La métamorphose des campagnes
Introduction
Ce parcours est consacré à la modernisation du monde rural entre 1945 et 2000. Les aspects économiques et sociaux ont été largement pris en compte ; toutefois les films donnent la priorité aux acteurs du changements : les agriculteurs.
En 50 ans, le monde agricole breton a été confronté à une spectaculaire mutation, qui s'intègre dans le large cadre de la modernisation des campagnes européennes mais qui a été plus rapide et plus net en Bretagne qu'ailleurs, vu le retard accumulé au début du XXe siècle. De 1950 aux années 70, la Bretagne rurale va devenir l'exemple de l'adaptation d'un espace à la modernité économique. Ce développement va se faire par des voies originales, mêlant productivité économique et solidarité humaine, certains parleront alors d'"un modèle agricole breton"[1].
Toutefois, à partir des années 80 ce modèle va se trouver confronté aux évolutions économiques et fonctionnelles que connaît toutes les campagnes de l'Europe de l'Ouest : difficultés liées à la concurrence mondiale, difficultés liées aux questions environnementales, nécessité d'appréhender le monde rural non plus comme un simple espace économique mais comme un cadre de vie " naturel " qui s'oppose à l'urbanisation. Face à ces défis que la Bretagne agricole ressent fortement, elle doit chercher d'autres modèles de développement.
[1] Corentin Canevet
Le renouveau de l'après-guerre
A la fin des années 40, les structures d'exploitations traditionnelles basées sur la polyculture-élevage exercée dans le cadre familial restent prédominantes. Elles dégagent de faibles ressources, assurant un niveau de vie moyen aux familles d'agriculteurs. Mais très vite des forces modernistes vont s'imposer.
Une tradition de polyculture familiale
Après la Seconde Guerre mondiale, bien que la contribution de l'agriculture bretonne ne soit pas négligeable (8% de la production française pour 6% de la superficie agricole et rappelons que pendant la guerre les 4 départements bretons ont été excédentaires en matière alimentaire) les campagnes bretonnes paraissent très en retard : nombreuses petites exploitations familiales pratiquant la polyculture-élevage, superficie moyenne de 10 ha (moyenne nationale de 15 ha). Les fermes sont peu mécanisées par manque de financement, les rendements restent faibles et l'agriculture bretonne, préoccupée à faire vivre une population nombreuse, manifeste peu d'intérêt pour les marchés extérieurs. Elle demeure cependant le secteur principal de l'économie jusqu'au début des années 60 et occupe plus de 40% de la population active en 1962.
La nouvelle génération
Toutefois, dès le début des années 50, le désenclavement de la Bretagne - région d'émigration, sous-industrialisée, sous-équipée - devient l'objectif de plusieurs initiatives modernistes (qui s'expriment entre autre dans le CELIB). Le premier plan breton - coordonné pour sa partie agricole par Louis Malassis - est l'occasion de dégager les grandes lignes du changement. Cette révolution va être facilitée par l'inaluence idéologique de la JAC (Jeunesse Agricole Catholique) très puissante en Bretagne. En formant des milliers de jeunes ruraux selon la méthode " voir, juger, agir ", ce mouvement va être une courroie de transmission de la modernisation. Au nom du progrès, ces jeunes vont bousculer l'encadrement rural traditionnel et faciliter l'évolution socio-économique. En remettant en cause les exploitations familiales et en reconnaissant la nécessité de l'exode rural, ils vont rendre possible l'industrialisation et l'intensification de l'agriculture bretonne, sans en avoir mesuré toutes les conséquences.
Congrès de la Jeunesse Catholique à Laval [Muet]
Les mouvements de la jeunesse catholique, notamment la JAC (Jeunesse Agricole Catholique) et la JOC (Jeunesse Ouvrière Catholique), sont rassemblés à Laval. Les groupes de filles et de garçons défilent dans les rues, puis assistent à une messe.
Produire plus
De ce creuset jaciste surgit une nouvelle génération de militants syndicaux et politiques qui affirment l'autonomie de la paysannerie face à l'encadrement traditionnel. Créé en 1947, le CNJA (Cercle National des Jeunes agriculteurs) dirigé par Michel Debatisse et Bernard Lambert remet en cause la FNSEA puis devient le courant majoritaire des structures syndicales dans tous les départements bretons.
