La vie politique en Bretagne depuis la Seconde Guerre mondiale
Introduction
La Bretagne est l'une des régions qui a connu les mutations politiques les plus profondes sous la Ve République. Majoritaire à l'issue de la Seconde Guerre mondiale, la droite s'est affaiblie et la région, traditionnellement conservatrice, est aujourd'hui une des premières terres socialistes de France. Si cette constante progression à gauche s'aligne sur une tendance nationale au rééquilibrage gauche-droite, le changement breton est cependant bien plus brutal. La rapide évolution des pratiques électorales est le reflet de la déstructuration de la société bretonne traditionnelle, agricole et catholique, qui s'esquisse dès l'après-guerre. Avant-guerre, deux cultures politiques dominent en Bretagne : les " Bleus ", laïques et républicains dominés par le courant radical-socialiste et les " Blancs ", conservateurs, dont le catholicisme est la principale référence. Au-delà de ces deux mouvances, les autonomistes, bien que marginaux dans le paysage politique, pérennisent l'originalité bretonne et profitent du renouveau du régionalisme culturel.
La guerre remodèle en partie ce paysage. En avril-mai 1945, alors que les femmes françaises votent pour la première fois, des élections municipales se déroulent dans une Bretagne encore sous les bombes - les poches de Lorient et Saint-Nazaire n'étant libérées qu'en mai de cette même année et leurs communes votant pour leur part en juillet 1945. Marqué par le souvenir immédiat du conflit et celui de l'activité des maquis, ce scrutin reflète pourtant la difficulté des mouvements résistants à se transformer en véritables partis politiques. Partout cependant, un glissement à gauche s'opère, la SFIO et le PCF obtenant de meilleurs résultats qu'avant-guerre. Ces bons scores sont confirmés par les élections cantonales de septembre 1945 où, par exemple, les Côtes-du-Nord s'affirment distinctement à gauche. Le grand gagnant de ces suffrages reste cependant le MRP, parti de la démocratie chrétienne, qui confirme le maintien des grandes tendances et l'ancrage des valeurs catholiques dans la culture politique locale, surtout dans les zones rurales.
Les premiers scrutins postérieurs à la guerre montrent que celle-ci a modifié les comportements politiques d'une partie de la population. En ce début des années cinquante, l'exode rural touche fortement la Bretagne, l'urbanisation et la déchristianisation progressent. La transformation progressive du vote breton en est accéléré. Les villes orientent désormais le jeu de la vie politique. La question religieuse et scolaire s'estompe peu à peu comme principale ligne de clivage gauche-droite. Économiquement aussi, la Bretagne cherche à se reconvertir. L'agriculture se transforme et la région se tourne vers l'industrie et les technologies de pointe. Elle connaît, à partir des années soixante, un certain essor industriel, souvent lié à la politique de décentralisation. Ainsi, Citroën s'installe à Rennes et le C.N.E.T. à Lannion. Cette modernisation de la région ne cesse de s'approfondir au cours des décennies suivantes. Alors que la Bretagne entre pleinement dans la société de consommation, le rééquilibrage des forces politiques s'amorce, le tournant de la mutation politique de la région se situant incontestablement dans les années 1960-1970, période durant laquelle la gauche prend l'avantage sur la droite.
L'industrialisation de la Bretagne
Région traditionnellement agricole, la Bretagne débute son industrialisation en 1960. La priorité est dès lors mise sur l'électronique. Des industries automobiles et chimiques vont également s'implanter. Plus de 15 000 emplois vont être ainsi créés.
Des années 1950 à la fin des années 60 : une Bretagne entre démocratie chrétienne et gaullisme
La crise et la fin de la IVe République, le retour de de Gaulle au pouvoir et les débuts de la Ve République ou encore la fin de la guerre d'Algérie sont, durant cette décennie, les moments clés de la vie politique française. Ces évènements se répercutent naturellement à l'échelle régionale. Jusqu'à la fin des années 1950, la domination de la démocratie chrétienne demeure toutefois incontestée en Bretagne.
La domination de la démocratie chrétienne 1946 - 1956
De l'après-guerre à la fin de la IVe République, trois élections législatives [1] se déroulent dans le pays : la première en novembre 1946, la seconde en juin 1951 et la troisième en janvier 1956, après une dissolution qui avance les législatives de six mois. La Bretagne compte alors 39 sièges pour ses cinq départements.
Durant toute cette période, l'ensemble des familles politiques compte des députés élus en Bretagne, mais la vie politique est dominée par le MRP (Mouvement républicain populaire), représentant le courant démocrate-chrétien. C'est au plus proche de la Libération que le courant de centre droit connaît son score électoral le plus important puisqu'en 1946, il obtient 40% des voix, soit 18 députés. En 1951 et malgré la concurrence du MRP, le mouvement gaulliste réunit 25,9% des suffrages et obtient 10 sièges tandis que le MRP demeure une force politique prégnante dans la région. Le poids de la social-démocratie se maintient encore aux législatives suivantes où le MRP redevient la première force du paysage politique breton avec 22,8% des suffrages exprimés et 13 sièges parlementaires. Ce score se démarque largement de la moyenne réalisée par le parti à l'échelle nationale. Il est plus de deux fois supérieur (10,8%) à la moyenne française et reflète l'identité d'une Bretagne catholique et encore rurale, dans laquelle le poids des notables demeure important. La politique est en effet très largement perçue au travers de personnalités bien ancrées, dont l'appartenance politique importe moins que la notoriété locale. Parmi les piliers centristes soutenus par Ouest-France, Paul Ihuel, agriculteur et ancien membre d'Action sociale, est élu député dès 1936 et conserve la présidence du Conseil général du Morbihan pendant dix huit ans, ou encore Marie-Madeleine Dienesch, professeur en lycée dans les Côtes-du-Nord.
[1] Sous la IVe République, les scrutins se déroulent à la représentation proportionnelle avec liste départementale. La loi sur les apparentements permet par ailleurs aux listes apparentées de se répartir à la proportionnelle la totalité des sièges du département. Elle a pour conséquence d'éliminer les partis politiques isolés, PCF, RPF, qui refusent toute alliance.
La députée Marie-Madeleine Dienesch
Sept femmes siègent actuellement à l'Assemblée Nationale. Marie-Madeleine Dienesch est une de ces femmes nouvellement élues. Député MRP des Côtes du Nord, elle représente la circonscription de Loudéac. Elle évoque son rôle de femme parlementaire.
