humain, elle l'est à cause de l'opinion qu'on se fait d'elle historiquement, et qui lui ouvre une espèce de crédit latent quand il s'agit d'universel. Elle l'est parce qu'elle s'est dégagée de toutes les emprises coloniales qu'elle appliquait à d'autres peuples et elle l'est parce qu'elle apparaît comme une Nation aux mains libres, dont aucune pression du dehors ne détermine la politique. D'ailleurs, la coopération, nous ne nous bornons pas à la célébrer en principe, nous la mettons en pratique toutes les fois que nous pouvons, dans des conditions qui sont naturellement appropriées à la situation de nos divers partenaires. C'est le cas pour presque tous les peuples d'Afrique, qui naguère nous étaient rattachés, ainsi que pour le Rwanda et le Congo-Léopoldville, c'est le cas en Asie pour le Cambodge et le Laos. Ces Etats devenus indépendants, ayant chacun fixé ses relations avec nous par des accords particuliers en vue de son développement, accords dont le dernier en date et non le moins important est celui qui règle les rapports pétroliers franco-algériens. Nous tendons à ce que ce soit le cas avec les divers pays de cette Amérique latine dans laquelle nous portent tant de profondes affinités, dont l'avènement au rang d'un continent économiquement puissant, politiquement indépendant et socialement libéré et désormais à l'équilibre et à la paix du monde. Où déjà le Mexique et voici deux mois le Chili à l'occasion de la visite du président Fréi, ont décidé de conjuguer plus étroitement leurs progrès avec les nôtres. Nous souhaitons que ce soit le cas dans une mesure grandissante, comme nous l'avons marqué lors des voyages à Paris du roi Hussein et du président Helou pour les peuples d'Orient. Depuis Istanbul jusqu'à Addis Abeba, et depuis le Caire jusqu'à Kaboul, conformément à toutes les raisons humaines et naturelles qui ont tissé entre eux et nous une traditionnelle amitié, Oh bien entendu ce qu'il faudrait fournir comme moyens pour vivre dignement et pour avoir de quoi progresser eux-mêmes aux deux milliards d'hommes qui ne les ont pas, cela dépasse de beaucoup les possibilités de la France. Fort heureusement, parmi les pays développés, d'autres que nous en prennent leur part, bien que la nôtre soit la plus grande par rapport à nos ressources. Mais ces concours sont dispersés, souvent même opposés, combien gagneraient-ils à être conjugués sur une vaste échelle et en particulier, quel rôle pourrait jouer à cet égard une Europe qui voudrait s'unir. Précisément, l'apaisement de notre continent déchiré, le rapprochement de tous les peuples qui l'habitent et leur coopération en vue de leur développement propre et du développement des autres constituent des buts essentiels, quoiqu'à longue échéance de la politique française. C'est ainsi qu'avec l'Allemagne, malgré toutes les blessures subies et tous les griefs accumulés, nous avons conclu un traité, qui sans doute en maints domaines reste à l'état de cordiale virtualité, Mais qui cependant organise la réunion périodique de nos gouvernements et fructifie dans certains domaines, comme la culture ou les réunions de jeunesse etc. C'est ainsi que nous avons commencé d'établir avec cinq de nos voisins une communauté économique dont je parlais tout à l'heure, et dont on peut espérer qu'elle sera un jour achevée. C'est ainsi et puis aussi à ces cinq nous leur avons proposé, je le rappelle d'organiser leur collaboration au point de vue politique. Et c'est ainsi que nous multiplions les contacts et les échanges avec les pays de l'Est, en considérant et en traitant chacun d'entre eux bien entendu uniquement en fonction de sa personnalité nationale. A cet égard, nous attachons une grande importance au cours nouveau que prennent nos rapports avec la Russie. Nous nous félicitons des résultats qui ont été atteints à l'occasion de la visite du président Maurer quant aux relations franco-roumaines. Avec grande satisfaction, nous nous préparons à recevoir le président Cyrankiewicz, espérant que sa présence ici aidera à rapprocher pratiquement le peuple polonais et le peuple français qui ont été des amis et des alliés en