Theo Angelopoulos à la Cité Universitaire de Paris

19 octobre 1998
09m 13s
Réf. 00262

Notice

Résumé :

Reportage sur Theo Angelopoulos qui revient à la Cité Universitaire de Paris où il vivait dans sa jeunesse quand il était étudiant. Avec l'ancien directeur du bâtiment grec, le réalisateur se remémore des souvenirs de cette époque.

Type de média :
Date de diffusion :
19 octobre 1998
Source :
France 2 (Collection: Le Cercle )
Thèmes :

Éclairage

Etudiant à la Cité Universitaire en 1962-63, Theo Angelopoulos (né en 1936) se souvient autant de ses compagnons de chambrée que de son renvoi de l'Institut des Hautes Etudes Cinématographiques (devenu depuis la Fémis).

De retour en Grèce après cette expérience malheureuse, il deviendra critique de cinéma de 1964 au coup d'Etat des colonels en 1967. A peu près à la même époque que son compatriote lui aussi francophile Costa-Gavras, Angelopoulos, devenu cinéaste s'intéresse à l'histoire de son pays et signe une trilogie commencée en 1972 avec Jours de 36, suivi trois ans plus tard du Voyage des comédiens puis en 1977 de Les Chasseurs.

Malgré une mise en scène exigeante et contemplative qui fait usage de plans étirés dans le temps, la force plastique, émotionnelle et politique de ses films lui vaut de nombreux prix : sa Palme d'or pour L'Eternité et un jour en 1998 avait été précédée d'un Grand prix du 48e Festival de Cannes pour Le Regard d'Ulysse en 1995.