L'autre composante du centrisme, héritée du radicalisme et représentée par le RGR (Rassemblement des gauches républicaines) ou l'UDSR, n'obtient jamais plus de deux sièges au parlement au cours de la même période, malgré la poussée mendésiste de 1956. Là encore, c'est surtout grâce à des personnalités solidement enracinées dans la région que cette mouvance parvient à conserver ses députés. André Morice (radical), entrepreneur de travaux publics et franc-maçon est élu à Nantes, alors que René Pleven (UDSR) est solidement implanté dans la région de Dinan avec des postes de député et de conseiller général des Côtes-du-Nord jusqu'en 1976.
À droite, l'instabilité est de mise. Le RPF (Rassemblement du peuple français), créé par de Gaulle " contre le régime des partis " et contre les communistes est le grand vainqueur des législatives de 1951, mais le parti fait long feu et est dissous dès 1953. Dès lors, ses électeurs se tournent principalement vers le CNI (Centre National des Indépendants) et les listes d'extrême droite de Pierre Poujade et Henri Dorgères. Ceux-ci dénoncent le système parlementaire de la IVe République et rassemblent une frange de la population inquiète face aux transformations économiques et sociales du pays. Ils séduisent un électorat commerçant et paysan confronté à la multiplication des grandes surfaces dans les villes, à l'exode rural et à la difficile modernisation des petites exploitations agricoles. Le succès de ce discours ne se dément pas dans une Bretagne particulièrement sujette à ces difficultés, puisque les deux mouvements réunissent 15,76% des suffrages en 1956 contre 12,6% à l'échelle nationale.
À l'échelle locale, la dissolution du RPF se manifeste aussi par des changements de municipalités. Si les élections municipales de 1947 avaient vu des équipes gaullistes s'installer dans les mairies de Rennes, Quimper ou Brest, celles de 1953 confirment le retrait du mouvement au profit de la droite classique ou du MRP. C'est le cas à Rennes où Henri Fréville (MRP) est élu maire de la ville. Il le restera jusqu'en 1977.
De son côté, la gauche (communistes, socialistes, radicaux) demeure largement minoritaire en Bretagne, avec un nombre de députés qui oscille entre 16 en 1946 et 14 en 1956. Entre ces deux dates, elle connaît une redistribution de ses forces. Si le PCF domine en 1946, plus l'on s'éloigne de la Libération et des espoirs de cette période, plus le parti communiste s'essouffle. Ajouté à cela son retrait du gouvernement en mai 1947 et le nombre de ses députés passe de 8 en 1946 à 5 en 1951 dans la péninsule. De plus, il doit désormais compter sur la SFIO. Globalement, les résultats de la gauche restent stationnaires et modestes, malgré la solide implantation du PCF et de la SFIO dans quelques bastions comme le centre et le sud du Finistère (les ports de pêche bigoudens, concarnois, douarneniste), ou encore l'ouest des Côtes-du-Nord et du Morbihan. De la même manière, les élections locales confirment le maintien de Lorient et de Saint-Brieuc dans le giron de la gauche.
A la fin de la IVe République, c'est donc un paysage politique atypique que présente la Bretagne. Elle est dominée par le MRP qui s'est affirmé, depuis la Libération, comme un parti de centre droit, alors que le PCF réunit des suffrages de 7 à 8 % inférieurs à sa moyenne nationale.
De la fin des années 1950 au début des années 1960 : l'éruption et l'âge d'or du gaullisme
A la fin des années cinquante, la guerre d'Algérie est au centre de la vie politique française. Elle est de tous les débats et contribue au renouvellement des alliances, notamment à gauche.
La politique du gouvernement Guy Mollet (SFIO), président du conseil depuis le 1er février 1956, pèse fortement sur la convergence des forces de gauche en Bretagne. Plus tardive dans le Finistère, où la ligne dure imposée par la direction du PCF empêche un temps toute esquisse d'union, la critique de la politique algérienne de Guy Mollet par le député Antoine Mazier (SFIO) contribue en revanche au rapprochement du PCF et de la SFIO dans les Côtes-du-Nord. Rapidement, le Parti communiste trouve des alliances durables avec la Nouvelle gauche. La Nouvelle gauche est composée de mouvances multiples, issues principalement du catholicisme progressiste (JR) de la SFIO (MLP). Ensemble, la Nouvelle gauche et le MLP fondent l'Union de la gauche socialiste-UGS qui voit définitivement le jour au début de l'année 1958. Leurs relations se cristallisent autour du combat anticolonial et dans le courant de l'année 1958, réunions et mobilisations sont organisées pour demander la fin de la guerre et la reconnaissance de l'indépendance algérienne. Dans le Finistère, elles aboutissent à la création de comités pour la paix, mouvement qui rassemble bientôt des militants et des syndicalistes. Il s'affirme au-delà du cadre des partis, contribuant ainsi au renouvellement de la gauche bretonne, un renouvellement qui s'approfondit par la critique du retour du général de Gaulle au pouvoir.
Ce retour, provoqué par la crise politique du 13 mai, puis par le débat sur la nouvelle constitution à l'été 1958, scelle la cohésion des différents courants de gauche. Ils s'inquiètent du non-respect des institutions par le général de Gaulle et, à ce titre, des manifestations pour le " non " sont organisées le 28 mai 1958 à Brest à l'initiative de la CFTC, de la CGT, du PCF ou encore de la SFIO et à Rennes où l'on retrouve également le MRP, les radicaux-socialistes, l'union des socialistes et des différents syndicats de gauche. Ces manifestations sont inégalement suivies et finalement, le MRP se rallie à l'investiture du général de Gaulle le 1er juin 1958. Le clivage traditionnel gauche-droite se redessine donc, nonobstant un basculement rapide de certains socialistes qui s'abstiennent lors du vote sur la révision de la constitution le 2 juin. Ils suivent bientôt Guy Mollet qui, en acceptant de participer au nouveau gouvernement, affirme ouvertement son soutien au retour de de Gaulle. Malgré une vitalité certaine, c'est donc minoritaire et divisée que la gauche bretonne aborde les derniers scrutins des années cinquante.
En effet, l'active occupation du paysage politique breton par les différentes mouvances de gauche ne se traduit pas dans les urnes. La consultation référendaire du 28 septembre 1958 se solde par une approbation à 84,6% du projet de constitution, soit 5 points de plus que la moyenne française. Le conservatisme et l'implantation du gaullisme ne se démentent pas, et ce, d'autant plus que l'inaluent quotidien démocrate-chrétien, Ouest-France, avait ouvertement pris position en faveur du projet du général de Gaulle. Quelques semaines plus tard, les hommes de gauche qui se sont opposés à De Gaulle et à la naissance de la nouvelle République sont aussi largement battus lors des élections législatives.