tous les temps de leur histoire. Et nous n'hésitons pas à envisager qu'un jour vienne où l'Europe, afin d'établir une entente constructive - là je réponds à Madame Baudry - une entente constructive depuis l'Oural jusqu'à l'Atlantique, Voudrait résoudre ses propres problèmes, et avant tout celui de l'Allemagne, de la seule façon qu'on puisse le faire, c'est-à-dire par un accord général. C'est dans des conditions très différentes mais c'est dans une inspiration analogue que nous croyons qu'en Asie la fin des combats en cours, et puis le développement satisfaisant des peuples ne pourront être obtenus que par les relations à établir, les négociations à ouvrir, et un modus vivendi à réaliser entre les puissances, qui depuis la guerre mondiale ont engagé leur responsabilité directe ou indirecte dans les évènements du sud-est de ce continent, C'est-à-dire la Chine, la France, l'Amérique, la Russie et l'Angleterre. Et nous croyons également, plus fermement que jamais, que la condition élémentaire d'un tel rapprochement et peut-être d'une telle entente, ce serait la fin effective de toute intervention étrangère, Et par conséquent la neutralisation complète et contrôlée de la zone où l'on se bat. C'est à quoi d'ailleurs la France avait souscrit, pour sa part en 1954, c'est ce qu'elle a depuis rigoureusement observé, et c'est ce qu'elle tient pour nécessaire depuis qu'après le départ de ses troupes d'Indochine, les Etats-Unis sont intervenus. Mais ce n'est pas là du tout le chemin que l'on prend. Et c'est pourquoi toutes les spéculations concernant une médiation française dans cette affaire ne repose que sur des nuées. Actuellement, la France n'a rien d'autre à faire que de se ménager pour plus tard. Et si le moment vient jamais, la possibilité d'agir à Pékin, à Washington, à Moscou et à Londres, pour ce qui concernerait les contacts à établir pour aboutir à la solution, Les contrôles qui auraient à la garantir, et puis l'aide à apporter ensuite à ces malheureux peuples que la France n'a certainement pas oubliés. D'ailleurs c'est la même entente des mêmes puissances qui ont les moyens de la guerre et de la paix, qui est dans l'époque historique que nous traversons la condition indispensable pour que le monde entier puisse établir la compréhension et la coopération entre toutes ces races, tous ces régimes et tous ces peuples, Faute de quoi il ira tôt ou tard à sa propre destruction. Or il se trouve que ces cinq Etats, dont dépend en définitive le sort de l'Asie du sud-est, sont aussi ceux qui disposent de l'arme atomique. Et puis ce sont ceux-là qui en commun - il y a vingt ans - ont fondé l'organisation des Nations Unies pour être les membres permanents du conseil de sécurité, s'ils le voulaient. Et naturellement à condition de s'y trouver ensemble. Ils pourraient faire en sorte que cette organisation, au lieu d'être le théâtre de la rivalité de deux hégémonies, soit le cadre où considérer la mise en valeur de la Terre toute entière. Et par conséquent le cadre où s'affermirait la conscience humaine collective, mais il est trop clair qu'actuellement aucun projet de ce genre n'a aucune chance de voir le jour. Pourtant s'il arrivait jamais que le rapprochement et puis l'accord des principaux responsables du monde apparaissent comme possible à cette fin, la France serait naturellement toute disposée à y aider. Voilà quelle est dans son ensemble, et je crois sur tous les sujets dont vous m'avez parlé, la politique de notre pays. Assurément, les buts en sont à longue portée. Cela tient à ce que les problèmes qui sont du monde d'à présent sont d'une très vaste dimension. Et puis ça tient aussi au fait que la France n'étant plus accrochée par de vaines entreprises ni dépendante de ce que font les autres, ni incitée à courir en tous sens et à tout instant vers les chimères qui passent, La France est en mesure maintenant de poursuivre des desseins étendus et continus. C'est ce qu'elle fait au dehors, tout en travaillant au-dedans à bâtir sa nouvelle puissance. Et enfin nous abordons le septennat, ou plus exactement nous le terminons, qu'est-ce qu'on m'a demandé à ce sujet ?
