Erich Lessing

06 septembre 1994
04m 15s
Réf. 00221

Notice

Résumé :

Erich Lessing expose ses doutes sur le rôle du photographe et sa réelle capacité à changer le monde et explique pourquoi il s'est détourné de la photo d'actualité pour s'intéresser à la politique. John Vink tempère ses propos en rappelant le rôle du photographe en tant que témoin de ce qui se passe dans le monde. Lessing souligne également l'importance du festival Visa pour l'image à Perpignan qu'il considère comme "le dernier refuge du photo journalisme".

Type de média :
Date de diffusion :
06 septembre 1994
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Éclairage

Erich Lessing est né à Vienne (Autriche) en 1923. En 1939, devant l'invasion allemande, il émigre en Palestine (sous mandat britannique à l'époque) où il travaille dans les kibboutz et commence sa carrière de photographe, travaillant un temps pour l'armée anglaise.

En 1947, il regagne l'Autriche où il travaille comme photographe pour l'Associated Press, avant de rejoindre l'Agence Magnum, en 1951. Il collabore à différents magazines : Life, Paris-Match, Picture Post, Quick Magazine et acquiert une grande réputation en couvrant les événements dans les pays de l'Europe de l'Est. Son reportage sur l'insurrection hongroise de 1956 lui vaudra le prix de l'American Art Editors.

Il photographie différents sommets politiques, suit la visite du général de Gaulle à Alger puis, à partir de 1960, il se consacre à la photographie d'art et d'histoire. Erich Lessing s'intéresse aux vies des grands musiciens, poètes, scientifiques, à la Bible, à l'Égypte ancienne ; ces travaux donnent lieu à une quarantaine d'ouvrages.

Erich Lessing enseigne la photographie en différents lieux. Le Grand Prix d'Etat autrichien, reçu en 1997, marque la reconnaissance de son pays pour l'importance de son oeuvre artistique.

Emmanuel Zbinden

Transcription

Erich Lessing
Un de mes premiers reportages, en 1950, pour le plan Marshall, était un reportage sur les réfugiés turcs qui devaient quitter la Bulgarie. Et à ce moment-là, les grands flots de réfugiés, les « displayed persons» avaient déjà fini, avaient pris sa fin, et le reportage a été intitulé, presque partout en Europe, sous le nom : Les derniers réfugiés. On savait vraiment pas
Laure Adler
On pensait qu'à l'époque ça serait terminé...
Erich Lessing
On ne savait vraiment pas du tout qu'est-ce qu'on devait attendre ? Et ça je crois pour moi, pose aujourd'hui, mais pas seulement aujourd'hui, le problème de la photographie comme témoignage. Est-ce que nous changeons quelque chose ? Est-ce que nous avons jamais changé quelque chose ? Est-ce que nous sommes pas seulement documentalistes, pour le présent et peut-être pour le futur, quelques-uns de nos photos deviennent icônes ? Au commencement ce sont des photos, des reportages de grande diffusion, puis des photos pour un grand nombre de gens, quelques-uns restent comme témoignage permanent, mais la question permanente, je crois qu'il faut se demander : est-ce que nous changeons quelque chose ? Est-ce que nous font la moindre impression ? Et je sais que toi tu n'as aucune réponse à ça, comme moi d'ailleurs.
John Vink
J'en ai une toute petite, j'en ai une toute petite. Je crois que d'abord on change parfois, très ponctuellement, les choses, mais c'est très, très limité, mais je retourne la question. Je me demande : comment serait le monde si on le photographiait pas ?
Erich Lessing
Voilà. Exactement.
Laure Adler
On ne saurait pas.
John Vink
On ne saurait pas.
Erich Lessing
Il faut être très reconnaissant, à « Visa pour l'image », pour Perpignan?
Laure Adler
Alors « Visa pour l'image », c'est le grand festival international de la photographie reportage
Erich Lessing
La ville de Perpignan a donné la possibilité à « Visa pour l'image » d'avoir ce festival énorme, ces expositions, je crois on expose cette année à peu près 40 photographes, 40 expositions différentes. Et que c'est peut-être le dernier refuge du journalisme, du photo journalisme.
Laure Adler
Et de la vérité qui s'exprime crûment.
Erich Lessing
Ben, la vérité s'exprime toujours, mais elle n'a plus de place pour...
Laure Adler
Il faut pas tricher aussi.
Erich Lessing
Non, elle n'a plus de place pour se présenter parce que les journaux n'existent plus. N'oubliez pas que moi j'ai accompagné le Général de Gaulle, en Algérie en 1958, j'avais dans Paris-Match la couverture, et je crois 24 pages, aujourd'hui, 24 pages ça n'existe plus nulle part.
Laure Adler
Eric Lessing, vous avez, vous, photographié la révolution hongroise.
Erich Lessing
Oui.
Laure Adler
Il y a des photos absolument inoubliables, hélas d'horreur, et de détresse qui restent dans nos mémoires. Que vous reste-t-il de ces moments-là ? Et est-ce que vous ne vous dites pas, puisque vous posiez la question tout à l'heure, à quoi sert la photographie ? Elle nous a servi à nous de pouvoir la ressentir grâce à vos images.
Erich Lessing
Je suis pas sûr voyez vous.
Laure Adler
Ah ?
Erich Lessing
Pour encore, c'est le doute là. Le problème est que chaque photo de la révolution, n'importe laquelle, d'une révolution, d'une guerre, pour l'instant, elle influence. Elle dit quelque chose, mais est-ce qu'elle influence vraiment l'histoire ? Je crois que non. C'est pour ça que je me suis aussi longtemps intéressé à la politique et j'ai couvert les grandes conférences internationales, parce que je croyais que plutôt les destins de nous, c'est plutôt aujourd'hui à New York, aux Nations Unies ou à Genève, au Palais des Nations. Et pas dans les rues de Budapest ou les camps de réfugiés, ni ailleurs où les gens se battent pour un idéal ou racontent quelque chose. Je crois que vraiment, derrière les portes fermées des chancelleries, notre destin se joue vraiment.
Laure Adler
[Incompris]
Erich Lessing
C'est une des raisons pour laquelle je me suis, après Budapest, et après l'Algérie, retiré de la photo d'actualité. Je savais très bien que, quand même, peut être un jour, la photographie influencera quelque chose. Vietnam, c'est probablement le point où le reportage a vraiment influencé la politique.