La synagogue de la Paix à Strasbourg, devoir de mémoire
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Retour en arrière à l’occasion des 60 ans de la synagogue de la Paix à Strasbourg, figure du « patrimoine du XXe s. » selon le ministère de la Culture. Découverte rare d’un édifice pluriel : lieu de culte, maison communautaire et monument mémoriel.
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Date de publication du document :
08 déc. 2021
Date de diffusion :
09 oct. 2018
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Contexte historique
ParProfesseur agrégée d’histoire-géographie au Gymnase Jean Sturm à Strasbourg
Située avenue de la Paix (d’où sa dénomination) dans le quartier de la Neustadt, la synagogue a été inaugurée, avant même d’être achevée, le 5 juillet 1957 (et non en 1958 comme l’affirme le reportage qui confond l’inauguration et la consécration le 23 mars 1958) par le président de la République René Coty, accompagné du ministre d’Etat, Pierre Pfimlin et du maire de Strasbourg, Charles Altorffer (Pierre Pfimlin ne devient maire de Strasbourg qu’en 1959, autre erreur du reportage). Le principe de la construction a été lancé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Strasbourg se voulait alors la capitale symbolique d’une nouvelle Europe et était devenue à ce titre le siège du Conseil de l’Europe, institution née en 1949.
Pour cette nouvelle synagogue se posait la question de la localisation. Beaucoup, parmi les Juifs rescapés revenus à Strasbourg, souhaitaient qu’elle soit située quai Kléber au cœur de la ville et à l’emplacement de celle édifiée en 1898, incendiée le 12 septembre 1940 par les nazis qui entendaient éradiquer la présence juive en Alsace. Or la municipalité comptait récupérer ce terrain bien placé et proposait en échange un espace avenue de la Paix à proximité du parc des Contades. Cette solution a fini par s’imposer malgré les débats et pour répondre aux attentes mémorielles, en contrepartie, la ville a choisi en 2012 d’installer une plaque commémorative, un marquage au sol ainsi que des panneaux d’informations le long d’une voie désormais baptisée l’Allée des Justes-parmi-les-Nations. Par ailleurs, le terrain mis à disposition avenue de la Paix devait permettre de construire un édifice de grande taille à la mesure des enjeux et marquer un devoir de mémoire contre l’antisémitisme, bien au-delà de la simple réparation d’un dommage subi. Il s’agissait de rendre ainsi hommage aux victimes de l’extermination et d’attester la renaissance du peuple juif après les persécutions, en écho avec la création de l’Etat d’Israël en 1948.
Pour autant, tout n’était pas résolu et le projet soulevait une question cruciale : quelle fonction et donc quelle forme pour cet édifice qui, du fait de l’Histoire, ne pouvait plus être un simple lieu de culte ? Et au-delà, pouvait-on, sans contradiction, porter l’héritage et s’inscrire dans une modernité architecturale ? La commission de reconstruction, qui devait établir le cahier des charges, a ainsi hésité entre un bâtiment prestigieux employant des matériaux nobles et un complexe plus modeste mais aux fonctions élargies. C’est la deuxième voie qui a été retenue, écartant, au moins partiellement, le modèle consistorial inspiré du schéma ecclésial, voire basilical, en vogue dans l’architecture synagogale au XIXe s. et auquel appartenait la synagogue de 1898. Le projet qui répondait le mieux à ce principe était celui de Claude Meyer-Levy, architecte qui avait supervisé la reconstruction de Saint-Dié après la guerre. La première pierre était dès lors posée le 5 septembre 1954…Le financement en était presqu’entièrement assuré par l’indemnité reçue pour les synagogues détruites, celle de Strasbourg et celles de campagnes jamais reconstruites faute de fidèles.
Tout ici donc articule passé et présent, modernité et tradition, fidélité spirituelle à Israël et attachement à la France, dans un contexte de tensions identitaires au lendemain de la guerre entre ceux qui prônent le retour à Sion et l’alya et ceux qui entendent rester en France. L’édifice y répond en quelque sorte, par ses dimensions plurielles et son ancrage à la fois national et européen.
