Cultes et enseignement de la religion en Alsace-Moselle
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Produit à la fois de l’histoire française et de celle de l’Empire allemand, le droit local d’Alsace-Moselle déroge à l’article 1er de la Constitution de 1958 au regard des principes de laïcité et d’indivisibilité dès que l’on aborde la question religieuse. Pour comprendre ce particularisme, il convient d’en retracer la genèse et d’en examiner la réalité contemporaine.
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Date de publication du document :
01 déc. 2023
Date de diffusion :
20 nov. 2018
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Contexte historique
ParProfesseur agrégé d’histoire-géographie au collège Elsa Triolet à Thaon-les-Vosges
Publication : 01 déc. 2023
Si la République est indivisible
et laïque
selon l’article premier de la constitution de 1958, il n’en existe pas moins des exceptions qu’illustrent parfaitement les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin qui, dans leurs limites actuelles, ont été intégrés au Reich allemand de 1871 (traité de Francfort) à 1919 (traité de Versailles). Cette histoire particulière a généré des différences notables dans l’application du droit français, notamment dans les rapports qu’entretiennent la puissance publique et les cultes.
La première différence tient à une non application
à cet espace de la loi française de séparation des Églises et de l’État du 9 décembre 1905. Allemands à cette date, ces territoires ont conservé la législation antérieure arrêtée par le Premier Consul Napoléon Bonaparte et le pape Pie VII en vertu d’un concordat signé en 1801 et mis en application l’année suivante. Ce traité, qui réaffirme le libre exercice et la prépondérance du catholicisme, permet à l’État de nommer évêques et archevêques ; parallèlement, il entérine la vente des biens ecclésiastiques durant la Révolution en contrepartie de laquelle la puissance publique assure le traitement des ministres du culte. Le texte est complété par des articles qui intègrent à ce dispositif les cultes minoritaires : les protestants (luthériens et réformés) en 1802 et les juifs (on parlait alors d’israélites) en 1808 et 1830.
Cinq ans après la réintégration des provinces perdues
à la France, et conformément aux engagements pris par Paris durant la guerre, les députés du Bloc national votent le 1er juin 1924 une loi qui maintient le régime concordataire. Cependant, dès sa victoire aux élections législatives, le gouvernement du Cartel des gauches dirigé par Édouard Herriot revient sur le texte et tente de faire appliquer la loi de séparation. Face au refus des parlementaires, notamment de Robert Schuman, des élus locaux et d’une grande partie de la population galvanisée par l’évêque de Strasbourg Charles Ruch, le pouvoir abandonne, d’autant plus qu’en janvier 1925, le Conseil d’État émet un avis défavorable et déclare que le concordat de 1801 demeure en vigueur dans ces territoires, position par ailleurs confirmée par le Conseil constitutionnel en février 2013. La situation contemporaine doit cependant faire face à l’irruption de deux phénomènes jusque-là minoritaires : la pratique de l’islam qui, en tant que religion non concordataire, est placée dans une situation d’inégalité par rapport aux cultes reconnus, et la contestation croissante du concordat par une partie de la population, notamment à la suite de décisions controversées à propos du financement de lieux de culte.
Reste que les religions non concordataires bénéficient d’une autre spécificité, qui ne découle pas de la non application du concordat mais du maintien d’une législation héritée du droit allemand qui forme le socle de ce que les juristes désignent sous le nom de droit local alsacien-mosellan. Trois exemples concernent les cultes. Le premier a trait aux associations régies par les articles 21 à 79 III du Code civil local qui permet aux religions non concordataires de s’organiser pour bénéficier de dispositions facilitant leur financement. Le deuxième se rapporte au délit de blasphème issu du code pénal allemand ; jamais appliqué depuis 1919, il est finalement abrogé en 2017. Le dernier exemple est lié à l’enseignement religieux dans les écoles publiques.
En effet, les établissements publics sont confessionnels ou interconfessionnels et l’enseignement religieux fait partie intégrante des programmes ; il doit être organisé par l’État et il n’est pas une matière optionnelle. Cependant, afin de respecter la liberté de conscience de chacun, les parents peuvent en dispenser leur enfant sans être tenus de motiver leur décision. Cette obligation scolaire, intégrée dans le Code de l’éducation (article L. 481-1), plonge ses racines dans deux sources principales : la première est française avec la loi Falloux de 1850, la seconde est allemande avec une loi de 1873. Après le retour des provinces annexées à la France, la loi du 17 octobre 1919 confirme le maintien provisoire du régime confessionnel de l’enseignement primaire, et la loi du 1er juin 1924 sanctuarise, avec le concordat, le droit local alsacien-mosellan.
Dispensé à l’origine par des ecclésiastiques, cet enseignement religieux est assuré, en Alsace en 2019-2020, par 601 intervenants (25% ministres du culte et 75% agents laïcs non titulaires) pour le premier degré, 127 intervenants dans le secondaire. Cela reflète la moindre fréquentation de ces cours au fur et à mesure de la scolarité des élèves : 48,8% dans le primaire mais seulement 14,9% dans les collèges et 7,7% au lycée. La tendance est nettement à la baisse puisque, en 2006-2007, les chiffres étaient encore de 71% pour le primaire et de 50% pour les collèges. Quant à la répartition confessionnelle de cet enseignement, elle se fait entre catholiques (81%), protestants (18%) et israélites (moins de 1%).
