La désertification
: une menace en Lorraine
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Résumé
En Moselle, les difficultés de l’agriculture s'expliquent notamment par un grand retard dans le remembrement, retard qui résulte des particularismes locaux. Dans ces conditions, beaucoup d’exploitations agricoles disparaissent ou ne se modernisent pas, menaçant la vitalité des villages.
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Date de publication du document :
01 déc. 2023
Date de diffusion :
22 juil. 1981
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Contexte historique
ParProfesseur certifié d'histoire-géographie au collège François Legros de Reims
Publication : 01 déc. 2023
Si la Lorraine est devenue une des grandes régions industrielles et minières à la fin du XIXe siècle, autour des mines de fer, de charbon et de la sidérurgie, elle est aussi restée, en dehors du bassin industriel, comme presque toutes les régions françaises, une région de petites et moyennes exploitations familiales. La France est en effet un pays où la population urbaine n’est devenue majoritaire qu’en 1931, le maintien d’un travail agricole très consommateur de main d’œuvre et le morcellement de la surface agricole utile (SAU) permettant le maintien d’un grand nombre d’actifs agricoles.
Après la Seconde Guerre mondiale, la question de l’indépendance alimentaire du pays, en forte croissance démographique, devient un enjeu majeur. La construction européenne à partir de 1957 fait de la modernisation agricole une priorité, ce qui encourage le gouvernement français à accélérer la lente transformation entreprise depuis 1945. Plusieurs moyens sont mis en œuvre pour améliorer la productivité de l’agriculture, dont l’augmentation de la SAU, le recours aux engrais chimiques, la formation des agriculteurs dans des collèges et lycées agricoles et, bien sûr, le remembrement.
La grande période des remembrements correspond à l'accélération de la modernisation de l'agriculture, notamment sa mécanisation, entre 1955 et 1975. Il s'agit d'une opération foncière visant à regrouper le parcellaire dispersé des exploitations, à faire disparaître les obstacles à la mécanisation (bosquets, haies par exemple), à repenser les chemins, parfois à assécher les mares. Les paysages ruraux, dans les principales régions concernées, ont été profondément transformés par les opérations de remembrement : on a ainsi vu la disparition du paysage de bocage au profit du paysage d’openfield, de champs ouverts, avec de grandes parcelles géométriques facilitant le travail de machines de plus en plus grosses.
Cette politique de modernisation agricole nécessite de lourds investissements et entraîne une modification en profondeur du monde agricole. On notera au passage que c’est aussi l’époque de l’abandon du terme paysan
(avec ce qu’il implique de tradition ou de vie quasi autarcique dans des fermes de polyculture élevage diversifié) pour ceux d’agriculteur
et de chef d’exploitation
qui renvoient à une approche plus productiviste du travail, avec pour seul objectif une augmentation des productions, et à l’idée d’entreprise agricole et non plus de mode de vie particulier. La taille des exploitations françaises étant dans nombre de régions, et notamment en Lorraine, très réduite, les petites fermes, reproduisant un modèle agricole ancestral, ne peuvent souvent pas se moderniser. Leur nombre diminue très rapidement, entraînant la fin des paysans
pour reprendre le titre de l’ouvrage de l’historien Henri Mendras paru en 1967 : le nombre de chefs d’exploitation baisse, et celui des ouvriers agricoles s’effondre. Les conséquences sociales ne sont pas visibles sur le moment, car l’essor de l’industrie rurale et des services absorbent facilement cette population qui quitte l’agriculture.
Cette diminution du nombre des exploitations agricoles va de pair avec deux autres évolutions. D’une part, la taille des exploitations augmente très fortement, la superficie moyenne passant par exemple de 45 à 55 hectares en France entre 1970 et 1979. D’autre part, du fait des sommes à investir, les années 1970 sont marquées par l’essor de la propriété collective des exploitations.
Cette révolution presque silencieuse du monde agricole a une conséquence démographique : l’exode rural. Pour autant, il ne faudrait pas parler de désertification des campagnes, car le terme s’applique à l’extension des déserts, et il n’y a pas de déserts en France ! On ne peut pas non plus, dans bien des territoires, parler de déprise, car le terme indique un recul de l’activité et un abandon des terres agricoles. Il faudrait plutôt parler de mutations profondes des campagnes françaises.
