Les anciennes glacières de Strasbourg
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Découverte d’un fleuron du patrimoine industriel de Strasbourg niché au cœur du quartier de la Petite France, les anciennes glacières de la ville, qui sont aujourd’hui intégrées dans un palace.
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08 déc. 2021
Date de diffusion :
27 mars 2015
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Jusqu’aux Trente glorieuses qui ont vu l’invention du froid artificiel et du réfrigérateur, produire de la glace est une opération complexe. Une glacière désigne la fabrication de glace pour le froid mais aussi un espace réfrigéré. Pendant longtemps, on récupérait la glace venant des rivières et des lacs gelés puis on la stockait dans des caves ou des bâtiments conçus idéalement pour la sauvegarder. La conservation des aliments utilisait, elle, d’autres méthodes telles que le salage pour les viandes, la fermentation ou la stérilisation pour les fruits et légumes. La glace, descendue des montagnes dès l’Antiquité, servait à la production de glaces ou à la conservation des poissons. Les premiers appareils frigorifiques font leur apparition dans les années 1850. Si les Frères Carré inventent, vers 1862, un appareil destiné à produire de la glace pour les brasseries et fonctionnant à l’eau et à l’ammoniac, c’est l’allemand Carl von Linde qui est considéré comme l’inventeur du réfrigérateur en 1876. L’invention du froid industriel s’explique par de nombreuses découvertes techniques mais aussi par le développement de l’industrie agroalimentaire.
Les anciennes glacières de Strasbourg sont un exemple rare, peut-être unique en Europe, d’une usine fabriquant de la glace grâce à l’énergie hydraulique et non grâce à la vapeur. Situées dans ce qui est devenu l’un des lieux les plus touristiques de la ville, elles témoignent aussi de l’occupation quasi millénaire du site. En effet, l’existence de deux canaux de l’Ill a été propice à l’installation de moulins dès le Moyen-Age. A cet endroit, en effet, un dénivelé géologique provoque une chute d’eau d’un 1m75, ce qui permet un débit de 6m3 par seconde mais nécessite de créer une écluse. C’est en 1897, sous l’impulsion de bouchers et brasseurs strasbourgeois, que nait l'usine de production de glace Klareiswerke zur Dünzenmühle (l’usine de glace transparente du moulin Dünzen). Elle choisit de s’implanter dans un ancien moulin dont elle réutilise des éléments plus anciens tels que des vannes datant de 1815.
L’usine est agrandie en 1903 et 1912, avant d’être modernisée en 1930. Le site associe la force hydraulique traditionnelle de la rivière et la production moderne de froid artificiel. Pour cela, on puise de l’eau dans la nappe phréatique à 35 m de profondeur que l’on remonte puis place dans des mouleaux, de grands moules métalliques d’une contenance de 25L, plongés dans de la saumure à moins 5 degrés. Ce bain est obtenu par compression puis détente d’un gaz, l’anhydride sulfureux. L’eau est transformée en pains de glace de 25 kg. Ces derniers étaient fortement demandés pour soutenir l’essor de la filière agroalimentaire de Strasbourg, en particulier brassicole. Dès cette époque, la bière alsacienne, qui connaît son âge d’or, est exportée en train vers Paris, ce qui nécessitait d’y maintenir une température constante. Il fallait ne pas dépasser les 10 degrés d’où l’utilisation de la glace. Strasbourg, en 1866, comptait alors une soixantaine de brasseries, dont Schutzenberger, Kronenbourg en passant par la brasserie de l’Espérance fondée par Jean Hatt dès 1786 (bières Ancre). L’usine connait une forte croissance et produit, à son apogée, jusqu’à 8000 tonnes de pains de glace par jour. Elle employait encore une vingtaine d’ouvriers dans les années 1980. Elle fournissait aussi l’hôpital civil et la foire de Strasbourg.