Ces élections qui suivent l'approbation de la nouvelle constitution se distinguent tout d'abord par le changement du mode de scrutin. Il est désormais uninominal majoritaire à deux tours et oblige à un nouveau découpage électoral de la Bretagne en 33 circonscriptions. Celui-ci s'établit selon des critères démographiques, chaque circonscription devant compter une population équivalente. Ce nouveau mode de scrutin favorise la domination des forces soutenant le pouvoir, chaque ville étant associée à une zone rurale assez importante.
Ces législatives confirment aussi le rassemblement des gaullistes au sein d'un nouveau parti, l'UNR (Union pour la Nouvelle République). Créé le 1er octobre, ce dernier manque toutefois d'organisation pour parvenir, un mois plus tard, à rassembler les électeurs. Cette faiblesse, ainsi que l'absence de candidats gaullistes dans un bon nombre de circonscriptions, se ressent particulièrement en Bretagne où les succès de l'UNR sont limités. Il n'obtient alors que 14,05% des voix et 6 sièges, contre 20,16% des suffrages pour le MRP qui cumule 12 sièges.
Tandis que le centre et les indépendants de droite résistent bien à la création de l'UNR, la gauche est en pleine déliquescence. Ainsi, le PC recule de 7 points par rapport aux élections de 1956 et perd tous ses députés, tout comme la SFIO. Il parvient cependant à conserver des positions fortes de plus de 20% dans six circonscriptions : Loudéac, Guingamp et Lannion dans les Côtes-du-Nord, Quimper, Douarnenez et Quimperlé dans le Finistère. Plusieurs facteurs expliquent cette lourde défaite : le mode de scrutin, le nouveau découpage électoral et les triangulaires du second tour, mais aussi, pour le PCF, son opposition systématique à De Gaulle. La gauche socialiste paie également la division de ses responsables, partagés entre approbation et objection vis-à-vis du retour au pouvoir du général de Gaulle. A force de divisions et d'affrontements lors des législatives de novembre, les partis de gauche ont anéanti toute chance de succès.
Les élections de 1958 sont une large victoire pour le centre-droit mais elles sont aussi l'amorce d'un tournant politique à droite en Bretagne. Celui-ci est confirmé lors des législatives de 1962 et par les présidentielles de 1965.
En 1962, la bipolarisation politique, caractéristique de la Ve République, s'affirme. Les élections législatives qui suivent les référendums de janvier 1961 et avril 1962 sur la question algérienne et les accords d'Évian, et celui d'octobre 1962 sur le nouveau mode d'élection du président de la République marquent le triomphe électoral du gaullisme. En Bretagne, l'UNR obtient près de 30% des suffrages (contre 32,4% à l'échelle nationale) et devient à cette date le parti dominant dans la région. À l'inverse, devancé de 7%, le MRP marque le pas, quand bien même il se maintient autour de plusieurs personnalités telles que René Pleven. L'hégémonie de la droite est écrasante, en témoigne la présence des candidats gaullistes dans la plupart des circonscriptions. Notons toutefois que le gaullisme partisan s'est affirmé dans la région face à des opposants toujours divisés et qu'un certain nombre de notables de droite sont également les victimes de l'" éruption gaulliste " qui a lieu en Bretagne dans les années 1960 (Yvon Tranvouez). Cette dernière se signale également par le " parachutage " de diverses personnalités dans la région : Yvon Bourges est élu dans la circonscription de Saint-Malo, Edmond Michelet s'installe à Quimper, et Olivier Guichard, le " créateur " des métropoles d'équilibre, à Guérande.
Un tel paysage politique perdure jusqu'au début des années 1970. En 1965, le scrutin présidentiel - la première élection d'un président de la République au suffrage universel direct depuis 1848 - renforce encore la poussée gaulliste. Le premier tour accorde 48,5% des suffrages à De Gaulle en Bretagne, soit 5% de plus que la moyenne nationale, alors que le score de François Mitterrand (26,5% des voix) signale la faiblesse de la gauche dans la région.
Les législatives de 1967 montrent cependant un certain redressement de la gauche en Bretagne, puisqu'elle obtient 5 sièges et progresse de plus de 38%, contre 21% dans le reste du pays. Cette remontée est surtout perceptible dans les villes et s'opère au détriment de la droite qui cède trois sièges.
A la veille des années 1970, le rapport de force installé au début des années 60 n'est pas modifié. Le visage politique de la région a peu changé et le choc social et politique de 1968 renforce le vote gaulliste en Bretagne. En juin 1968, les évènements sont suivis de législatives très largement favorables pour le gouvernement Pompidou, au bord du gouffre quatre semaines plus tôt. Un décalage fort existe donc entre le choc social présent en Bretagne et son enregistrement électoral. En réalité, le " Mai 68 breton " s'inscrit dans le prolongement de mouvements sociaux qui ont traversé la région tout au long de la décennie. La fermeture des forges d'Hennebont, les difficultés des chantiers navals de Saint-Nazaire, la crise de l'industrie de la chaussure à Fougères ou les difficultés du monde paysan sont autant de luttes sociales qui révèlent les difficultés de la Bretagne à se moderniser. Le mécontentement est tel que de longue date est prévue une manifestation unitaire de tout l'Ouest, le 8 mai 1968, sur le thème " L'Ouest veut vivre ". Ce sont plus de cent mille personnes qui y participeront dans ce contexte particulier de mai 1968.
Entretien avec René Pleven sur les manifestations en Bretagne
Au soir des manifestations rassemblant ouvriers et paysans dans les neuf départements de l'Ouest, René Pleven (ancien président du Conseil, député PDR de Dinan) donne son interprétation de la crise que traverse alors la Bretagne.
A Rennes, Brest et Nantes, les manifestations prennent rapidement de l'ampleur et les étudiants sont bientôt rejoints par les syndicats ouvriers et paysans. Elles ne cessent qu'à la mi-juin, après la dissolution de l'Assemblée nationale et les accords de Grenelle, mais surtout après les promesses faites par Pompidou aux agriculteurs bretons.
La Bretagne de la fin des années 60 reste donc largement conservatrice et traditionnelle. Dominée par le gaullisme et le centre droit, la gauche a du mal à y rayonner et ce malgré le drainage par le PSU d'un certain nombre de voix centristes. Tenant son originalité de la longue prédominance de la démocratie chrétienne, la région est aussi atypique en raison de l'ardente activité culturelle et politique de ses mouvements régionalistes.
La renaissance du mouvement breton (ou second Emsav)
Exsangue au sortir la guerre, le mouvement breton qui "se présente comme un mouvement social de résistance à l'intégration - économique, politique, sociale, administrative et culturelle - de la communauté bretonne dans l'espace français " (Michel Nicolas), cherche dès 1945 à se reconstruire et à renouveler son image, largement ternie par la collaboration avec les nazis d'une minorité de ses membres. Ce redressement se fait principalement à travers l'action culturelle.
