Promenade à Tartas, petit village des Landes
Notice
Dans le cadre de leur émission Dimanche au village, Jean-Pierre Mottier et Pierre Melfille partent à la rencontre des habitants de Tartas et de leur maire, Gérard Minvielle. Au fil des interviews, ponctuées de quelques chants et musiques folkloriques, les deux journalistes découvrent les Landes et leurs traditions : de la dégustation des ortolans à la chasse à la palombe, du rugby à la course landaise, des industries du bois à la protection de la forêt contre les incendies.
Éclairage
1950 : au tout début des Trente Glorieuses, dans une France dopée par le plan Marshall, l'heure est à l'optimisme. On veut oublier les années sombres et, partout, on peut évaluer l'essor de la société de consommation et de loisirs. Parallèlement à la création du SMIG qui assure un revenu minimum dans un contexte de plein-emploi, les médias se développent. Cette année-là, le 24 février, la RTF opère sa première retransmission télévisée [1], Le Jeu de l'amour et du hasard de Marivaux.
Les enfants du baby-boom sont nombreux. On multiplie à leur intention des émissions spéciales : Terre des enfants et Le club du jeudi à la radio, la mythique Piste aux étoiles à la télévision. La fondation du Club Méditerranée par Gérard Blitz accompagne alors la fin des tickets de rationnement.
Dans le nord des Landes et dans le sud de la Gironde, on se remet difficilement du coup dur des grands incendies qui ont ravagé les pinhadars durant l'été 1949 [2] mais, comme partout, on espère un redressement rapide de l'économie malgré l'instabilité gouvernementale chronique de la Quatrième République.
La visite à Tartas [3] des animateurs de l'émission Dimanche au village n'est qu'un prétexte pour faire découvrir l'ensemble du département des Landes qui ne s'ouvre pas encore au tourisme de masse. D'où la multiplicité des thèmes abordés et le choix pour cette petite cité historique, fief de l'ancienne tribu des Tarusates, qui se situe aux confins de plusieurs "pays" et non loin des limites de deux zones linguistiques majeures [4]. Et si le terroir est encore authentique, le message qu'entendent faire passer les "Messieurs de la Télévision" n'est qu'un salmigondis de clichés. Un point de vue parisien englobant, dans un concept aguicheur et réducteur de "Midi", toutes les facettes du vaste ensemble culturel occitan. Et la Gascogne de se confondre avec la Provence ; et le gascon de se mêler au basque dans un enchaînement de montages qui révèlent l'ignorance des deux acteurs.
Mais c'est aussi caractéristique d'une époque : il faut faire "pittoresque" dans un pays où l'on sublime les "belles provinces". On égrène alors des images d'Épinal, celles que l'on retrouve sur les cartes postales dont certaines sont encore "colorisées" comme au temps de Ferdinand Bernède ou comme le fait toujours Émile Vignes. Soleil, fête, "Pernod", cigales : la "pagnolade" le dispute ici à la gasconnade qui souligne les traits de caractère prétendus de Tartarin [5] locaux dont les ancêtres - comble de l'absurdité - auraient chaussé des échasses pour franchir les marécages... Autant d'images véhiculées par ailleurs, sans aucun esprit critique, par une littérature qui a grandement nui à la vulgarisation d'une histoire du pays reposant sur des données scientifiques.
On lit encore beaucoup Ramuncho, le roman de Pierre Loti valorisant l'identité basque, on dévore l'œuvre romanesque de l'académicien Pierre Benoît qui s'inspire parfois de la région, exaltant la spécificité d'une terre de caractère ; on écoute surtout beaucoup André Dassary [6], Luis Mariano [7] qui promeuvent des chants identitaires à l'instar du groupe basque Oldarra, né en 1945 de la dissolution de la chorale Olaeta. Dans les fêtes populaires ou les banquets, on reprend en chœur La Dacquoise à l'œil noir, la Chanson du béret ou Aqueras montanhas (appelé aussi Se canta) qui aurait été composée par Gaston Fèbus lui-même [8].
Autant de moyens pour se réapproprier, quelques années à peine après la Libération, une certaine identité régionale que les locaux se gardent de confondre avec celle de leurs voisins d'outre-Pyrénées : le torero landais est bien un "écarteur »" ou un "sauteur" dans les propos de Mazzantini [9], et si la passion de la chasse à la palombe est partagée entre Basques et Gascons, le rugby est tellement connoté que le sénateur Gérard Minvielle [10] en fait ici un symbole culturel de son territoire l'année où le Tournoi des cinq nations est remporté par le Pays de Galles alors que la France termine troisième...