Journaliste 3
Allez-vous vous présenter [inaudible]
Charles de Gaulle
Je vous ai déjà répondu que vous le saurez certainement avant deux mois d'ici. Mais on m'avait parlé du septennat par rapport au régime et je m'en vais terminer par là. Eh !bien le régime que le pays s'est donné il y sept ans et auquel tout donne à prévoir qu'il se tiendra désormais, ce régime c'est celui de la majorité nationale. Je veux dire de celle qui se dégage de la Nation toute entière, indivisible dans sa masse, indivisible et souveraine. Quand une Nation est formée et qu'à l'intérieur d'elle-même des données fondamentales qui sont géographiques, qui sont ethniques, économiques, sociales, morales sont la trame de sa vie. Et qu'au dehors, elle est en contact avec les influences et les ambitions étrangères, il y a pour elle au dessus de ses diversités un ensemble de conditions essentielles à son action et finalement à son existence qu'on appelle l'intérêt général. C'est d'ailleurs l'instinct qu'elle en a qui cimente son unité, et c'est le fait que l'Etat s'y conforme ou non qui rend valables ou incohérentes ses entreprises politiques. Je crois bien que c'est cela, c'est-à-dire dans une démocratie moderne tournée vers l'efficacité et en outre menacée, c'est cela, c'est-à-dire l'obligation, la nécessité que la volonté nationale s'exprime globalement quand il s'agit du destin, qui est la base de nos actuelles institutions. Sans doute dans le régime d'hier, le peuple était appelé périodiquement à élire une assemblée qui détenait la souveraineté. Mais naturellement, cela ne se faisait jamais qu'à une échelle fragmentaire, De telle sorte que la signification des résultats était morcelée et toujours contestable et confuse. En effet, pratiquement seuls les partis, c'est-à-dire des organisations qui sont constituées pour faire valoir de tendances particulières et soutenir les intérêts de telle ou telle catégorie, Seuls les partis présentaient des candidats au suffrage des électeurs. Et encore le faisaient-ils dans des circonscriptions très différentes les unes des autres quant aux habitants et quant aux régions. Il est vrai que parfois pour le temps d'un scrutin, ils coalisaient leurs hostilités afin d'écarter des adversaires, mais il ne s'agissait là que d'opérations négatives. En fait le Parlement, auquel était attribué le droit et le devoir de décider seul et sans recours de ce qui était vital pour la Nation, et d'être la source exclusive des pouvoirs, Le Parlement consistait en une juxtaposition de groupes rivaux voire opposés dont ne pouvait jamais sortir une majorité, sinon par d'aléatoires et fallacieuses combinaisons. On comprend qu'un tel régime n'ait pas pu, quelle que fut la valeur des hommes qui s'y trouvaient, n'ait pas pu faire sien et accomplir l'ensemble des desseins fermes et continus qui constituent une politique, Et à plus forte raison assumer la France dans les grands drames contemporains. Certes, la constitution que les Français, éclairés par beaucoup de leçons, ont donnée à la République en 1958, cette constitution attribue au parlement le pouvoir législatif et le droit au contrôle. Car dans les affaires publiques, il faut des débats et un équilibre. Mais ce que la constitution nouvelle comporte de complètement nouveau et de capital, c'est l'avènement du peuple en tant que tel et collectivement comme la source du pouvoir du chef de l'Etat, Et le cas échéant comme le recours direct de celui-ci. Et d'autre part, l'attribution au président qui est seul représentant et le mandataire de l'ensemble de la Nation, du devoir d'en tracer la conduite dans les domaines essentiels, et des moyens de s'en acquitter. C'est en vertu de cette double institution et parce qu'elle a pleinement fonctionné que depuis sept ans, le régime s'est vu doté de la stabilité, de l'autorité, de l'efficacité qui l'ont mis en mesure de résoudre des problèmes avec lesquels la France était confrontée, Qui étaient des problèmes graves, et de mener ses affaires de telle sorte que sa situation soit meilleure et plus