Leclerc, libérateur de l'Indochine
Notice
A Chandernagor, des convalescents, légionnaires et coloniaux d'Indochine (qui se battaient contre les armées japonaises en mars 1945), se font soigner dans un hôpital. Le général Leclerc visite le 5e Régiment d'infanterie coloniale (RIC) qui reçoit la croix de guerre et rend également visite aux soldats qui s'embarquent pour l'Indochine à bord des deux bâtiments : le Triomphant et le Richelieu.
Éclairage
Monté à la manière d'un récit chronologique concentré autour de l'aura du général Leclerc sur le devenir de l'Indochine, depuis son arrivée à Ceylan jusqu'au débarquement des troupes françaises à Saïgon (Cochinchine), cet extrait du Magazine des Armées insiste particulièrement sur la figure héroïque du « chef prestigieux » qu'est « le vainqueur de Strasbourg ».
Afin de valoriser davantage encore la personne du général Leclerc, le sujet débute d'ailleurs par une mise en suspens de son identité : un travelling avant de suivi poursuit une voiture « très simple » dans laquelle a pris place « un homme très simple ». Le premier plan sur le général Leclerc intervient une vingtaine de secondes plus tard, au moment exact où son nom est pour la première fois prononcé à l'écran après une série de périphrases soulignant le caractère glorieux et sage du personnage.
De la même manière, le commentaire martèle une nouvelle fois son nom alors qu'il s'avance devant les légionnaires du 5e RIC qu'il est venu décorer. Le montage qui suit met en lumière le dynamisme d'un Leclerc constamment en mouvement, arpentant l'écran de part en part pendant que le commentaire se construit en miroir autour du champ lexical du déplacement :
« Il vient de loin le général Leclerc. Depuis cinq ans, il n'a pas cessé de courir le monde pour que la France y reprenne sa place. Quand il s'arrêtait, c'était pour gagner des batailles. A 43 ans, le général Leclerc a 4 étoiles et s'est battu sur trois continents ».
Fidèle à son récit chronologique, l'extrait continue ce portrait en action du général Leclerc par la visite des soldats en partance pour le front indochinois, embarqués sur deux bâtiments français : Le Triomphant et Le Richelieu. Là encore, le montage rapide, par ellipses, avec des changements d'axes de caméra nombreux donne une impression de grande énergie relayée par le commentaire élogieux insistant sur l'impact de cette visite sur le moral des troupes.
L'acte suivant de cette tournée d'inspection et d'encouragement par le général Leclerc est tout naturellement « l'heure de l'embarquement » sur lequel retentit les accords tonitruants (cuivre et percussions) d'une musique d'accompagnement conquérante qui rythme le montage. La figure tutélaire de Leclerc s'estompe alors au profit d'une série de plans de demi-ensemble mettant en valeur le nombre des combattants ainsi que la logistique du départ (27 septembre 1945) et de la traversée (plans sur le nombre de bâtiments en route pour Saïgon).
L'arrivée à Saïgon est bruitée par l'ajout de sons additionnels de foule en liesse alors que le montage insiste sur les plans des civils présents dans le port. On distingue très nettement sur le plan où les soldats (bord cadre droit) font face à la population (bord cadre gauche) la nature mixte de la population venue attendre les force françaises, pourtant le commentaire insiste sur le fait que seule est présente « la population française ». De la même manière, alors qu'à l'écran apparaît furtivement un plan montrant, isolés dans un coin du port, six hommes de dos (donc non identifiables autrement que par leur allure générale), le commentaire énonce une litote, « les moins enthousiastes ne sont pas », dont l'effet est surtout d'associer ces silhouettes anonymes (mais tendant à être assimilées à des autochtones par leurs vêtements plutôt d'inspiration asiatique) à l'idée d'une négativité, voire d'un certain retrait, d'une défiance à l'égard de l'arrivée des bateaux français que l'on voit au loin.
La succession de plans rapides ponctuant le débarquement est ensuite accompagnée par la reprise pour le sujet du Magazine des Armées de quelques mesures clefs de La Marseillaise (« Aux armes citoyens, formez vos bataillons ») qui dérivent ensuite en une toute autre mélodie pendant que les troupes françaises défilent dans les rues de Saïgon. On remarque au passage le rapide panoramique gauche-droite (des troupes jusqu'à la foule) dont le mouvement à l'épaule, mal maîtrisé, vient confirmer la nature spontanée du tournage alors même que le montage du sujet ne cesse de venir parasiter le simple témoignage en y ajoutant du sens par le commentaire et/ou le choix de l'ordre des plans (pour preuve l'absence totale de mention de la présence de Vietnamiens lors de ces scènes de joie populaire, alors même que le travelling embarqué depuis l'une des jeeps immortalise de nombreux visages asiatiques applaudissant depuis les trottoirs). Il est d'ailleurs particulièrement intéressant de relever qu'un plan de cette foule (sous le panneau ovale « Bureau officiel du tourisme ») se retrouve curieusement au moment où la population est supposée accueillir le général Leclerc sous une pluie torrentielle. Il s'agit là du réemploi d'un plan de coupe, réemploi d'autant moins judicieux qu'il se situe à moins de 30 secondes d'intervalle et dénonce donc « l'habillage » du sujet effectué a posteriori par un monteur métropolitain.
Dernier acte de ce retour en Indochine, l'arrivée du général Leclerc le 29 septembre 1945, accueilli par le major-général anglais Gracey (commandant la 20e division hindoue) et le colonel Cedille (sous-délégué du Haut-commissaire pour la Cochinchine). Après avoir été filmé en voiture, puis à bord des bâtiments français en partance pour l'Indochine, c'est maintenant par avion qu'il rejoint l'Indochine et le sujet du Magazine des Armées reprend dès lors la même formule de représentation du général qu'au début, multipliant les axes de caméras et les plans dont il est le centre pour mieux valoriser sa position de chef et l'énergie de son autorité. Il en est notamment ainsi lors des scènes de liesse populaire où la Libération se rejoue en climat de mousson alors que les clameurs de la foule sont ajoutées en bruitage de fond. Point d'orgue de ce portrait triomphal du chef de guerre, la mise en scène, sans doute un peu trop exagérément virile, des dernières images de Leclerc : il y est d'abord cadré très serré, de dos, face à la foule depuis le perron du Palais du Gouvernement, les mains soutenant les hanches ; en guise de contrechamp, il est ensuite montré de face, mais depuis un point de vue plus éloigné qui permet de voir fièrement pointer au premier plan un canon alors que Leclerc arbore toujours au fond du cadre la même posture, mains sur les hanches et bassin basculé en avant.