La Nouvelle Durance : la conquête de l'eau en Provence
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Résumé
Au-delà de la seule Durance, ce long reportage enthousiaste, servi par la voix chantante de Toursky et son enthousiasme fleuri, raconte l'histoire de la conquête de l'eau en Basse Provence, cartes à l'appui et sur un fond sonore qui renforce le caractère épique de cette aventure. Il commence par un rappel sur la sécheresse chronique de la Crau et la construction du canal de Craponne qui marque les débuts de la maîtrise des eaux de la Durance. Grâce à ce canal et à celui de Carpentras, l'irrigation ainsi apportée a permis l'essor de l'horticulture et de la riziculture. L'autre fléau lié à l'eau est celui des inondations en Provence rhodanienne. Grâce au barrage en construction à Serre-Ponçon, la capricieuse Durance, alimentée par les glaciers du Pelvoux, sera domestiquée. Ce barrage aura les dimensions du lac d'Annecy. Seule ombre à ce tableau, l'ennoyage de deux villages, Savines - dont on donne une vue d'ensemble - et Ubaye. Le document s'attarde sur les travaux spectaculaires du canal de dérivation et de la future RN 100. Il se termine en insistant sur l'édification d'un chapelet d'aménagements par EDF en aval du barrage et jusqu'à l'Étang de Berre, soit 80 km de canaux et cinq usines entre Jouques et Saint-Chamas, qui fourniront de l'énergie. La Durance redeviendra ainsi un fleuve. La conclusion de reportage, très représentatif de la confiance dans le progrès qui marque les "Trente Glorieuses" (les années de croissance et de rééquipement de la France), annonce des lendemains meilleurs grâce à cette conquête, développement économique et mieux être à la clé.
Date de diffusion :
06 août 1955
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Alors que la reconstruction n'est pas tout à fait terminée, la France se modernise dans le cadre des plans d'équipement dont Jean Monnet s'est fait l'artisan. Parmi les travaux prioritaires, l'énergie et donc la construction de barrages hydro-électriques tiennent une place privilégiée. L'aménagement de la Durance par EDF entre dans ce cadre, mais il doit permettre de résoudre deux autres problèmes spécifiques. Le premier est celui de la régularisation de cette rivière, la grande rivière provençale, longue de 324 kilomètres, qui prend sa source sur les hauteurs de Montgenèvre (Hautes-Alpes) et se jette dans le Rhône à Avignon.
Ce document est un documentaire plus qu'un reportage, d'une exceptionnelle longueur et commenté dans son style inimitable par le journaliste et poète Toursky. Les aménagements hydrauliques en cours sur la Durance lui donnent l'occasion de rappeler l'importance de l'eau en Provence - "Eici, l'aigo es d'or (ici, l'eau, c'est de l'or)" dit le proverbe provençal - et de rappeler les calamités séculaires, sécheresse et inondations, qui affectent la Provence. La rivière est connue pour la soudaineté de ses crues - l'un des cinq fléaux de la Provence, dit la tradition - comme pour l'irrégularité de son débit, qui connaît des étiages prononcés (moins de 60 m3/s), alors que les hautes eaux de fonte des neiges gonflent son cours en avril-mai (2 000 m3/s). Les crues du Bas Rhône, noyant la vallée et les basses terres entre Avignon et la Camargue, sont souvent catastrophiques et, pour les enrayer (très partiellement) tout un système d'endiguement s'est édifié au long des siècles. C'est ce système de digues qui a permis l'essor (très récent puisqu'il date des années quarante) de la riziculture en Camargue. Par ailleurs, la Durance est depuis longtemps un réservoir d'eau pour les agriculteurs de basse Provence dont les terres sont affectées par la sécheresse estivale. Une quinzaine de canaux en partent dont les deux principaux sont mentionnés dans le reportage. Le plus ancien et le plus fameux est celui que fit creuser Adam de Craponne au milieu du XVIe siècle pour irriguer la Crau. Cet ingénieur de la Renaissance avait obtenu l'autorisation de dériver le cours de la Durance, en partant de La Roque d'Anthéron et en passant à travers le pertuis de Lamanon, ancien cours de la rivière