solide qu'hier. Oui le fait est que le président de la République investi, appelé par la confiance et soutenu par la confiance de l'ensemble de la Nation, Le président de la République agissait en conformité avec les charges et les responsabilités qui sont dans le nouveau régime celles que lui impose sa fonction, Quand depuis sept ans il orientait la politique française au dedans et au dehors, quand il suivait, contrôlait, à mesure son développement, Et quand il prenait les décisions suprêmes, dans les problèmes qui engageaient le destin et qui en pouvaient être tranchés autrement qu'en coupant des noeuds gordiens. Ainsi en a-t-il été en fait d'institutions, de sûreté de l'Etat, de défense nationale, de développement général du pays, de stabilité économique, financière et monétaire, Ou bien pour ce qui concernait l'affaire algérienne, l'Europe, la décolonisation, la coopération africaine, notre attitude vis-à-vis de l'Allemagne, des Etats-Unis, de l'Angleterre, de la Russie, de la Chine, de l'Amérique latine, de l'Orient etc. Et quand le président demandait à quatre reprises à la Nation de marquer son approbation par la voie du référendum, quand il procédait une fois à la dissolution de l'assemblée nationale, Quand il faisait dans une crise alarmante application de l'article 16, eh ! bien il ne faisait qu'utiliser les moyens que la constitution lui donne pour faire en sorte que la Nation décide elle-même de son sort dans les circonstances très graves, Et pour assurer le fonctionnement régulier et la contitnuité des pouvoirs publics, à l'encontre de quelques-uns qui pensent comme le faisait Chamfort, que la souveraineté réside dans le peuple, mais que le peuple ne doit jamais l'exercer. On a parlé de pouvoir personnel. Si on entend par là que le chef a pris personnellement les décisions qui lui incombait de prendre, cela est tout à fait exact. Et d'ailleurs, dans quel poste, grand ou petit, celui qui est responsable a-t-il le droit de se dérober ? D'ailleurs, qui a jamais cru que le Général de Gaulle, étant appelé à la barre, devrait se contenter d'inaugurer les chrysanthèmes ? Par exemple, lorsque le problème algérien préoccupait, c'est le moins que l'on puisse dire, la Nation toute entière, à qui d'autre attribuait-on et d'une seule voix la tâche de le résoudre ? Mais si l'on veut dire que le président de la République se tenait isolé de tout et de tous, et que pour agir il n'écoutait que lui-même, alors on méconnaît l'évidence. Au cours du septennat et jusqu'à présent, le chef de l'Etat a réuni trois cents deux fois le conseil des ministres, quatre cents vingt fois les conseils interministériels restreints. Il a reçu dans son bureau six cents cinq fois le premier ministre, soixante dix huit fois le président des assemblées, au moins deux mille fois l'un ou l'autre des membres du gouvernement. Plus de cent fois les présidents ou les rapporteurs des commissions parlementaires ou les présidents de groupes. Et à peu près quinze cent fois les principaux fonctionnaires experts et syndicalistes. Et pour ce qui était des affaires étrangères, quelque six cents heures de conversation avec les chefs d'Etat ou de gouvernement étrangers, et un millier d'entretiens avec leurs ministres ou leurs ambassadeurs, Ont largement contribué à l'information du chef de l'Etat. En tout cas, jamais aucune mesure importante n'a été prise à son plan sans qu'ait eu lieu, autour de lui, la délibération de ceux qui en connaissaient les éléments et qui en assureraient l'exécution. D'ailleurs c'est tout naturel. Parce qu'aujourd'hui, les affaires publiques sont si variées et si compliquées qu'on ne peut pas les traiter autrement. En ce qui les concerne, le risque réside beaucoup moins dans des ukases lancées du haut d'une tour d'ivoire, que dans des examens sans fin dont aucune décision ne sort. Mais il est vrai que c'est avant tout avec le peuple lui-même que le président de la République qui en est le mandataire et le guide s'est tenu, se tient, doit se tenir, en contact direct. C'est ainsi en effet