Le mouvement cherche rapidement à promouvoir différents groupes tels que la Fédération des cercles celtiques, l'Union pour l'enseignement du breton ou encore l'Union régionaliste bretonne. Cette relance qui vise à attirer les jeunes vers la culture bretonne est un succès. Les cercles celtiques se multiplient et sont bientôt rassemblées dans la Fédération Kendalc'h qui s'ouvre également aux étudiants et aux associations sportives de la région. Présent sur le plan culturel, il faut toutefois attendre le milieu des années 50 pour que le mouvement sorte de l'ombre et renoue avec la politique.
C'est par sa participation au CELIB (Comité d'étude et de liaison des intérêts bretons) que le mouvement breton revient sur la scène politique. Créé à Quimper en 1950, le comité rassemble autour du journaliste Joseph Martray des parlementaires et élus de tous bords, ainsi que des représentants du monde économique et syndical, dont le souci est de désenclaver une Bretagne économiquement en retard et de réduire une émigration pénalisante. Pour cela, il faut métamorphoser une agriculture encore traditionnelle, moderniser des réseaux de transports déficients et attirer des industries dont l'implantation demeure sommaire. C'est la Commission parlementaire du CELIB, présidée par René Pleven, qui permet la montée en puissance du comité, son association aux décisions nationales et ses premières réussites. A un moment où chaque voix compte pour des gouvernements essentiellement composés de coalitions, il est en effet un " lobby " puissant qu'on ne peut ignorer. Utilisant les négociations avec les pouvoirs publics, parfois soutenues par des manifestations de rues, ses acquis en termes de gestion locale sont considérables. Une planification régionale est ainsi adoptée par le gouvernement dès 1954 et la loi du 14 août de cette même année donne naissance au Plan breton, qui prévoit " une organisation régionale, départementale ou locale chargée de mettre au point le développement économique local. Les premiers jalons de la régionalisation sont posés. Au milieu des années soixante, le bilan du CELIB, épaulé désormais par la CODER, reste toutefois modeste.
Malgré les mesures de décentralisation, la Bretagne ne s'est que trop faiblement industrialisée et l'émigration persiste.
Le CELIB et la promotion de mesures favorables à la Bretagne permettent à un mouvement régionaliste de retrouver de la visibilité dans le champ politique. En 1957, le tout récent Mouvement pour l'organisation de la Bretagne (MOB), sous l'impulsion de son créateur Yann Fouéré - leader du courant régionaliste pendant la Seconde Guerre mondiale - présente, avec un certain succès, son " Projet d'organisation de la Bretagne ". Ce programme dans lequel il revendique la décentralisation et la mise en place d'une assemblée régionale élue est approuvé par plusieurs milliers de personnes.
Revigorant un régionalisme qui réunit des forces de gauche comme de droite, le MOB n'en apparaît pas moins comme la branche politique du CELIB et a du mal à s'affirmer comme un mouvement véritablement autonome. Il est rapidement déchiré par des clivages internes qui apparaissent au grand jour avec l'échec du CELIB et la progressive organisation des différentes forces de gauche. Le MOB ne parvient pas à garder ses jeunes militants qui quittent le mouvement pour fonder, dès janvier 1964, l'Union Démocratique Bretonne, clairement marquée à gauche. Ce nouveau parti se rapproche des différents courants de gauche et des syndicats, la CFDT notamment, mais attend 1971 pour présenter des candidats aux élections législatives. Ses résultats demeurent d'ailleurs très modestes. Le parti obtient 2,2% des voix en moyenne dans les cinq circonscriptions où il a présenté des candidats. Cette fragilité électorale s'explique principalement par la progression croissante du nouveau parti socialiste, qui capte les aspirations régionalistes, mais aussi par les actions terroristes du FLB, dont les attentats à la bombe contre les bâtiments publics à partir de 1966 discréditent en partie les positions tenues par le parti, qui condamne pourtant ce mode de revendication.
Les attentats du FLB, Front de Libération de la Bretagne
Le FLB, mouvement nationaliste breton, mène des actions terroristes contre l'Etat français depuis 12 ans. Il vise entre autre les moyens de communication, notamment l'émetteur de Roc Trédudon en 1974 mais aussi des parlementaires, tel Henri Fréville.
A l'aube des années 1970, la question bretonne s'insère donc le cadre d'un profond renouvellement des forces politiques de la région. Si la domination de la droite demeure, la gauche se reconstruit lentement. L'équilibre des forces n'a cependant pas changé à la veille de mai 1968. Il faut attendre le début des années 70 pour observer un véritable basculement à gauche de la Bretagne.
1968 – 1974 : l'adieu au Général
En 1968, après la dissolution de l'Assemblée nationale consécutive aux évènements de mai et juin, la Bretagne vote majoritairement gaulliste. Ces derniers passent de 11 à 18 sièges. Le charisme du général, le souvenir de la guerre et de la Résistance alliés à une réaction de peur face aux évènements expliquent largement ce résultat. Néanmoins la gauche ne recule quasiment pas par rapport aux élections de 1967, perdant uniquement 1 % et réunissant ainsi 30 % des voix. Cependant, ce score ne se traduit pas en sièges en raison de la désunion de la gauche au sein de laquelle, pour la première fois, les socialistes passent devant les communistes. Le PSU réalise en effet son score le plus élevé avec 6 % des suffrages, même si Yves le Foll, proche de Michel Rocard, perd son siège de député acquis en 1967. C'est le centre qui pâtit le plus du scrutin, perdant quasiment 10 % par rapport à son score de 1967. Henri Fréville, député maire de Rennes, perd son siège au profit de Jacques Cressard, membre de l'UDR. Les législatives de 1968 ne sont donc pas uniquement un vote conservateur, la résistance de la gauche étant plus que significative eu égard aux pressions médiatiques exercées par le pouvoir. Le référendum de 1969, annoncé le 2 février à Quimper, confirme l'attachement de la Bretagne à la personnalité gaullienne.
Le président, qui a clairement annoncé l'enjeu du scrutin et son départ en cas de défaite, recueille 55 % de oui dans la péninsule, un seul département votant majoritairement (50,7 %) contre, les Côtes-du-Nord. Un score de 9 point supérieur au résultat national. La figure résistante du général de Gaulle, dans une région marquée par la guerre, explique cette fidélité qui se retranscrit tout particulièrement aux élections présidentielles et lors des référendums tout au long de la période allant de 1958 à 1969, dessinant les contours d'un gaullisme présidentiel. En 1969, Georges Pompidou apparaît comme le dauphin naturel de De Gaulle et obtient plus de 50 % dès le premier tour. Alain Poher, le candidat centriste étant crédité de 23,3 %, un score inférieur à son score national, ce qui confirme le retrait des centristes. Au second tour, Pompidou obtient 63 % de suffrages, ce qui est supérieur à la moyenne nationale, rassemblant autour de son nom un électorat plus large que la droite classique comme pouvait le faire le général de Gaulle.