au Quaternaire ancien qui se jetait alors directement dans la mer. Cette réussite valut la gloire à de Craponne, en particulier à Salon, sa ville natale, où se trouve la statue que l'on voit ici et qui a été érigée en 1854. L'oeuvre d'Adam de Craponne fut complétée par un véritable réseau ramifié de canaux, cartographiés dans le document, qui aboutit à opposer brutalement les terroirs irrigués par le système du "tour d'eau" que nous montre le reportage et les zones sèches à la limite de l'aridité en cas de faible pluviométrie, "misère des terres assoiffées" dit Toursky. C'est ce système d'irrigation que l'on retrouve également dans le Vaucluse qui a transformé l'agriculture provençale et permis de cultiver de la prairie et surtout des légumes et des vergers. La construction de l'autre grand canal mentionné, celui de Carpentras, qui part de Mérindol et traverse les bassins de l'Isle, de Carpentras avant d'aboutir à l'Ouvèze au Nord du Vaucluse, est terminé en 1869. Il a largement contribué à la prospérité de l'horticulture du Comtat en permettant le développement des cultures irriguées de fraises, de melons, etc. À ces canaux, il faut ajouter celui de Marseille qui, lui, sert à l'alimentation en eau de la ville depuis 1854 et celui du Verdon qui va un peu plus tard alimenter Aix. L'aménagement du Verdon est d'ailleurs indissociable de celui de la Durance dont il est le principal affluent. La construction du canal de Provence et du barrage de Sainte-Croix complèteront le dispositif construit sur la Durance grâce au barrage de Serre-Ponçon (voir De l'eau pour tous : le Canal de Provence et Le barrage de Sainte Croix sur le Verdon).
Celui-ci est en effet la pièce maîtresse et le véritable prétexte au reportage qui replace sa construction dans l'histoire de la domestication de la rivière et annonce tous les bienfaits qu'il va apporter sur le plan économique (l'électricité et l'irrigation agricole) et sur celui des conditions de vie. Les crues particulièrement graves de la Durance au cours du XIXe siècle (notamment 1843 et surtout 1856) ont conduit à l'idée de réguler le cours de la rivière par un barrage situé très en amont. Un ingénieur des Ponts et Chaussées, Ivan Wilhelm, y consacra sa vie. Il fut le véritable concepteur du barrage de Serre-Ponçon dont le procédé de construction, transposé de techniques américaines, ne fut véritablement maîtrisé qu'après la Seconde Guerre mondiale. La décision d'aménager la Durance a été prise en 1951 et, après le vote d'une série de lois en août et décembre 1954, ces travaux ont été déclarés d'utilité publique le 5 janvier 1955, avec la "loi d'aménagement de Serre-Ponçon et de la Basse-Durance" qui concède à EDF la maîtrise d'ouvrage. La volonté de coupler production d'hydroélectricité et irrigation est explicite dès le départ, le concessionnaire devant assurer notamment en été des livraisons d'eau aux agriculteurs. Le barrage de Serre-Ponçon a été en son temps un chantier titanesque qui a mobilisé pendant cinquante-quatre mois 3 000 ouvriers travaillant en rotation vingt heures par jour. Les travaux ont commencé en 1955 et la mise en eau en novembre 1959, se poursuivant jusqu'en mai 1961. Il s'agit d'un barrage-poids (et non d'un barrage-voûte) construit en remblais à deux kilomètres en aval de la confluence de la Durance avec l'Ubaye, capable de résister aux séismes les plus forts connus dans la région, car il est situé sur la faille de la Durance. Ce fut un de ces grands chantiers français de l'après-guerre qui ont permis la constitution de grands groupes de génie civil, ici les GTM (Grands travaux de Marseille), que l'on retrouvera un peu plus tard dans la construction des autoroutes et du logement social. Haute de 123 mètres, la digue du barrage renfermera une centrale électrique souterraine (700 millions de KWh). Les travaux ont commencé depuis six mois lorsque ce reportage est tourné. Ils concernent le déplacement de la route et surtout la dérivation de la rivière là où la digue doit être construite. La mise en eau du barrage interviendra en 1960 (voir La mise en eau du barrage de Serre Ponçon).