Ces impulsions conjuguées vont permettre à la Bretagne de s'engager dans la modernisation. Les années 50 sont caractérisées par une augmentation de la production rendue possible par des améliorations techniques : introduction du maïs, des vaches frisonnes, des engrais, généralisation des tracteurs, électrification généralisée, introduction de la comptabilité d'exploitation, etc.., que permet le recours croissant au crédit agricole et aux aides de l'Etat. Entre 1950 et 1964, le montant des prêts est multiplié par huit, les agriculteurs s'endettent pour financer l'achat d'équipements permettant de faire augmenter la productivité. La diffusion des nouvelles techniques est assurée par des structures nouvelles : une trentaine de CETA (Centre d'Etudes techniques Agricoles) qui sont créés à la fin des années 50 et par les GVA (Groupe de vulgarisation agricoles).
Les années 50 correspondent également au début du remembrement : il s'agit alors de remédier à l'extrême morcellement des exploitations bretonnes en arasant les talus jugés inutiles et en regroupant les parcelles d'un même propriétaire. Cette entreprise qui semble à certains indispensable, mais qui en traumatise d'autres, va se réaliser lentement malgré la mise en place en 1962 de la SBAFER (Société Bretonne d'aménagement Foncier et d'Etablissement Rural) qui a comme objectif de racheter des terres afin de favoriser l'agrandissement des exploitations.
Conférence sur le remembrement à Cérans Foulletourte, Sarthe
Le maire de Cérans Foulletourte a organisé une réunion sur le remembrement. La conférence est animée par le Directeur de la Chambre d'agriculture. Après avoir exposé les démarches à suivre aux agriculteurs perplexes, il répond à leurs questions.
C'est l'amorce d'une croissance qui se révèlera spectaculaire puisque la production - particulièrement dans le secteur animal - prendra un poids considérable. La Bretagne se spécialise dans les élevages intensifs de poulets et de porcs, au prix de fortes répercussions sur l'emploi des terres agricoles. En 1985, 90% de la surface agricole bretonne est consacrée à l'alimentation du bétail.
Nombre de tracteurs, moissonneuses-batteuses et machines à traire en Bretagne (source : annuaire statistiques de la France)
1955
- Tracteurs : 14 533
- Moissonneuses-batteuses : 1 970
- Machines à traire : 9075
1960
- Tracteurs : 46 797
- Moissonneuses-batteuses : 1 970
- Machines à traire : 15 920
1965
- Tracteurs : 74 811
- Moissonneuses-batteuses : 5 048
- Machines à traire : 25 246
Jusqu'aux années 60, ces changements permettent l'augmentation du niveau de vie de nombreux agriculteurs, sans cependant remettre en cause les structures de production : le système de polyculture-élevage perdure, les petites exploitations se maintiennent. Certes des initiatives annoncent des temps nouveaux : première coopérative laitière de Rennes en 1949, chaînes d'abattage de porcs de Fleury-Michon à Bannalec, premier abattoir de poulets industriels crée par Doux en 1955. Mais les véritables mutations qui caractériseront le " modèle agricole breton " ne prendront vraiment forme que dans les années 60 dans le contexte de l'organisation économique de l'agriculture (lois agricoles de 1960 et de 1962).
Cette modernisation extrêmement rapide de l'équipement agricole ne trouve cependant pas d'échos dans la vie quotidienne : les logements restent mal équipés (seules 49% des communes rurales bretonnes ont l'électricité en 1950) et sont même vétustes puisqu'en Ille-et-Vilaine 60% des fermes sont antérieures à 1870.
1954
- Eau courante : 11,5% (33,8%)
- WC intérieur : 1,6 (3,9%)
1962
- Eau courante : 36% (57,8%)
- WC intérieur : 9,5 (13,2%)
C'est dans ce contexte que l'EDF lance son projet de fermes pilotes. Il s'agit d'aménager des fermes en proposant un équipement rationnel permettant à la fois d'améliorer la vie quotidienne et de rentabiliser les grands équipements installés par l'entreprise. A la fin des années 60, 170 fermes ont été réalisées.