Discours de Georges Pompidou à Rennes
Après l'échec du référendum du 27 avril, entraînant le départ de De Gaulle, Georges Pompidou, en visite à Rennes, annonce sa candidature aux prochaines élections présidentielles. Dans son discours, il réclame le soutien de tous ses partisans.
Aux législatives de 1973, le fait marquant est la progression des socialistes, qui doublent leur score (18 %), se plaçant ainsi devant les communistes. Il y a là un " effet PS " suite à l'élan donné par le congrès d'Epinay en 1971 où François Mitterrand a pris la tête de la nouvelle formation.
Le pourcentage des voix de droite commence à baisser même si, à cette date, gaullistes et centristes ont toujours une majorité confortable.
La période qui va de 1968 à 1974 est marquée par trois éléments : le retrait du général qui n'est pas encore réellement sensible dans les résultats gaullistes, le déclin du vote centriste et les progrès de la gauche, notamment de la gauche socialiste.
Le basculement à gauche de la région
Entre 1974 et aujourd'hui, la tendance au rapprochement avec les résultats nationaux est constante. La poussée socialiste entrevue lors des législatives de 1973 se confirme. Au cours des décennies 1980 et 1990, la région s'ancre de plus en plus à gauche. Cela est particulièrement sensible dans les villes de la péninsule qui croissent et se modernisent, modifiant par là même la structure socio-démographique de la Bretagne.
Du septennat giscardien au règne mitterrandien
L'élection présidentielle de 1974 oppose trois candidats. Au premier tour, Valéry Giscard d'Estaing obtient 40 % des voix, Mitterrand 37 % et Chaban-Delmas 13,5, %, soit un point de moins qu'au niveau national, marquant ainsi le retrait du gaullisme historique qui n'aura pas survécu à la disparition du général de Gaulle. Là où le gaullisme traditionnel était capable de transcender les clivages politiques, le clivage droite-gauche se fait désormais plus net. Au second tour, Giscard obtient en Bretagne un résultat bien supérieur à la moyenne nationale avec 57,9 % des suffrages exprimés. Trois ans plus tard, les législatives de 1978 confirment la poussée socialiste de 1973 : le PS obtient 8 sièges et 24 % des suffrages avec des résultats extrêmement favorables dans les villes, notamment à Rennes. Gaullistes et centristes réalisent respectivement 26 et 25 % des voix. Les élections présidentielles de 1981 vont être une première historique au niveau national avec la victoire du candidat socialiste François Mitterrand.
En Bretagne, le premier tour de l'élection donne les résultats suivants : 10 % des voix pour Georges Marchais et le Parti communiste français, 27 % pour Mitterrand et le Parti socialiste, 30 % pour Giscard et quasiment 19 % pour Chirac.
Georges Marchais en meeting à Rennes
Malgré des contestataires antinucléaires, Georges Marchais a tenu son meeting à Rennes. Il a prononcé un discours critique à l'encontre du Parti socialiste. Il est également revenu sur la nécessité d'implanter une centrale nucléaire à Plogoff.
Pour les trois derniers, le score est supérieur à leurs moyennes nationales alors que le PCF obtient lui un résultat de 5 points inférieur, confirmant la baisse régulière de ses résultats dans la région, exception faite des Côtes-du-Nord comme l'avait déjà montrées les législatives de 1978. Si Giscard est en tête, il perd 10 points par rapport à son score de 1974. Au second tour, Giscard obtient 50,8 % des suffrages contre 49,2 % à Mitterrand. Néanmoins, en lui ayant donné un résultat de 27 % au premier tour, les Bretons s'affichent comme de plus en plus favorables au socialisme.
Seul le faible score du PCF ne permet pas au nouveau président de dépasser Giscard au second tour, le report des voix s'avérant insuffisant, sauf dans les Côtes-du-Nord où Mitterrand réalise 55 % des voix. Les plus grandes villes bretonnes, Brest, Rennes et Nantes, donnent également la majorité à Mitterrand. Les législatives de 1981, après la dissolution consécutive à l'élection de Mitterrand donnent 19 sièges au PS dont la totalité de ceux des Côtes-du-Nord et 6 sur 8 dans le Finistère. La poussée rose et l'effet provoqué par la victoire socialiste à l'élection présidentielle expliquent ce résultat.
Les législatives suivantes qui interviennent en 1986, dans un contexte peu favorable à la majorité sortante après cinq années de gouvernement et la politique économique de rigueur mise en place par Laurent Fabius, sont une défaite pour le PS qui perd des sièges, même si le recul est moins marqué dans la péninsule qu'au niveau national. Les socialistes conservent 11 sièges à l'Assemblée nationale pour les quatre départements de la Bretagne administrative.
En 1988, après deux ans de cohabitation avec le premier ministre de droite Jacques Chirac, le premier tour de la présidentielle donne à la gauche un pourcentage de voix plus important que lors du premier tour de 1981. Or, la situation est inverse au plan national. La gauche progresse de 6,3 % dans le Morbihan et de 4,1 % en Ille-et-Vilaine, les deux départements les plus à droite en 1981. Au second tour de l'élection présidentielle, Mitterrand réalise un score de 55 % en Bretagne, soit un point de plus que sa moyenne nationale ; un résultat supérieur à celui de 1981. Ces éléments confirment l'alignement de la péninsule sur les résultats nationaux. Aux législatives qui suivent la réélection de Mitterrand, la gauche remporte 306 sièges sur 577, dont 259 pour le parti socialiste. En Bretagne, 12 sièges échoient à la gauche contre 14 à la droite. Cette élection confirme que le Finistère et les Côtes-du-Nord votent plutôt à gauche et le Morbihan et l'Ille-et-Vilaine plutôt à droite. Elle soulève également le problème du découpage des circonscriptions qui ne tient pas toujours compte du poids démographique croissant des villes qui votent plus à gauche que les campagnes.
Comme au plan national, les législatives de 1993, après cinq années de gouvernement socialiste et dans un contexte social difficile, marquent en Bretagne un recul de la gauche et du parti socialiste en particulier. Le RPR et l'UDF sont les deux formations qui sortent victorieuses du scrutin, au niveau national, avec 37 % à eux deux, la gauche recueillant à peine 30 % des voix. A l'issue du scrutin, le PS arrive en troisième position. En Bretagne, le Parti socialiste possède 12 sortants et les quatre départements administratifs de la région ne renvoient que 4 députés de ce parti à l'Assemblée. Dans les Côtes-d'Armor, le PS perd 4 sièges sur un total de 5. Cependant, la Bretagne se distingue par un vote Front national plus bas que la moyenne nationale, comme lors des élections précédentes.