Serre-Ponçon a été également une opération d'aménagement du territoire avant la lettre car non seulement il a modifié les paysages, transformé l'économie agricole, mais il a également entraîné le déplacement de routes et voies ferrées, la construction de pont (tels le pont de Savines) et la reconstruction de villages. En effet, comme le montre le reportage réalisé avant la mise en eau, le lac du barrage a englouti plusieurs communes : Savines, dont on voit l'ancien village au fond de la vallée avec son clocher caractéristique des églises de l'Embrunais, Ubaye et Rousset dans la vallée de l'Ubaye. Environ 1 500 personnes ont été déplacées et l'action des élus locaux a obtenu pour les populations des indemnités pour "préjudice moral causé par l'arrachement d'une population à son milieu naturel", fait inédit. Le film L'Eau vive, commandé par EDF, écrit par Jean Giono et réalisé en 1958 par François Villiers, ainsi que la chanson écrite par Guy Béart, retrace cet épisode douloureux pour les habitants concernés.
Serre-Ponçon est aujourd'hui l'ouvrage de tête d'un aménagement hydraulique qui a transformé la moyenne et basse Durance. Outre l'usine du barrage lui-même, creusé dans la roche, latéralement au barrage de terre, une quinzaine d'usines ont été construites en aval. La production atteint environ six Milliards de kWh par an soit celle de deux réacteurs nucléaires. Les eaux de la Durance sont dérivées dans un canal latéral qui permet l'irrigation des terres agricoles. L'arrosage par aspersion plus efficace et économe que l'ancien système gravitaire a transformé l'agriculture de cette vallée autrefois déshéritée : vergers, cultures légumières etc. Une conséquence non prévue à l'origine a été le développement du tourisme sur les bords du lac de Serre-Ponçon qui a transformé l'économie de l'Embrunais et de la basse Ubaye. Le concessionnaire, EDF, doit aujourd'hui arbitrer entre les différentes finalités du barrage, assurer les réserves d'eau pour la production d'électricité, notamment pour les pointes d'hiver, ce qui conduit à consommer de l'eau ; assurer également des lâchers d'eau en été pour les agriculteurs tout en maintenant un niveau d'eau suffisant sur le lac pour les activités touristiques et le nautisme.
En 1956, au début des "Trente Glorieuses" et d'une période de croissance économique, l'époque est à l'enthousiasme pour le progrès et ses bénéfices. Le ton du commentaire, la musique qui l'accompagne, le rythme des images, la linéarité conquérante du propos, tout concours à la glorification des travaux en cours. Aujourd'hui, il apparaît que les bienfaits n'ont pas tous été à la hauteur des espérances et que la vallée a été totalement bouleversée, et pas forcément pour le meilleur. Les effets pervers de ce type d'aménagement sont connus : malgré les travaux de reforestation sur les berges, le dépôt de limons est inéluctable avec à terme un comblement des ouvrages de retenue ; la canalisation de la Durance a d'autre part privé les basses terres des apports fertiles qui se répandaient autrefois à l'occasion des crues. Enfin une des conséquences les plus durables sur le plan de l'environnement est le détournement de la Durance vers l'Étang de Berre (retour au statut de fleuve, comme le montre dans le reportage l'anecdote du changement du panneau indicateur) avec l'amenée d'eaux douces et d'alluvions qui ont profondément perturbé l'écosystème de l'Étang de Berre, système aujourd'hui remis en question au nom de l'environnement.
Bibliographie :
Association régionale des professeurs d'histoire et de géographie-Université de Provence, Le territoire régional Provence, Alpes, Côte d'Azur, Conseil régional Provence-Alpes-Côte d'Azur, 1992.
François Desvignes, Le canton de Savines, Gap, Édition de la Librairie des Hautes-Alpes, 1996.
Roger Livet, Atlas et géographie de Provence, Côte d'Azur, Corse, Paris, Flammarion, 1978.
Marylène Soma Bonfillon, Le canal de Craponne, un exemple de maîtrise de l'eau en Provence occidentale 1554-1954, Aix-en-Provence, PUP, 2007.
Transcription
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