Si les revenus des agriculteurs ont vraisemblablement augmenté entre 1955 et 1965 (+ 25 %, environ), ils demeurent inférieurs à la moyenne française et si certains jeunes veulent réformer de l'intérieur leur cadre de vie, en militant entre autre à la JAC ou dans les syndicats, d'autres ne cachent pas leur désir de s'installer à la ville.
Le " modèle breton "
Cette rénovation de fond qui caractérise la Bretagne des années 60 a permis au géographe Corentin Canevet de parler d'un "modèle breton" qu'il caractérise par :
- une révolution technique rapide qui va permettre une nette augmentation de la production essentiellement tournée vers l'élevage.
- une révolution idéologique souvent évoquée par les termes de "révolution silencieuse" : les agriculteurs bretons tentent de mettre en place une forme de développement original basé sur le progrès et qui associe rationalisme technique et développement collectif.
A partir des années 70, ce modèle sera remis en cause dans le cadre d'un nouveau contexte agricole mondial.
Le marché au cadran de Saint Pol de Léon
La SICA de St Pol de Léon est un groupement de producteurs qui organise la commercialisation de la production agricole locale, grâce au marché au cadran. Alexis Gourvennec explique le fonctionnement de ce groupement et son intérêt pour les paysans.
Un nouveau contexte agricole
Les lois agricoles du début des années 60 s'attaquent aux structures de l'agriculture française en essayant de faire disparaître les exploitations jugées non viables car trop petites (loi de 1960) mais aussi en réformant l'organisation du marché agricole (la loi de 1962 permet la reconnaissance des groupements de producteurs). Ces décisions sont à mettre en rapport avec la mise en place du marché commun le 1er janvier 1958. Le mythe de la compétitivité va alors remplacer celui de la productivité des années 50.
La deuxième révolution agricole
On parlera alors d'une deuxième révolution qui correspond à un changement de système agraire avec passage du système de polyculture-élevage paysan vers celui d'un système agro-industriel intégré à l'économie de marché. Ce dernier se caractérise d'une part par la spécialisation des exploitations qui développent des productions marchandes (dont l'élevage hors-sol) et d'autre part, par la croissance de l'industrie agro-alimentaire. Les secteurs laitier, porcin et avicole en sortent totalement bouleversés :
- la collecte industrielle du lait représente 25% de la production en 1958 et 76% en 1968.
- la production de poulets de chair passe de 5 000 têtes en 1957 à 30 000 en 1965 et 83 000 en 1985.
Les industries agro-alimentaires qui avaient commencé à se développer juste après la guerre s'allient aux exploitations familiales pour atteindre les marchés nationaux et internationaux. Ces industries ont plusieurs origines mais une majorité d'entre elles provient du secteur coopératif - originalité à remarquer et qui s'explique en partie par l'idéologie moderniste du milieu agricole breton. Mis à part pour l'industrie laitière, les capitaux d'origine nationale sont rares et ceux d'origine étrangère le sont encore plus, du moins jusqu'aux années 70. Aidée dans sa réflexion par des chercheurs de l'INRA, de l'école d'agronomie, et par des syndicalistes, la paysannerie bretonne très dynamique adopte de nouvelles structures qui visent certes la rentabilité mais aussi une meilleure organisation du travail : les CUMA (Coopératives d'Utilisation du Matériel Agricole), les GAEC (Groupement agricole d'Exploitation en Commun), les centres de gestion et de comptabilité se multiplient.
Le GAEC de la Cordée à Treffieux
A Treffieux, une exploitation agricole d'un nouveau genre a vu le jour. Il s'agit d'un GAEC, groupement agricole d'exploitation en commun. Il réunit 4 agriculteurs et leurs épouses qui se sont répartis le travail en différents secteurs d'activité.
On peut en effet évoquer un "modèle breton" qui veut permettre la sauvegarde du pouvoir économique paysan face au capitalisme agro-alimentaire car les chevilles ouvrières de ce projet sont des coopératives d'agriculteurs qui mêlent intégration capitaliste et militantisme syndical. Les exemples les mieux connus sont sans doute ceux de la COOP-agri, fusion des diverses coopératives de l'Office Central de Landerneau, de l'UNICOPA et de la CAB (Coopérative des agriculteurs de Bretagne). Ils traduisent une certaine capacité à s'adapter et à saisir les opportunités. Cependant les coopératives se limitent le plus souvent à la première transformation, qui fournit une marge bénéficiaire faible.