Le réfrigérateur domestique sonne la mort de l’usine devenue obsolète. Les turbines s’arrêtent le 31 mai 1990. Ces glacières sont un exemple rare d’une usine datant de la fin du XIXème siècle, de la pérennité d’un site et du patrimoine industriel. En effet, sous l’action de l’association des anciennes Glacières, le lieu a été inscrit aux monuments historiques en 1991 puis les machines en 1993. Même si leur projet de création d’un musée n’a pas encore vu le jour faute de subventions, le site, intégré dans un hôtel 5 étoiles, le Régent Petite France, fait l’objet d’une protection, et d’une mise en valeur encore confidentielle.
Éclairage média
Par
La séquence s’inscrit dans le journal du 19h/20h de France 3 Alsace. Il s’agit d’un reportage long format intitulé Route 67. Il a pour objectif de faire découvrir le Bas-Rhin à travers des lieux insolites et des personnages. Il se compose de plusieurs interviews entrecoupés de prises de vue actuelles et passées de l’usine. On y entend trois membres de l’association des anciennes glacières dont son président, Michel Girard, ainsi que la directrice de l’Hôtel Régent Petite France désormais propriétaire des murs. Le premier interlocuteur explique les secrets de fabrication de la glace et le rôle des mouleaux ce que vient rendre concret un reportage des années 80 où l’on voit la production à la chaîne des pains de glace. Le second interviewé, Maurice Arnould, est le fils d’un des derniers turbiniers de l’usine, ce qui est l’occasion d’évoquer ses souvenirs.
L’usine qui paraît hors du temps, comme figée, s’anime lorsqu’il évoque le bruit des turbines et des moteurs, ou les odeurs, en particulier l’anhydride qui s’échappait des soupapes et que respirait son père sans que cela ne soit perçu comme un danger.
La caméra nous donne à voir ces machines d’un autre temps, telles une turbine Francis dont on peut lire le nom des fabricants et la date : Schneider Jaquet et Cie, Strasbourg, 1897 ou les compresseurs fournis par une société de Schiltigheim, la société Quiri. Les alternateurs ont été produits pour l’un à Belfort par la SACM (Société Alsacienne de Construction Mécanique) et pour l’autre par une société suisse. Ces machines sont un témoignage de l’histoire industrielle régionale.
Cette usine, qui n’a pas bougé depuis le début du 20e siècle, se révèle de plus un modèle d’usine durable et autarcique selon le président de l’association. En effet, l’eau de l’Ill permettait d’actionner des turbines qui, en retour, produisaient l’énergie nécessaire au fonctionnement des compresseurs. La puissance était telle que l’usine revendait de l’électricité à l’ES (Electricité de Strasbourg) et pouvait équiper les véhicules de livraison. Le reportage se clôt sur la situation actuelle des glacières. Après leur fermeture, elles ont été acquises par Jean-Maurice Scharf, un promoteur strasbourgeois qui les a transformées en hôtel de luxe. On lui doit aussi la réhabilitation des Haras de Strasbourg, de la Cour du Corbeau ou du Régent Contades.
C’est la directrice de l’établissement qui est interviewée ce qui permet de découvrir l’intégration de l’usine avec une activité hotellière de grand standing. Cette intégration a permis la pérennité du site, lui a offert une certaine visibilité, du moins pour les clients de l’hôtel car le lieu n’est ouvert qu’à de petits groupes et uniquement durant les Journées du Patrimoine. Le projet de le muséifier n’a toujours pas abouti, ni celui plus saugrenu de faire refonctionner les machines. Les vibrations des turbines semblent en effet peu compatibles avec le calme promis par l’hôtel.
Transcription
(Cliquez sur le texte pour positionner la vidéo)
(Musique)
Caroline Moreau
Bienvenue.Route 67 va vous raconter ou vous rappeler aujourd’hui ce qui se cache derrière ces vitres ici au coeur du quartier de la Petite France.Un véritable trésor du patrimoine industriel de la ville.Découverte des Anciennes Glacières de Strasbourg.