L'après Mitterrand
Eu égard à la trajectoire politique de la région depuis les années 1970, la présidentielle de 1995 pose, tout particulièrement en Bretagne, la question du résultat de la gauche après le reflux de 1993 et la retraite de François Mitterrand. La Bretagne se distingue en premier lieu par un taux d'abstention moins fort qu'au plan national, dans une élection marquée par une progression de celle-ci : 15 % dans les Côtes-d'Armor par exemple. D'ailleurs, aucun département breton ne dépasse le seuil des 21 % qui correspond à la moyenne nationale. Au premier tour, Lionel Jospin arrive en tête dans quatre départements, dont la Loire Atlantique, où il dépasse les 25 %, Edouard Balladur ne le devançant que dans le Morbihan. Ce score est supérieur à la moyenne nationale, de 23 %, pour le candidat socialiste même si il est nettement en recul par rapport aux résultats de François Mitterrand en 1988. Jacques Chirac se positionne donc derrière Lionel Jospin dans la péninsule. Les écologistes voient un effritement de leurs précédents résultats avec une moyenne de 4 %. En Bretagne, le candidat du Front national réalise quant à lui un score nettement inférieur à sa moyenne nationale qui est de 15 %. En dehors du Morbihan, Jean-Marie Le Pen ne dépasse les 10 % dans aucun département breton. Rennes, Brest et Nantes lui accordent des résultats inférieurs aux moyennes départementales. Dans les villes petites et moyennes, il est plus difficile de tirer des constats aussi tranchés. Cependant le score du leader du FN est en progression par rapport aux élections antérieures. Au second tour, Jacques Chirac obtient la majorité des voix en Ille-et-Vilaine, dans le Finistère, en Loire-Atlantique et dans le Morbihan. Seules les Côtes-d'Armor placent Lionel Jospin au dessus des 50 %, affirmant l'ancrage à gauche plus marqué de ce département. Cependant, la ville de Rennes crédite tout de même le candidat socialiste de près de 57 %. Dans l'ensemble, la Bretagne ne se démarque guère du résultat national, qui crédite le candidat de droite de 52,5 % des suffrages.
Suite à la dissolution de l'Assemblée Nationale par le président Chirac, des élections législatives anticipées ont lieu en 1997. Le contexte politique et social est défavorable à la droite suite aux deux années de gouvernement d'Alain Juppé. En Bretagne, le mouvement de balancier à gauche, suite aux législatives de 1993 est plus accentué qu'au plan national. Un seul député de droite, Pierre Méhaignerie, est réélu au premier tour avec 51 % des suffrages, soit une perte de 11 points par rapport à l'élection précédente. De son côté, un leader national comme Alain Madelin perd 15 points dans la circonscription de Redon par rapport à l'élection précédente. La gauche gagne en tout 15 sièges, dont 14 pour le PS et un pour le PCF. Si le Morbihan n'envoie qu'un député socialiste, tous les députés des Côtes-d'Armor sont de gauche. A Rennes, les trois circonscriptions de la ville sont désormais socialistes et Edmond Hervé, le maire de la ville, est élu dans la seconde. Le phénomène est similaire à Brest et à Nantes. Dans le Morbihan, la seule circonscription gagnée est celle de Lorient par le socialiste Jean-Yves Le Drian. Ces résultats confirment l'ancrage à gauche des principales villes bretonnes. Les écologistes sont limités par la reprise du PS et le FN ne dépasse pas les 7 % dans la péninsule.
L'élection présidentielle de 2002 arrive après 7 années de présidence pour Jacques Chirac et 5 années de gouvernement pour la gauche plurielle. Lors du premier tour, l'abstention est de 24 % en Bretagne, soit 4 point de moins qu'au plan national, ce qui confirme la tendance participative de la région, même si ce score est en très nette progression par rapport à 1995. Jacques Chirac arrive en tête avec 21 % des suffrages devant Lionel Jospin avec 18 %. La plupart des autres candidats de gauche obtiennent des résultats voisinant les 5 - 6 %, reflétant la tendance nationale à l'éclatement des voix de gauche. Les deux premiers réalisent cependant un score supérieur à leurs résultats nationaux même si la différence n'est pas extrêmement importante. La vraie particularité de la péninsule est de placer Jean-Marie Le Pen loin derrière avec 11 % des suffrages. Une tendance de longue durée qui trouve à cette occasion une place remarquée quand le leader du Front National réalise au plan national un score de 16,5 %, ce qui lui permet d'accéder au second tour. Certes le résultat est en progression par rapport à 1995 mais la différence avec la moyenne nationale est forte : plus de 5 points. La Bretagne participe elle aussi largement aux manifestations de l'entre-deux-tours et l'abstention est encore une fois plus faible en Bretagne.
La région donne logiquement un score de 88,5 % au président sortant Jacques Chirac, qui atteint les 82 % au plan national, alors que le leader frontiste ne recueille que 11.5 % des suffrages exprimés. Les deux tendances observées au premier tour sont donc confirmées par le second tour.
Les législatives suivent d'un mois les présidentielles. La poussée de l'abstention est très forte en comparaison de la mobilisation du second tour des présidentielles même si, comme à son habitude, la Bretagne vote un peu plus que la moyenne nationale. Le taux d'abstention y avoisine cependant les 30 %. De nombreux députés sont élus au premier tour et seul Jean-Marc Ayrault, à Nantes, l'est pour le Parti socialiste. Au soir du second tour, la droite possède 16 sièges sur 26 dans les quatre départements bretons. Cinq sièges ont été perdus par la gauche par rapport à l'apogée de 1997. Six de plus tout de même qu'en 1993, année terrible pour le PS. Ce dernier conserve l'intégralité des circonscriptions rennaises.
