Allocution du 11 décembre 1965

11 décembre 1965
11m 53s
Réf. 00251

Notice

Résumé :

Au sortir du premier tour des élections présidentielles, le général de Gaulle, qui a recueilli 44,64% des suffarges, est mis en ballottage. Avant le second tour qui doit se tenir le 19 décembre, il s'adresse aux Français.

Type de média :
Date de diffusion :
11 décembre 1965
Type de parole :

Éclairage

Le premier tour de l'élection présidentielle, le 5 décembre 1965 a constitué une déception pour le général de Gaulle. Alors qu'il espérait un raz-de-marée populaire en sa faveur, permettant une élection triomphale dès le premier tour, il a été mis en ballottage. Sans doute avec un score de 43,7% des suffrages exprimés est-il arrivé très largement en tête des candidats, son principal adversaire François Mitterrand, qu'il affrontera au second tour le 19 décembre, ne parvenant à rassembler que 32,2% des suffrages. Il n'empêche que, d'une certaine manière, ce ballottage le ravale au niveau des représentants des partis, alors qu'il entendait demeurer au-dessus de ceux-ci.

Aussi se trouve-t-il en quelque sorte contraint, pour ne pas répéter l'erreur du premier tour où il a dédaigné de faire campagne, de solliciter le vote des électeurs en utilisant à plein son temps d'antenne, d'une part en prononçant les 11 et 17 décembre deux allocutions radio-télévisées, d'autre part sous la forme de trois entretiens avec le journaliste Michel Droit les 13, 14 et 15 décembre.

L'allocution du 11 décembre est tout entière structurée autour du bilan de la Vème République depuis 1958, présenté par le général de Gaulle autour de trois axes. En premier lieu le progrès qui lui permet de détailler la croissance nationale et les résultats économiques et sociaux acquis par les Français dans la stabilité de la monnaie et l'équilibre du budget. En second lieu, l'indépendance vis-à-vis des deux grands blocs hégémoniques qui se partagent le monde, la France demeurant l'amie et l'alliée de l'Amérique et conduisant une politique internationale d'ouverture envers tous les peuples. Enfin, la paix que la France souhaite étendre à tous les peuples du monde, mais qu'elle assure en ce qui la concerne par la possession d'un armement nucléaire à but dissuasif. Et il oppose ce bilan à celui, qu'il juge désastreux sur tous les plans, des partis qui soutiennent son adversaire (auquel il ne consent pas la moindre allusion puisqu'il estime se situer sur un tout autre plan).