(Bruit)
Caroline Moreau
En entrant dans les lieux, l’impression est saisissante.Ici, le temps s’est arrêté.Les machines sont comme figées depuis le 31 mai 1990, jour où elles cesseront définitivement de fonctionner.Seul bruit perceptible, celui de l’eau qui bouillonne sous l’usine.
(Bruit)
Caroline Moreau
Rares sont les personnes à pouvoir pénétrer ici.Ces messieurs font partie de ces visiteurs privilégiés, membres d’une association qui entend perpétuer la mémoire des lieux.
Jacques Deutsch
Ce que j’ai là en main, c’est ce qu’on appelle un mouleau.Donc, qui servait à faire les pains de glace.Alors, dans le mouleau, on mettait de l’eau qui était pompée dans la nappe phréatique, donc de l’eau potable.Ce n’était pas de l’eau de la rivière.Ces mouleaux remplis d’eau étaient plongés dans les bacs de saumure qui étaient vers -5° environ, et au bout d’un certain temps, l’eau gelait.
Caroline Moreau
Au plus fort de l’activité après-guerre, jusqu’à 8 000 pains de glace sortiront chaque jour de l’usine.Une usine créée par et pour les brasseurs, pour conserver la bière au frais.La glace servira aussi aux restaurateurs à la foire de Strasbourg, parfois à l’hôpital civil, même aux enfants du quartier.Tous auront sucé des bouts de pain de glace, comme Maurice Arnould, fils du dernier turbinier des Glacières.Il se souvient des récits de son père, le froid, le bruit, le souffre.
Maurice Arnould
On a des machines qui fonctionnent à l’anhydride sulfureuse, donc c’est un gaz sulfureux et chaque fois qu’on changeait une soupape, il profitait généreusement de respirer les gaz, et voilà, pendant 15 jours, il toussait, il crachait ses poumons, comme il disait.
Caroline Moreau
Fin des années 80, l’avènement du froid industriel, la généralisation des réfrigérateurs va sonner le glas des glacières.Très vite, murs et machines seront protégés, classés, car l’usine est unique dans sa conception.Construite en 1897, elle est un modèle d’écologie.
Michel Girard
Vous entendez l’eau qui est à toute puissance.L’énergie hydraulique permet d’être transformée en énergie mécanique, pour les compresseurs, en énergie cryogénique pour faire de la glace, et en énergie électrique pour faire marcher différentes machines ici et aussi être vendue, éventuellement, à l’électricité de Strasbourg.Donc, c’était un fonctionnement en toute autarcie, totalement propre.
Caroline Moreau
Propriétaire des murs aujourd’hui, un hôtel cinq étoiles.Il ne reste rien de ce passé industriel.Au contraire, vannes et turbines font partie intégrante du décor.
Sandrine Hugonot
On y veille, comme en bon père de famille, pour pouvoir effectivement à la fois le conserver, l’entretenir et le faire valoir.Des enfants aussi sont intéressés, de voir de grandes roues dans cette ancienne glacière et de savoir quelle était l’utilité à l’époque, et qu’on puisse aussi transmettre ce patrimoine.
(Bruit)
Maurice Arnould
Ça fait triste.Mon rêve, c’est de les voir marcher, et réentendre le bruit des turbines, le bruit des compresseurs.Ça fait partie d’une nostalgie.Je pense que… Je ne sais pas si un jour, on les mettra en route, mais c’est vrai que c’est triste de voir une usine qu’on a vue vivre, de la voir morte, à l’arrêt.On n’a plus que le souvenir des images qu’on peut voir, mais c’est tout.
Caroline Moreau
Le rêve pieu de ces gardiens du temple, si ce n’est faire redémarrer les turbines, du moins transformer les lieux en musée.Pour l’heure, les Anciennes Glacières ne se visitent que sur demande, par petit groupe, lors des journées du patrimoine.
(Musique)
Caroline Moreau
Voilà.Alors, je suis sûre que vous ne regarderez plus les lieux de la même façon la prochaine fois que vous passerez par ce quartier de la Petite France.C’est la fin de ce numéro.A bientôt ailleurs, sur la Route 67.
(Musique)
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