[1] On compte alors 3794 postes de télévision dans tout le pays.
[2] La décennie 1940 est celle des grands incendies, dans les Landes. Ce sont les "années de braise" : on citera pour mémoire celui de Trensacq en août 1942, celui de Soustons en novembre 1942, celui d'Arjuzanx et ceux de Pissos en 1943. Au repli des troupes d'occupation en août 1944, le feu prend sur la RN 10 vers Liposthey et court jusqu'à la Leyre.
Bilan sommaire : 66 000 hectares ravagés en 1942 dont 45 000 en un mois ; 30 000 ha en 1945 et 1946.
La plus terrible de ces années de braise est 1949. L'incendie du 7 août, parti de la Grande Leyre, ravage la lande de Bern et Gruey à Pissos et anéantit les communaux de Sore. Le grand et sinistre incendie du 20 du même mois s'étend du Barp à Marcheprime et Saucats faisant 82 victimes parmi les sauveteurs...
Par la suite, l'organisation de la défense contre les incendies s'améliore (tours de guet, entretien des pistes, aménagement de puits tubés pour pompes immergées) et, sur le terrain, les moyens des sapeurs-pompiers pour surveiller et lutter se perfectionnent.
[3] Au début du second millénaire, un château entouré d'une enceinte, flanqué d'un donjon massif, doté de contreforts aux angles, domine la rive gauche de la Midouze. Tartas est alors un lieu de passage, un point stratégique qui échoit aux Albret en 1308 et qui subit, entre 1441 et 1443, un long siège des troupes de Charles VII.
Durant le XVIe siècle, une importante communauté protestante s'y développe ; la cité devient une place "sûre", après l'édit de Nantes. Mais, en 1623, Louis XIII fait démolir le château et, une trentaine d'années plus tard, le frondeur Balthazar y établit son quartier général ; sur ordre de Louis XIV, les fortifications sont alors démantelées.
[4] Marsan, Haute-Lande et Chalosse, aux confins des parlers "noirs" et "clairs" gascons, à une quarantaine de kilomètres, à vol d'oiseau, des premiers villages basques.
[5] Tartarin est un personnage d'un roman d'Alphonse Daudet, publié en 1872. Il met en scène un personnage burlesque, chasseur de lions en Afrique. Les Provençaux ont très mal accueilli cet ouvrage, refusant de se reconnaître dans ce portrait dévalorisant et peu respectueux de leur culture.
[6] André Deyhérassary, dit André Dassary est né en 1912 à Biarritz où il est mort en 1987. Élève du Conservatoire de Bordeaux, il connaît le succès sous l'Occupation avec l'opérette L'Auberge qui chante et la chanson Maréchal, nous voilà ! à la gloire de Pétain. Malgré cela, au sortir de la guerre, il connaît un certain succès, notamment en reprenant Ramuntcho (1944), mis en musique par Vincent Scotto sur des paroles de Jean Rodor.
[7] Mariano Eusebio Gonzalez y Garcia alias Luis Mariano est né en 1914 à Irun et mort à Paris en 1970. C'est un ténor qui accède à la célébrité grâce aux opérettes La Belle de Cadix et Le chanteur de Mexico. Il vulgarise au Pays basque une chanson populaire, au rythme entraînant, intitulée Il est un coin de France.
[8] Gaston Fèbus (1331-1391), Comte de Foix, vicomte de Béarn aurait composé cette chanson pour son épouse, Agnès de Navarre retournée dans ses terres.
[9] Auguste Camentron, dit Mazzantini, est un célèbre écarteur président de la mutuelle des "Toreros landais", de 1926 à 1939. La Cazérienne, hymne à la gloire de la course landaise, commence d'ailleurs par un hommage à ce sportif né en 1882 et mort en 1964.
[10] Né en 1902 à Geaune (Landes), mort en 1990 à Tartas (Landes), Gérard Minvielle est petit-fils de paysans et fils d'instituteurs landais. Nommé à Tartas dans l'administration des contributions indirectes en 1921, il affirme ses convictions socialistes républicaines et les défend activement dans la Résistance intérieure. En 1949, il est élu conseiller général du canton de Tartas-Est et, peu après, vice-président du Conseil général et président de la commission des finances. En décembre 1946, il est élu au Conseil de la République (le futur Sénat) où il rejoint le groupe socialiste ; il est réélu en 1948 et 1955.