que la Nation peut connaître en personne l'homme qui est à sa tête, discerner les liens qui l'attachent à lui, être au fait de ses idées, de ses actes, de ses soucis, de ses projets et de ses espoirs. Et c'est ainsi aussi que le chef de l'Etat a l'occasion de montrer à tous les Français que soit leurs régions ou leurs catégories qui sont au même titre les citoyens d'un seul et même pays, qu'il a l'occasion de connaître en allant sur place où en sont les âmes et les choses, Et d'éprouver au milieu de ses compatriotes à quoi l'obligent leurs encouragements. Je ne crois pas que depuis sept ans de tels contacts aient été négligés. Je dirais même que jamais ils n'ont été multipliés à ce point. Trente allocutions adressées au pays tout entier par la voie de la radio et de la télévision, douze conférences de presse intégralement diffusées, ainsi que trente six discours prononcés solennellement dans des cérémonies publiques, séries de voyages accomplis indépendamment de plus de deux cents apparitions officielles à Paris, accomplis dans les quatre vingt quatorze départements de la métropole et d'outre-mer, au cours desquelles le chef de l'Etat a vu de ses yeux quelque quinze millions de Français, invité à conférer avec lui tous les membres du parlement, tous les corps constitués, tous les conseillers généraux, tous les maires de France, visité à peu près deux mille cinq cents communes parmi lesquelles toutes les principales, répondu dans les Hôtels de Ville à la bienvenue d'environ quatre cents conseillers municipaux et de cent mille notables, parlé depuis des estrades six cents fois à la population assemblée, dialogué avec un nombre de personnes qu'on ne peut pas compter et serré d'innombrables mains. Eh ! bien oui, le président de la République en somme et dorénavant la clé de voûte qui couvre et qui soude l'édifice de nos institutions. Comment contester que les pouvoirs publics, de ce fait, se tiennent en équilibre. La cohésion du gouvernement, qui d'ailleurs en sept ans, n'a compté que deux premiers ministres, chacun investi, soutenu, maintenu par la confiance du chef de l'Etat, La cohésion du gouvernement est un fait nouveau et exemplaire, par rapport aux discordances qui marquaient les assemblages hasardeux des ministères d'antan. Et de ce fait dans l'action publique et dans l'administration du pays, il y a une continuité, une efficacité dont les progrès sont évidents. Et en même temps pour la première fois dans l'histoire de la République, il existe au parlement une majorité certaine, parce que la majorité nationale s'étant formé dans le pays autour du gouvernement n'a pas manqué d'avoir des effets, Dont au moment des élections générales, en dépit de la diversité, des tendances des personnes et des circonscriptions. Et aussi par là même l'oeuvre législative accomplie depuis 1958. Au point de vue économique, social, financier, administratif ou bien pour ce qui concerne le droit civil, l'enseignement, l'équipement, la défense etc. Cette oeuvre législative comporte un ensemble de réformes exceptionnellement important et cohérent. Tandis que le budget est toujours voté, adopté avant la fin de l'année, ce qui naguère n'arrivait jamais. Dans le cadre ainsi ordonné, où les pouvoirs exercent leurs responsabilités, les corps de l'Etat, la fonction publique, la diplomatie, l'armée etc., se trouvent en mesure d'accomplir normalement et objectivement leurs tâches. La perfection n'est pas de ce monde, mais par rapport à ce qui était hier, l'Etat français montre maintenant une solidité et une capacité qui sont incontestables. D'ailleurs, nul ne s'y trompe dans l'univers. Avant trois mois, le peuple français dira par ses suffrages s'il entend en revenir aux pratiques du passé, ou s'il veut que le régime nouveau continue d'assurer demain comme aujourd'hui la conduite de la vie nationale. Car tel sera bien, tout le monde le sent et le sait, tel sera bien la signification et le résultat de l'élection présidentielle. Mesdames, Messieurs, je vous remercie et j'ai l'honneur de vous saluer.