Éclairage média
ParProfesseur agrégé d’histoire-géographie au collège Elsa Triolet à Thaon-les-Vosges
Le reportage est diffusé le 20 novembre 2018 alors que le gouvernement français s’interroge sur l’élaboration de nouvelles modalités pour l’encadrement du financement de l’islam en France. Le cas de l’Alsace-Moselle est présenté comme un modèle possible. Le reportage aborde le système du financement des cultes d’une part, de l’enseignement religieux à l’école publique d’autre part. Si la question religieuse est au centre du propos, les deux sujets traités relèvent de logiques différentes puisque le premier découle de l’application du concordat de 1802 alors que le second est l’un des aspects du droit local issu de la période allemande (1871-1918).
La question du financement des cultes est abordée en réalisant un focus sur le cas de Daniel Blaj, prêtre de la paroisse de Lingolsheim (Bas-Rhin). Il permet d’aborder concrètement la situation économique d’un ministre du culte catholique en région concordataire et non concordataire. Le reportage généralise ensuite le propos pour observer la situation dans les trois départements de Moselle, du Haut-Rhin et du Bas-Rhin. Des graphiques indiquent que 1 254 ministres du culte sont rémunérés par l’État, le tout pour la somme de 39 millions d’euros. On peut noter que ces chiffres non sourcés méritent un autre éclairage média. En effet, le Bureau des cultes d’Alsace-Moselle avance pour 2021 un chiffre plus élevé, 54,7 millions d’euros, car il ajoute aux 37,5 millions de rémunération des agents des cultes, les 16 millions pour les pensions de retraite et de réversion, ainsi que 1,2 million pour les subventions d’administration et de personnel. Pour justifier la situation exceptionnelle de ces trois départements, le reportage donne la parole à un seul interlocuteur, Bernard Xibaut, chancelier de l'archevêché de Strasbourg.
L’explication historique est donnée en trois dates : 1802, 1905 et 1918. La première est celle de l’entrée en vigueur du concordat signé entre la France et la papauté. On voit successivement les portraits de Napoléon (en empereur alors que le texte a été signé alors qu’il était encore consul) et du pape Pie VII, puis un dessin de François Gérard Signature du concordat entre la France et le Saint-Siège le 15 juillet 1801. Le deuxième jalon correspond à l’adoption en France de la loi de séparation des Églises et de l’État alors que l’Alsace-Moselle est encore dans le giron de l’Allemagne. Elle est illustrée par une carte postale intitulée Le Rapport de M. Briand sur la séparation et fait référence au travail mené depuis 1903 par une commission parlementaire dont le rapporteur est Aristide Briand, député socialiste de la Loire, dont les positions conciliatrices ont permis de trouver un accord politique sur la question. Quant à la dernière date, elle pose le problème de la réintégration à la France d’une région qui a vécu 47 ans sous législation allemande. La parole est donnée à Jean-Marie Woehrling, président de l'Institut du droit local alsacien-mosellan et ancien président du tribunal administratif de Strasbourg, interviewé dans la bibliothèque de l’institution à Strasbourg. Cette dernière a pour objet l'étude et la défense de ce droit construit par sédimentation depuis 1870 et dont l’application se limite aux anciens départements annexés par l’Allemagne.
Le reportage se poursuit en abordant la question de l’enseignement religieux à l’école publique. Cet enseignement est directement hérité du droit allemand – une loi de 1873 – et non du concordat. Le cas est illustré par l’interview de Petra Magne de La Croix, intervenante en religion
à l’école primaire publique Sainte-Aurélie de Strasbourg où elle professe un cours de religion protestante
. Madame Magne de La Croix, formée à l’université de théologie de Strasbourg (autre spécificité de la région), est par ailleurs pasteure à l'église Sainte-Aurélie, mitoyenne de l’école, une église rattachée à l'Union des églises protestantes d'Alsace et de Lorraine (UEPAL). Une carte se rapportant à l’Alsace uniquement montre la désaffection croissante des familles pour l'enseignement de la religion. Il faut noter que les chiffres se rapportent aux élèves dispensés
, ce qui signifie que cet enseignement est obligatoire (ou était, car le principe a été inversé en rendant ces cours de religion facultatifs). Pour évaluer la pertinence de cet enseignement, la parole est donnée à Jean-Marc Meyer, responsable du service de la catéchèse et de l’enseignement religieux pour l’UEPAL.
Le reportage se referme sur la situation de l’islam et la recherche de solutions pour plus de transparence dans la gestion du culte musulman
, le tout sur les images de la grande mosquée de Strasbourg inaugurée en 2012 dans le quartier du Heyritz. On notera que, sur ce sujet, aucun responsable musulman n’est interviewé, de même qu’aucune voix contestant le principe du concordat ou de l’enseignement religieux dans les écoles publiques.
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