Le premier tour des élections présidentielles de 2007 est marqué en Bretagne par un taux d'abstention légèrement supérieur à 12 %. Comme au plan national, cette élection est marquée par une très forte participation mais, en Bretagne, celle-ci est supérieure de 4 points au taux national. La question du vote utile joue largement, le souvenir de 2002 étant encore présent. Trois candidats se détachent : Ségolène Royal, candidate socialiste, arrive en tête avec 28 % des suffrages, juste devant Nicolas Sarkozy crédité de 27 %. François Bayrou, leader du parti centriste, arrive en troisième position avec 22 % des voix. Le décalage est important par rapport à la moyenne nationale. Bayrou réalise un meilleur score en Bretagne qu'au plan national, profitant de la tradition centriste et démocrate-chrétienne de la région. Le parti socialiste se place en première place, devant le candidat de l'UMP, cinq points en dessous de son score national. Le PCF ne réalise que 1,5 %, dépassé par les autres formations d'extrême gauche. La gauche dans son ensemble réunit près de 40 % des voix, les électeurs centristes apparaissant en position d'arbitre pour déterminer la couleur politique de la région. Une nouvelle fois, en Bretagne, le Front national réalise un score inférieur à son score national. Au second tour, Royal réalise 52,5 % des suffrages. Elle arrive en tête dans tous les départements bretons sauf le Morbihan. Un résultat qui inscrit la région dans un vaste arc ouest-sud-ouest où le parti socialiste obtient la majorité. Les Côtes-d'Armor lui donnent son meilleur résultat avec plus de 55 % des suffrages et la ville de Rennes la place en tête avec 62 % des votes. Parmi les grandes villes bretonnes, seule Vannes donne la majorité à Nicolas Sarkozy. Aux élections législatives qui suivent, la gauche remporte 14 sièges sur 26 confirmant par là même les résultats de la présidentielle. Le Morbihan se démarque avec 5 élus de droite sur 6 circonscriptions, demeurant ainsi le département le plus à droite de la péninsule.
Les scrutins régionaux et locaux depuis 1970
Les municipales de 1977 sont marquées par le basculement à gauche d'un certain nombre de grandes villes bretonnes comme Rennes, Nantes et Brest où Francis le Blé remporte la ville. Ce résultat confirme la progression des socialistes lors des élections nationales. Le cas de Rennes est intéressant. Dès les élections cantonales de 1976, Henri Fréville, maire de Rennes depuis 1953 et ancien député, est battu dans sa circonscription par un inconnu. En 1977, il ne se représente pas et la liste d'union RPR-UDF est battue par la liste d'union de la gauche menée par Edmond Hervé.
L'électorat rennais s'est retrouvé délié de sa fidélité envers Henri Fréville, qui a largement œuvré à la modernisation de la capitale bretonne, et s'est tourné vers la gauche. Sur les 11 villes de plus de 30 000 habitants, 9 se retrouvent dirigées par une municipalité de gauche après le scrutin. C'est le cas de Brest.
Seules Quimper et Vannes restent à droite. Ces élections confirment également que le découpage des circonscriptions législatives n'est plus en accord avec la nouvelle réalité démographique bretonne. Il ne tient en effet pas compte des migrations et donc du poids croissant des villes. Cela explique le décalage encore présent dans la décennie 1970 entre le pourcentage de voix de gauche et le nombre de sièges de députés obtenus. Cette nouvelle donne va permettre aux électeurs de s'habituer à une gestion socialiste des affaires politiques, dans un premier temps au niveau local. Les élections de 1983 interviennent après deux ans de présidence socialiste alors que le gouvernement n'a pas résolu les problèmes de chômage et d'inalation. La droite réalise sa campagne sur le thème de la déception socialiste et reconquiert Nantes, de justesse, et Brest. Le vote sanction explique largement les pertes municipales mais, dans la péninsule, la gauche résiste mieux qu'au plan national. Rennes, Saint-Brieuc, Lorient, entres autres, renouvellent leur confiance aux socialistes. En 1989, les élections sont marquées par un fort taux d'abstention et une reconquête de la part de la gauche. A Nantes, Jean-Marc Ayrault, député, est élu dès le premier tour.
Election de Jean-Marc Ayrault à la mairie de Nantes
Le socialiste Jean-Marc Ayrault est élu maire de Nantes. Il succède à Michel Chauty qui tire les conclusions des six années passées à la mairie de Nantes. A son tour le nouveau maire prononce un discours où il annonce ses objectifs pour la ville.
A Rennes, Edmond Hervé retrouve lui aussi son fauteuil de maire dès le premier tour. Cette élection est marquée par une poussée du mouvement écologiste qui arrive à se maintenir au second tour dans un certain nombre de cas. La Bretagne est en effet largement sensibilisée aux problèmes environnementaux et tout particulièrement de pollution. Le second tour confirme d'ailleurs cette tendance. Globalement, cette élection montre un ancrage des villes bretonnes à gauche et pas seulement celles de plus de 30 000 habitants. A Redon, la liste de droite sur laquelle se présente Alain Madelin, ancien ministre, est battue. Néanmoins, la droite conserve de nombreux bastions comme Vannes ou Vitré, ville où Pierre Méhaignerie est réélu dès le premier tour.
Les élections suivantes, de 1995, 2001 et 2008 confirment ces tendances. Rennes et Nantes se stabilisent à gauche. Cependant, en fonction des configurations locales, du retrait ou non de certaines personnalités marquantes, des divisions locales à gauche ou à droite, les villes peuvent pratiquer l'alternance politique. Ainsi la ville de Saint-Brieuc, bastion socialiste depuis la conquête de la ville en 1962 par Antoine Mazier, membre du Parti Socialiste Unifié, auquel succède Yves le Foll, lui aussi affilié au PSU, est perdue par la gauche en 2001. Le retrait de Claude Saunier, maire entre 1983 et 2001, offre une opportunité dont se saisit Bruno Joncour, candidat UDF. Quimper change régulièrement de couleur politique tandis que Vannes, actuellement dirigée par François Goulard, reste un bastion de la droite.
Les élections municipales viennent confirmer la progression de la gauche en Bretagne depuis les années 1970. Le basculement à gauche de nombreuses grandes villes en 1977 est un tournant incontestable dans la péninsule. Depuis cette date, la gauche et tout particulièrement le parti socialiste dispose d'un ancrage local relativement fort en Bretagne. Les élections régionales offrent une image comparable. L'élection des conseillers régionaux au scrutin universel direct est instaurée par la loi du 2 mars 1982. Lors du scrutin de 1986, la gauche et la droite se présentent en ordre dispersé. Les quatre départements de la Bretagne administrative donnent une confortable majorité à la droite et Yvon Bourges, ancien ministre, devient président du conseil régional. Il le reste jusqu'en 1998. En 1992, le PS voit son nombre de conseillers diminuer, résultat prémonitoire des législatives de 1993. A contrario, le Front national et les différentes composantes du mouvement écologique progressent. En 1998, la droite domine toujours le conseil malgré une forte poussée socialiste. Josselin de Rohan, héritier d'une des plus anciennes familles bretonnes, en devient le président.