Charlotte Garson

Transcription

Philippe Lefait
Mémoire des lieux, le cinéaste grec Théo Angelopoulos, Palme d'Or à Cannes pour L'Eternité un jour, dont le film sort dans une dizaine de jours, a accepté pour nous de jouer ce jeu de la mémoire du lieu. Il se trouve que Théo Angelopoulos a été étudiant à Paris et qu'il a accepté pour nous de se souvenir de ce moment où il était étudiant à la Cité universitaire. C'était en 1962-1963, nous l'avons suivi, il retrouve d'ailleurs le directeur de l'époque.
(Silence)
Théo Angelopoulos
Il y a un changement là.
Inconnu
Il y a un changement là hein.
Théo Angelopoulos
Moi je me rappelle là, j'ai travaillé à la loge pour gagner un peu d'argent.
Inconnu
Tu sais qui est-ce qui a travaillé à la loge aussi récemment ? L'ambassadeur de Grèce qui vient de partir il y a trois mois. Il avait travaillé la première fois qu'il a visité [?]
Théo Angelopoulos
Je me rappelle de lui. Il était de la même époque.
Inconnu
C'était un peu avant.
Théo Angelopoulos
Moi, je me rappelle, je travaillais ici avec Slavos, tu te rappelles, le sculpteur, qui est tombé de la fenêtre.
Inconnu
Il a d'abord balancé n'est-ce pas toutes ses sculptures par la fenêtre et puis il a sauté. La femme de l'ancien directeur qui disait - parce qu'elle a vu le résident qui mettait des matelas : « non, non, non, vous allez salir les matelas ».
Théo Angelopoulos
Ce grand sculpteur, j'ai essayé de reproduire cette scène, et c'est une scène coupée du Voyage à Cythère. Un homme nu qui semble comme une mouette et qui essaie de voler. Il a sauté et il a dit quelques mots incompréhensibles, et puis il a sauté. Les mots pouvaient être « tout ce qui est né est né dans le noir ». Et lui il était dans le noir, vraiment dans le noir quand il a? Et puis là il s'est suicidé quelques années plus tard, avec une de ses sculptures. Moi j'ai vu ses sculptures à New York.
Inconnu
C'est fantastique.
Théo Angelopoulos
C'est du très grand. Et puis il avait gagné la biennale de Venise. Et je me rappelle, il avait gagné une somme, et là dans cette salle, il a convoqué tout le monde pour danser. Et il a dépensé tout l'argent qu'il avait gagné pour faire cette fête. Il a invité tout le monde, mais lui il ne savait pas danser, alors il faisait ça, sur place, tout le temps.
Inconnu
C'était un précurseur. Parce qu'actuellement est-ce que les gens font autre chose ?
Théo Angelopoulos
Vous vous rappelez aussi d'une autre chose ? La révolution, avec [?].
Inconnu
C'était à la suite de [?]
Théo Angelopoulos
Oui, le directeur, moi j'étais chargé d'aller lui dire qu'on le supprimait comme directeur, il était expulsé. Mais là, eh ! bien il y a un changement. Alors je vais monter, j'avais la chambre 29.
(Silence)
Théo Angelopoulos
Bonjour.
(Silence)
Théo Angelopoulos
J'ai l'impression qu'ils ont changé les numéros.
Inconnu
Ça c'est la 29, la 33 c'était la mienne, donc je me rappelle.
(Silence)
Théo Angelopoulos
Les chambres sont les mêmes, mêmes dimensions.
Inconnu
La seule chose que nous n'avons pas changé, c'est le mur, en 1975.
Théo Angelopoulos
Alors ça veut dire que, voilà, ça c'est la déformation de la jeunesse. Voilà. Je pensais que la chambre était plus grande. Et je vois qu'elle est tellement petite, comment on pouvait vivre à deux personnes là ? Tu sais une fois, je vivais avec un Allemand, il y avait un Allemand dans l'autre lit. L'Allemand le matin, il se levait et faisait la gymnastique. Et puis il mettait du Beethoven chaque matin. Mais moi, le soir, j'étais là, j'étais là, je travaillais aussi dans un hôtel aussi, comme veilleur de nuit. Pour gagner un peu de temps, je rentrais le matin. Alors le matin lui il me réveillait avec sa gymnastique, avec Beethoven. J'étais fou, je lui dis : « Ecoute, ce n'est pas possible ». Il me dit : « Quand même, vous les Grecs, vous êtes barbares ».
Inconnu
Parce que suppose par exemple qu'il te foutait du Wagner, tu aurais été prêt pour envahir la Pologne, comme dit ?
Théo Angelopoulos
Il y avait un autre aussi qui, tellement il y avait beaucoup de filles. Alors chaque fois je rentrais là, je voyais une petite carte : « Excuse-moi, je suis occupé, passe après deux heures ». Alors moi je circulais dans le parc, je ne sais plus. Je revenais frapper, silence, il me dit : « un peu encore, une demi-heure encore ». C'est là où j'ai écrit mon premier scénario. C'est un petit scénario pour l'IDHEC. Et c'était la raison pour laquelle aussi je me suis foutu de l'IDHEC. Ils m'ont foutu dehors.
Inconnu
Tu n'es pas bon élève.
Théo Angelopoulos
Pas bon élève du tout. Aucune discipline. Je me rappelle qu'avec certains camarades de l'IDHEC, on allait voir à l'époque L'Avventura je ne sais pas combien de fois. Quand je rencontrai Antonioni longtemps après, je lui ai donné le treizième billet. On disait à l'époque : « On va prendre la dose Antonioni. » Mes années parisiennes, c'étaient les meilleures années de ma vie. Tout était libre, toutes les routes étaient ouvertes, la liberté absolue, incroyable. Et puis Paris, Paris, c'était plus, je ne sais pas moi, j'ai l'impression qu'il y avait plus de joie dans la rue, les gens.
Philippe Lefait
Vous en avez la nostalgie ?
Théo Angelopoulos
On a toujours la nostalgie de notre jeunesse.
Philippe Lefait
Ce n'est pas de la mémoire ?
Théo Angelopoulos
Oui, bon, de toute façon, on vit avec ça. La mémoire, ce n'est pas, c'est-à-dire le passé ce n'est pas le passé. Il est présent, il nous conditionne. On vit avec. Mais je suis un peu ému, vous savez.