Éclairage média
ParProfesseur agrégée d’histoire-géographie au Gymnase Jean Sturm à Strasbourg
Le reportage réalisé en 2018 pour les 60 ans de la synagogue de la Paix à Strasbourg insiste d’abord sur la taille spectaculaire de l’édifice : 24 mètres haut, la plus grande synagogue de France, la deuxième d’Europe après celle de Budapest.
La visite commence à l’intérieur en compagnie d’une guide et permet de découvrir un lieu habituellement fermé aux visiteurs. On aperçoit ainsi dès les premières images l’arche sainte, qui abrite la Torah et qui est ici traitée de manière originale. Cylindrique, alors que de coutume elle adopte la forme d’une armoire, elle évoque une tente, le tabernacle originel au temps de Moïse dans le désert. Le rideau qui la dissimule et que l’on distingue à l’arrière a été réalisé par les manufactures d’Aubusson d’après un carton de Jean Lurçat. Un baldaquin vient encadrer l’arche et se termine par une étoile de David horizontale qui couronne l’ensemble et notamment la Torah. Deux candélabres à huit branches (il est interdit de reproduire la ménora du Temple) ornent les deux colonnes effilées. Les murs de béton et le mobilier liturgique de bois aux lignes simples confortent le sentiment d’austérité et de simplicité. La caméra laisse entrevoir les tribunes aménagées afin d’assurer le principe de séparation des hommes et des femmes. Les salles de culte, dans un souci de fonctionnalité, sont modulables grâce à des cloisons mobiles qui permettent de fractionner l’espace ou au contraire de l’ouvrir lors des grandes fêtes avec plus de 1500 places assises.
Le reportage propose ensuite des images d’archives qui nous montrent que le bâtiment n’a pas changé depuis 1958. Résolument moderne, il a été construit en béton, renonçant au classique grès vosgien. Cette austérité, ce refus de tout luxe, que l’on retrouve à l’intérieur, se comprend comme le signe d’un deuil, celui de toute une communauté. L’architecture acquiert dès lors une dimension mémorielle tout en s’inscrivant, notamment par les symboles, dans une tradition. Le tapis d’étoiles en façade fait ainsi référence à l’étoile de David, au drapeau d’Israël et à l’étoile jaune que les Juifs étaient obligés de porter. Ce motif en réseau se retrouve par la suite dans d’autres synagogues, celle de la Roquette à Paris ou celle de Caen. Toujours de manière symbolique, le volume et les piliers viennent rappeler le Temple de Salomon à Jérusalem. Les dix commandements figurés en façade répondent aux dix colonnes à l’intérieur. Un énorme chandelier, sur le mur latéral à l’extérieur, évoque la ménora du Temple, normalement pourvue de sept branches (ici seulement six) le plus ancien symbole religieux juif.
En façade une inscription en hébreu et en français reprend les paroles du prophète Zaccharie : « Plus fort que le glaive est mon esprit », en écho direct à la tragédie vécue. Le rabbin Claude Heymann, rabbin des communautés du Bas-Rhin de 2003 à 2019, interrogé par le journaliste rappelle la nécessité impérieuse pour les Juifs rescapés de retrouver une maison communautaire, bien au-delà d’un lieu de culte.
Quelques plans illustrent cette polyvalence et montrent des enfants en train de jouer dans l’enceinte du bâtiment, devant des vitrines exposant des objets patrimoniaux. Yoav Rossanno, chargé de mission « Patrimoine et culture » au Consistoire israélite du Bas-Rhin, propriétaire de la synagogue, explique cette spécificité de la synagogue de la Paix qui concilie culte et activités communautaires, notamment scolaires, selon un modèle qui n’est pas tout à fait unique, contrairement aux propos tenus, et qui rappelle le schéma retenu pour plusieurs synagogues américaines par Erich Mendelsohn. Cet architecte juif allemand qui a dessiné sept synagogues entre 1946 et 1953 par exemple à Cleveland ou à Saint-Louis. Il a cherché à concilier monumentalité et fonctionnalité, représentativité et symbolique, caractères que l’on retrouve dans la synagogue de la Paix.
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