Serge Berstein

Transcription

Journaliste
Alors cinq, quatre, trois, deux, un, zéro !
Charles de Gaulle
Françaises, Français, tandis que roule le flot de la démagogie en tous sens, des promesses à toutes les clientèles, des invectives de tous les bords, naturellement soulevées par les partis dans leurs campagnes, voici qu'approche le jour où vous allez décider du sort de la France. Car il dépend de vous toutes et de vous tous qu'en définitive, la République nouvelle, si elle est maintenue et confirmée dans la personne de son président, poursuive et développe d'abord avec lui, plus tard, avec d'autres, son oeuvre de progrès, d'indépendance et de paix. C'est de cet avenir, pourvu qu'il reste ouvert, que je veux vous parler ce soir. J'ai dit le progrès. Qu'il s'agisse du développement réalisé depuis sept ans ou qui est engagé par notre économie, industrie, agriculture, échanges, ou bien de ce que chacun, en moyenne, a acquis et de ce que la loi lui assure d'acquérir au cours des prochaines années, ou bien de ce qui est fait et va l'être pour notre collectivité nationale en ce qui concerne les grands investissements et transferts sociaux qui vont à la recherche scientifique, à l'enseignement, à l'agriculture, au logement, aux retraites, aux hôpitaux, au sport, à l'équipement du territoire, etc., ou bien, du point où en sont, par rapport à ce qu'elles étaient, nos finances et notre monnaie et de ce qu'il est décidé qu'elles seront dans l'avenir, voici qui donne quelque idée de l'avance de la prospérité française. Depuis 1958, ce que nous avons produit, évalué en francs constants, s'est accru en moyenne par an de 4,9 %. Cet accroissement doit atteindre en moyenne par an 5 % au cours des cinq prochaines années. L'élévation du niveau de vie réel, je veux dire compte tenu des augmentations de prix pendant la même période a été pour chacun en moyenne par an de 3,7 % et sera pour chacun en moyenne par an de 4 % jusqu'en 1970. Quant à l'action directe de l'Etat pour le développement économique et social collectif de la nation, les investissements ont été, pour ainsi dire, triplés entre 1958 et 1965. Ils grandiront encore pour la durée du cinquième plan. Notre budget est en strict équilibre, notre monnaie est inébranlable et il doit en être ainsi désormais. Voilà du vrai, du sérieux, du solide. J'ai dit l'indépendance. Il y a, dans notre monde, de grandes réalités au milieu desquelles vit la France. Ce sont deux pays actuellement colossaux, les Etats-Unis et la Russie soviétique, en concurrence pour l'hégémonie, la Chine, énorme par sa masse et par son avenir, l'Europe occidentale à laquelle, après de terribles déchirements, tout commande de s'unir à tous les égards, enfin, le Tiers Monde d'Afrique, d'Asie, d'Amérique latine, innombrable et dépourvu. Vis-à-vis de cet ensemble, que faire ? La République nouvelle, elle fait ceci : que la France, si elle reste l'alliée et l'amie de l'Amérique, si elle se sent, avec la Russie, par-dessus tous les régimes qui passent, beaucoup d'affinités naturelles et de grands intérêts communs ne veut être subordonnée ni à l'une ni à l'autre ; que la France noue avec la Chine des liens qui se multiplient ; que la France travaille en Europe à achever l'union économique des six en attendant qu'un jour, plusieurs voisins puissent sans doute s'y joindre et tout en resserrant dans tous les domaines ses rapports avec les pays de l'Est ; que la France, dans la mesure de ses moyens politiques, moraux, matériels aide les peuples venus ou revenus à l'indépendance à affermir leur personnalité nationale et par-là même leurs responsabilités internationales, à améliorer leur Etat, leur administration, leur économie, leurs capacités culturelle, scientifique et technique, bref, à devenir membres à part entière de la civilisation moderne. Pour une pareille action, la France doit avoir les mains libres. Elle les a. J'ai dit la paix. Désormais, sur l'univers, sont suspendus le fait nucléaire et le fait spatial que la science et l'industrie ont rendus inéluctables et qui, naturellement, ont produit et continuent de produire des armes d'une puissance de destruction incommensurable. Pour éviter à la race des hommes des malheurs inouïs, la condition sine qua non, c'est que ces armes n'entrent pas en action. Mais comme la guerre atomique risque d'être l'aboutissement d'un engrenage, ou, comme on dit, d'une escalade, il est d'intérêt vital et universel de réprouver et de liquider tous les conflits armés, quels qu'ils soient. C'est ce que la France fait pour sa part, elle, qui n'en mène plus aucun et qui propose de coopérer au règlement de ceux qui font rage en particulier en Asie tout en se donnant à elle-même, tant que les autres en auront, les moyens de dissuasion, autrement dit de sauvegarde qu'elle est en mesure d'avoir, et tout en refusant d'être, le cas échéant, sous prétexte d'intégration européenne ou d'intégration atlantique, intégrée dans une guerre qu'elle n'aurait pas voulu. Le progrès, l'indépendance et la paix, comment on pourrait les assurer ? Le système désastreux des partis, le système des rivalités, des combinaisons, des contradictions au milieu desquelles, depuis mon départ en 1946 jusqu'à mon retour en 1958, vingt trois ministères s'effondraient, et par l'effet desquels reparaissent, aujourd'hui, dans leurs camps, toutes les ambitions, tous les faux-semblants, toutes les astuces d'autrefois, le système de l'inflation qui, avant de disparaître, nous avait mis au bord même de la faillite, le système qui paralysé par ses jeux scandaleux, empêtré dans des problèmes intérieurs et extérieurs qu'il ne pouvait pas résoudre, offrant sa docilité en échange de secours du dehors faisait que notre pays était appelé l'homme malade du monde. Non ! L'avenir n'est pas là. L'avenir, c'est la République nouvelle qui a pour raison d'être non point de fractionner, de diviser, d'opposer entre eux les Français mais au contraire de les réunir pour renouveler la France, comme celui qui a l'honneur d'être le chef de l'Etat leur demandait, naguère, de le faire pour la sauver, la République nouvelle qui ouvre un cadre moderne, digne et solide à l'ardeur, à l'action, au succès de tous ceux qui veulent construire, non pas détruire. La République nouvelle que le peuple français a fondée à mon appel pour le seul service de la France. Vive la République ! Vive la France !