La production céréalière champenoise transformée par les pesticides de synthèse
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Résumé
En 1968, l’agriculture française est en train de vivre une profonde mutation de ses pratiques, notamment du fait de la diffusion de l’usage de pesticides de synthèse. Un reportage de l’ORTF donne la parole à un fonctionnaire du ministère de l’agriculture à ce sujet, aux abords d’une parcelle de céréales champenoise.
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Date de publication du document :
11 mai 2021
Date de diffusion :
15 mai 1968
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L’utilisation de produits pesticides - c’est-à-dire insecticides, fongicides ou désherbants - à des fins agricoles est attestée depuis le premier millénaire avant notre ère, qu’il s’agisse du soufre, utilisé dans la Grèce antique, ou de l’arsenic, recommandé comme insecticide par Pline l’Ancien. La lutte contre les espèces indésirables a cependant pris majoritairement la forme de moyens mécaniques - sarclage et désherbage manuel - jusqu’au XIXe siècle, du fait de la faible disponibilité de principes actifs jusqu’alors. Avec l’essor de l’industrie chimique, il devient possible de mobiliser d’importantes quantités de cuivre, de soufre et de chaux à des fins agricoles, par exemple pour en faire de la bouillie bordelaise, inventée dans les années 1880 pour lutter contre le mildiou, un champignon se développant notamment sur la vigne. Au cours du siècle suivant, les produits employés se diversifient considérablement, notamment du fait des recherches conduites dans le domaine de la chimie militaire. La Première Guerre mondiale voit ainsi le développement des organochlorés (phosgène, chloropicrine ou ypérite, dite « gaz moutarde »), qui donnent par la suite naissance au DDT. Le gaz sarin, découvert en 1938 par les chimistes de l’entreprise allemande IG Farben, inaugure la classe des organophosphorés, à laquelle appartient le glyphosate, l'herbicide aujourd’hui le plus vendu au monde. L’agent orange, défoliant développé pour l’armée américaine durant la guerre du Vietnam, est également employé comme herbicide sélectif.
Entre 1945 et 1985, l’utilisation agricole de pesticides a doublé tous les dix ans au niveau mondial, en une évolution concernant aussi bien les pays développés que les pays en développement. Ainsi, en France, la quantité de pesticides vendus annuellement est passée de 15 000 tonnes en 1959 à 30 000 en 1970, 60 000 en 1980 et 120 000 en 1999. Associée à l’usage d’engrais minéraux, à la mécanisation et à la sélection variétale, cette diffusion des pesticides a eu des conséquences remarquables sur le plan des rendements : en Europe, la production moyenne de blé par hectare passe de 14,3 quintaux en 1950 à 36 en 1980, soit une multiplication par un facteur de 2,5.
La promotion et la réglementation des pesticides a été en France l’œuvre de l’État, à travers un organe du ministère de l’Agriculture, nommé service d’inspection phytopathologique à sa création en 1911, puis service de défense des végétaux en 1927 avant d’être réorganisé par le régime de Vichy en 1941 sous le nom de service de protection des végétaux. Cet organe, fondu en 1987 dans la direction générale de l’alimentation, était en charge de l’homologation des produits pesticides et du système de l’avertissement agricole, destiné à informer les agriculteurs de l’apparition de toute menace sanitaire pesant sur les cultures.
L’existence d’un système d’homologation des pesticides, prenant aujourd’hui la forme d’une autorisation de mise sur le marché (AMM), tient aux risques sanitaires et environnementaux que constituent ces produits. La plupart des pesticides sont en effet susceptibles de polluer durablement les cours d’eau et de menacer la santé des animaux et des humains. Ces effets ont d’ailleurs motivé l’interdiction du DDT en France dès 1971, puis la réduction progressive du nombre des molécules autorisées, d’environ un millier à la fin des années 1980 à un peu plus de 400 dans les années 2010, notamment du fait de la réglementation européenne. Malgré cela, 44 % des cours d’eau du territoire français sont aujourd’hui impropres à la consommation humaine du fait de la présence de résidus de pesticides et les populations animales connaissent un déclin accéléré, les trois quarts des populations d’insectes et un tiers des populations d’oiseaux ayant disparu au cours des deux premières décennies du XXIe siècle.
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Le reportage débute par quelques plans montrant un agriculteur préparant l’épandage de pesticides sur l’une de ses parcelles, tandis qu’une voix off décrit le « désherbage chimique des cultures ». Deux questions viennent introduire la suite du sujet (« Quels sont ces produits ? Comment agissent-ils ? », 0 min 40), auxquelles il est répondu au moyen d’un entretien avec Pierre Cuisance, inspecteur du service de la protection des végétaux.
Le fonctionnaire, qui répond à ces questions au bord en lisière d’une parcelle sur le point d’être traitée (0 min 47) fait état de colorants nitrés, des dérivés du benzène aussi connus sous le nom de dinitrophénol, qui ont été interdits dans la communauté économique européenne en 1990, ainsi que de régulateurs de croissance, ou herbicides auxiniques, dont une partie ont également été interdits par la suite. Des questions posées par un journaliste permettent ensuite à l’inspecteur du service de la protection des végétaux de présenter la réglementation en vigueur au sujet de l’emploi de ces pesticides, notamment en matière de protection de la vigne (1 min 36). Une partie des mesures de sécurité prévues par cette réglementation apparaissent aujourd’hui d’une médiocre efficacité, à l’image des distances devant séparer les cultures traitées de la vigne, dont les effets à moyen et long termes sont réduits du fait de la circulation des molécules dans l’ensemble du réseau hydrographique.
Dans l’ensemble, le reportage paraît très favorable à l’usage des pesticides et élude complètement les risques qu’ils font peser sur l’environnement et la santé humaine ou animale. Cette impression résulte pour une part du regard porté sur ces produits dans la France des années 1960, soucieuse de productivité agricole - dans un contexte d’exode rural accéléré -, peu sensible aux problèmes posées par la pollution et encline, de façon générale, à prêter aux dernières innovations techniques toutes les vertus. Pour une autre part, le ton très positif du reportage à l’égard des pesticides tient à l’organisation du secteur audiovisuel français en 1968. La télévision est alors un monopole d’État assuré par l’Office de Radiodiffusion-Télévision Française (ORTF), qui opère deux chaînes nationales ainsi que quelques chaînes régionales. Ces médias sont étroitement soumis au contrôle du gouvernement, comme l’illustre la parole d’Alain Peyrefitte, ministre de l’information, qui affirmait en 1963 que « la RTF [Radio-Télévision Française, ancêtre de l’ORTF], c’est le gouvernement dans la salle à manger de tous les Français ! ». Or, le gouvernement est largement favorable, depuis l’entre-deux-guerres, à la diffusion de l’usage des pesticides, dont il attend une hausse du rendement agricole. Ce type de reportage vise alors à rassurer les agriculteurs et les consommateurs quant aux possibles risques de ces produits et à vaincre la méfiance qu’avaient créée, dans les années 1930, la multiplication des cas d’arsenicisme liés à la manipulation de dérivés de l’arsenic par des travailleurs agricoles. Cette méfiance est d’autant plus répandue que les produits à base d’arsenic sont alors encore autorisés à des fins agricoles, jusqu’à leur interdiction en 1973 (sauf dans le secteur viticole, où ils demeurent employés jusqu’en 2001).
Transcription
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