Éclairage média
ParProfesseur certifié d'histoire-géographie au collège François Legros de Reims
Le reportage de France 3 Lorraine traite, à l’été 1981, de l’agriculture dans la région, et plus spécifiquement dans la partie nord-est de la Moselle, entre Vosges et frontière allemande, le journaliste ne donnant pas d’indications précises. Le reportage a pour objectif de pointer les difficultés de l’agriculture mosellane et on peut dire qu’il est parfaitement construit pour cela. La caméra multiplie les plans lents, on ne voit pas d’habitants ni d’activités, comme si la vie s’était arrêtée. Les images insistent, parfois avec des gros plans, sur des bâtiments à l’abandon, en ruines, témoignages éloquents de la désertification
. Les images des fermes montrent des bâtiments anciens, mêlant encore souvent logis et exploitation ; les tracteurs sont nombreux mais aucun n’est en action. La région filmée semble donc littéralement vidée de ses habitants, comme un monde arrêté brutalement…
Le reportage repose sur trois voix : une voix off qui apporte un commentaire général contextualisant le sujet et interrogeant les deux autres personnes. L’une d’elle est un agriculteur de la région qui apporte un témoignage, du vécu
. L’autre est visiblement un expert, mis en scène devant des bottes de paille, qui apporte l’éclairage de son savoir, non sans commentaires personnels, mélangeant ainsi faits et analyse. Tous trois ont finalement des propos qui font pleinement écho aux images.
Au travers de ce reportage, on peut donc mettre en évidence les mutations des campagnes françaises en général, mais aussi des évolutions spécifiques à ce territoire dont l’expert nous apprend qu’il se situe en zone bilingue. Rappelons que la Moselle a été, avec l’Alsace, longuement occupée par l’Allemagne entre 1871 et 1918, puis de nouveau durant la Seconde Guerre mondiale. Dans cette zone frontière, il y a un particularisme juridique : le retour à la France ne s’est pas accompagné d’une mise en œuvre des lois votées depuis 1871. Il en est ainsi de la laïcité mais aussi des règles en matière de droit du sol. L’expert considère en effet que la juxtaposition de deux régimes juridiques, l’un de droit français (qui se traduit par l’existence d’un cadastre, le registre des propriétés foncières), l’autre de droit allemand (le Livre foncier, un autre registre), constitue un obstacle majeur au remembrement et donc à la modernisation agricole de la région du haut plateau lorrain. Les images du parcellaire montre d’ailleurs la faible taille des parcelles et leur forme irrégulière. L’agriculteur en donne la conséquence en expliquant l’extrême difficulté qu’il a pour agrandir son exploitation du fait de l’éclatement de la propriété foncière. Cet éclatement permet à de nombreux habitants d’être propriétaires et, selon l’expert pour qui c’est un autre très grand problème, beaucoup en profitent pour garder un statut d’exploitant agricole ouvrant droit à une retraite d’agriculteur. Ainsi, même parmi ceux, qui semblent nombreux, à avoir choisi entre leur double métier d’ouvrier-agriculteur, il y a une volonté de garder la propriété de la terre. Pourtant ces terres semblent souvent en friche alors qu’elles font visiblement défaut aux exploitants actuels. La question foncière est donc centrale dans ce territoire et elle se jouerait aux dépens d’une modernisation agricole indispensable sous peine de renforcer encore les chiffres de l’exode rural évoqués en début de reportage pour marquer la gravité de la situation.
La question du devenir rural et agricole du territoire est donc posée par l’expert. Sa réflexion sur les futurs possibles de cette campagne est intéressante : deviendra-t-elle touristique ? résidentielle pour des actifs travaillant en ville ou dans les pays voisins ? peut-elle rester vivante
sans agriculture pour façonner ses paysages ? Ce sont des questions plus que jamais d’actualité et qui ouvrent sur les problématiques de ruralité, de gestion environnementale des campagnes et des aménités en milieu rural.