L'année 2004 est l'année du basculement à gauche. Le contexte national est marqué par un raz-de-marée de la gauche qui emporte 20 régions sur 22 en métropole, le scrutin apparaissant comme un verdict portant sur la politique gouvernementale depuis 2002. Les enjeux proprement régionaux passent au second plan. Au premier tour, ces élections permettent aux Verts de réaliser un bon score et montrent une Bretagne coupée en deux par les résultats de l'extrême droite. Le Front National réalise en effet des scores souvent supérieurs à 12 % dans la Bretagne orientale, surtout dans les communes à dominante rurale. Le bassin rennais est la seule exception à ce constat. Au second tour, la liste de gauche obtient 58 sièges contre 25 pour la liste de droite. Le socialiste Jean-Yves Le Drian en devient le nouveau président.
La gauche remporte les Régionales avec un score historique
La liste de gauche, emmenée par le socialiste Jean Yves Le Drian, vient de remporter massivement les élections régionales face à Josselin de Rohan. C'est avec les militants de sa ville de Lorient que Jean Yves Le Drian fête cette victoire.
Ce type d'élections est par ailleurs favorable à des partis régionalistes.
Le mouvement breton
L'Union Démocratique Bretonne, qui s'est positionnée à gauche, voit son nombre d'adhérents augmenter durant la décennie 1970.
En 1974, l'UDB appelle à voter pour le candidat unique de la gauche. Aux municipales de 1977, grâce à des listes d'union de la gauche, le parti régionaliste compte 35 élus dans des villes de plus de 30 000 habitants. Si aux élections législatives de 1978 le parti arrive à présenter 17 candidats, celles-ci sont un échec. Un certain nombre de militants, déçus par un projet régionaliste qui a du mal à exister en raison de la place occupée à gauche par le parti socialiste, rejoignent Emgann qui est créé en 1983 et qui se situe plus à gauche politiquement. La décennie 1980 est en effet difficile pour le parti breton. En 1981, Ronald Le Prohon, leader brestois de l'UDB, rejoint le parti socialiste suite à la victoire de Mitterrand aux présidentielles.
Réaction d'Henri Gourmelin à l'élection de François Mitterrand
Henri Gourmelin, leader UDB, se félicite de la victoire de François Mitterrand. Malgré des divergences, il espère que cette élection apportera des avancées pour l'emploi, la culture bretonne, Plogoff et la régionalisation, avec l'autonomie du peuple breton.
En 1984, le parti se scinde en deux, des militants partant fonder le mouvement Frankiz Breizh. Toujours en 1984, le Parti pour l'Organisation de la Bretagne Libre est fondé et il regroupe environ 300 adhérents en 1988. Cette même année, l'UDB soutient Mitterrand au second tour puis s'allie avec les autres partis de gauche lors des législatives. Lors des régionales de 1992, le mouvement breton, pour une fois uni sous la liste Peuple Breton Peuple d'Europe, (UDB, Emgann, POBL et Frankiz Breizh) ne recueille que 2,8 % des suffrages. Aux législatives de 1997, le parti présente une vingtaine de candidats et obtient environ 2 % des voix. Sept ans plus tard, lors des élections régionales de 2004, l'UDB opte pour une alliance avec les Verts et obtient 9,7 %. Ce résultat traduit la forte sensibilité bretonne aux problématiques environnementales et la reconnaissance de l'intégration déjà ancienne de l'UDB à la légalité politique et électorale au sein de la gauche. En 2007, l'UDB poursuit dans cette stratégie en soutenant la candidature de Dominique Voynet. Au final l'UDB existe en Bretagne grâce à un jeu d'alliance mais ne réalise, seule, que des scores relativement faibles malgré quelques pics électoraux très localisés dans certaines circonscriptions.
Conclusion
Depuis 1974, la Bretagne s'est ancrée progressivement à gauche. Le début de la période a été marqué par un alignement sur les résultats nationaux, dans une région au vote traditionnellement conservateur. La poussé socialiste s'est confirmée d'élection en élection et la Bretagne apparait aujourd'hui comme une région de gauche. Les villes votent tout particulièrement à gauche depuis le tournant des municipales 1977. Une tradition chrétienne et progressiste a contribué à attirer de nombreux électeurs vers le PSU puis le PS après le déclin du centrisme. Les victoires électorales de la droite y sont moins marquées et les victoires de la gauche plus nettes qu'au plan national. En Bretagne, le Front national réalise des scores plus faibles que dans beaucoup de régions françaises et ce, depuis les années 1980. Enfin, dans une région à l'identité culturelle affirmée, un vote régionaliste, autonomiste ou indépendantiste, a cependant du mal à percer.
Bibliographie
Christian Bougeard, " Les Français et la politique du milieu des années 1950 au milieu des années 1970 en Bretagne ", Les Français et la politique dans les années 60 (II), Bulletin de l'IHTP, n° 79, octobre 2002.
Christian Bougeard (dir.), Un Siècle de socialismes en Bretagne, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, coll. " Histoire ", 2008, 328 p.
Joël Cornette, Histoire de la Bretagne et des Bretons, Seuil, coll. " Histoire ", 2005, 2 vol.
Alain Croix, L a Bretagne entre histoire et identité, Gallimard, coll. " Découvertes ", 2008, 152 p.
Joseph Matray, et Jean Ollivro, La Bretagne au cœur du monde nouveau, Rennes, Les Portes du large, 2001, 150 p.
Jean-Jacques Monnier, Le Comportement politique des Bretons 1945-1994, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 1994, 435 p.
Jean-Jacques Monnier, " Les Bretons et la politique ", dans Jean-Christophe Cassard, Toutes les cultures de Bretagne, Morlaix, Skol vreizh, 2004, p. 127-134.
Michel Nicolas, " Les mutations politiques en Bretagne : 1958-1990 ", Annales de Bretagne et des Pays de l'Ouest, t. 98, n°3, 1991, p. 313-323.
Jean Pihan, et Michel Nicolas, Les Bretons et la politique, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 1988, 253 p.
Michel Philiponneau, Géopolitique de la Bretagne, Rennes, Ouest-France, 1986, 254 p.
Gilles Richard, et Jacqueline Sainclivier, (dir.), La Recomposition des droites, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, coll. " Histoire ", 2004, 389 p.
Jacqueline Sainclivier, L'Ille et Vilaine 1938-1958, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 1996, 480 p.
Jacqueline Sainclivier, La Bretagne de 1939 à nos jours, Rennes, Ouest France, coll. " Université ", 1989, 499 p.
Jacqueline Sainclivier, et Christian Bougeard (dir.), Les Pouvoirs locaux dans l'Ouest, 1935-1953, Annales de Bretagne et des Pays de l'Ouest, t. 103, n° 3, 1996.
Bernard Tanguy, et Michel Lagrée (dir.), Atlas d'histoire de la Bretagne, Morlaix, Skol Vreizh 2002, 172 p.
Site Internet : Atlas politique, Quarante années d'évolution politique de l'Ouest de la France 1960-2002 (consulté le 28 septembre 2009)