Transcription
(Cliquez sur le texte pour positionner la vidéo)
(Musique)
Jean-Claude Salve
En effet, selon les chiffres communiqués par le service régional de la statistique agricole, c’est le record absolu en France.En vingt-cinq ans, une ferme sur deux a été abandonnée dans notre région.Aujourd’hui, la production agricole lorraine n’est plus assurée que par 34 150 exploitations.La population agricole est d’environ 127 000 personnes, dont 70 200 actifs.C’est en Moselle que l’exode rural a été le plus sensible.Ce sont les petites exploitations, type double activité, agriculteur-ouvrier, qui ont été les plus touchées.L’attrait du monde industriel, qui plus est dans une région frontalière, n’est certes pas étranger à cette situation, mais cela n’explique pas tout.
Expert
Une formation des jeunes agriculteurs mal faite, une maîtrise du foncier presque impossible en l’état actuel des choses.
Jean-Claude Salve
Alors comment expliquez-vous ce phénomène ?
Expert
Ben le remembrement ne se fait pas..., ne peut pas se faire pour beaucoup de raisons, parce que peut-être les gens ne veulent pas, parce que... C'est... Le non-remembrement en Moselle est inhérent à la zone bilingue.
(Musique)
Jean-Claude Salve
Monsieur, vous pouvez nous présenter votre exploitation ?
Jeune agriculteur
J’exploite 40 hectares, je fais du lait.J’ai en ce moment 25 vaches laitières, puis on veut arriver à 40.
Jean-Claude Salve
Alors vous avez, je crois, un gros problème au niveau des terrains ?
Jeune agriculteur
Oui, par exemple ces 40 hectares, ils appartiennent à 48 propriétaires.
Jean-Claude Salve
Et ça vous pose vraiment des problèmes ?
Jeune agriculteur
Oui, j’ai acheté 3 hectares, c’est, je ne sais même plus combien de propriétaires.Une superficie moyenne des parcelles que j’ai achetées, 13 ares.
Jean-Claude Salve
Ici, il n’y a pas de remembrement fait ?
Jeune agriculteur
Non, il n’y en a pas.
(Musique)
Expert
On trouve des communes ici vraisemblablement avec 800 hectares, il doit y avoir un millier de propriétaires, 600, 700, 800.
Jean-Claude Salve
Alors que deviennent les terrains ?
Expert
Quelques-uns restent en friche et d’autres sont très mal cultivés.
Jean-Claude Salve
Mais pourquoi ?
Expert
Parce que les gens maintiennent un droit de cotisation à la MSA pour se faire une petite retraite agricole après 65 ans, et ils ne veulent pas louer.Ils veulent continuer d’être enregistrés à l’échelon départemental comme agriculteur, et en fait, ils ne cultivent plus.
Jean-Claude Salve
Là, monsieur, nous sommes devant un exemple des problèmes que vous rencontrez.Voilà un verger qui vous appartient, je crois.
Jeune agriculteur
Oui.Je l’ai acheté il y a deux ans maintenant.Et la personne à qui je l’ai acheté, elle garde durant toute sa vie l’usufruit sur les arbres.
Jean-Claude Salve
C’est-à-dire que vous ne pouvez pas modifier cette culture en fin de compte, ce terrain doit rester en verger ?
Jeune agriculteur
Oui, les arbres, ils doivent toujours rester tant que la personne vivra.
Jean-Claude Salve
Autre motif peut-être essentiel au problème foncier rencontré par le monde agricole de cette région, le mark, argument de poids pour transaction foncière.Un problème majeur pour certaines communes de notre région il y a quelques années.À l’heure actuelle, est-ce encore le cas ?
Expert
Ils viennent d’un certain village un peu, mais je ne crois pas que ce soit le critère principal pour ça.Ils ont un peu acheté, mais c’est souvent de très petites parcelles et... agriculturement parlant, ça ne touche pas beaucoup le métier.
(Musique)
Expert
Je pense que dans beaucoup de villages, il devrait rester, il devrait pouvoir rester un bon nombre d’agriculteurs si on le voulait, si tout le monde le voulait.Apparemment ce n’est pas le cas, pas tout à fait le cas.Parce qu’on sait qu’à partir du moment où il n’y aura plus suffisamment d’agriculteurs dans les villages, les villages ne seront jamais résidentiels autant qu’on le voudrait.
(Musique)
Expert
Je vois une agriculture qui va vivre d’elle-même, qui va vivre sur elle-même, et qui favorisera un certain débouché touristique.On sait que les touristes ne vont pas dans les déserts.
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