La coopérative agricole d'Ancenis-Saint Mars la Jaille
La Coopérative agricole d'Ancenis, caractérisée par sa superficie et sa polyvalence, apporte une aide technique et économique aux adhérents, tout en respectant les besoins des consommateurs. Elle met l'accent sur l'organisation des productions.
Un monde en mouvement
Les agriculteurs bretons, très mobilisés syndicalement, se battent pour imposer leur modèle face au développement capitaliste de l'agriculture. Ils s'engagent dans de nombreuses actions spectaculaires parfois violentes. En 1960, les légumiers du Finistère entrent en lutte pour une réforme de la mise en marché. En 1962 des actions sont menées contre les non agricoles qui accaparent les terres. La même année "la bataille du rail" impose une baisse des tarifs et la mise en voie de la ligne Guingamp-Carhaix. Enfin, les premières mobilisations contre la PAC prennent forme en 1962.
Le malaise paysan à Plumelec
Des agriculteurs témoignent de leurs difficultés à exploiter. A Plumelec (Morbihan), malgré le remembrement, les problèmes persistent. Exemple de trois fermes où les paysans, leurs épouses et leurs filles parlent de leur quotidien et de leurs aspirations.
Ces années marquées par une rapide évolution économique et culturelle avec un recul net de l'Eglise n'est cependant pas une période de tension pour le monde paysan. Malgré des difficultés et des angoisses individuelles, exprimées dans le précédent documentaire, la volonté partagée de moderniser maintient une certaine cohésion sociale. Celle-ci ne sera vraiment ébranlée que dans les années 70-80 lorsque les écarts entre les exploitations s'accroissent et que les tensions – entre autres syndicales - se cristallisent. Jusqu'aux années 80, le constat le plus marquant n'est pas celui du malaise mais plutôt celui de multiples fissures du modèle social et culturel traditionnel. Ce sont quelques uns de ces points de rupture que nous proposons d'explorer.
- Les jeunes
Les jeunes ruraux, entendons ceux qui ne sont pas encore majeurs et que l'on classerait dans la catégorie nouvelle de l'adolescence, terme réservé auparavant aux jeunes citadins, sont de plus en plus attirés par les loisirs et les occupations citadines. Progressivement une véritable société adolescente, proche de celle des villes, se met en place. Comme illustration de cette évolution, prenons l'exemple des " clubs de jeunes " catholiques ou laïcs qui essaiment un peu partout en Bretagne, occupant ainsi la terrain des anciens patronages des bourgs : celui de Lanester illustré par le reportage suivant, ou le tout petit club d'Audierne créé en 1967 ou encore celui de Plozévet, commune rurale qui ne dénombre en 1967 que 3800 habitants. Ces clubs sont l'occasion pour les jeunes, qui ne bénéficient d'aucun moyen de transport, de se réunir autour de passions et loisirs communs comme la musique, la télévision ou encore différents jeux. Ainsi, progressivement les loisirs des jeunes ruraux, même si ceux-ci travaillent encore souvent sur l'exploitation familiale, se rapprochent de ceux des jeunes citadins.
- Les femmes
A l'instar des jeunes que nous venons d'évoquer, certaines jeunes filles sont tentées par le mode de vie urbain et en particulier par Paris où, dans les années 50-60, elles seront nombreuses à travailler en tant qu'employées de maison. Ce phénomène déjà en place avant la guerre contribue indirectement notamment à la modernisation dans les campagnes, les jeunes femmes devenant en quelque sorte des agents involontaires de cette modernisation lorsqu'elles reviennent chez elles.
Certaines femmes vont aussi s'organiser pour que leur rôle soit beaucoup plus reconnu qu'il ne l'était auparavant. Les travaux de Martien Ségalen ont montré la participation active mais peu évoquée que les femmes ont eu dans les fermes. En plus de s'occuper des tâches domestiques et d'élever les enfants, elles prenaient en charge une partie des travaux agricoles, entre autre les traites quotidiennes et le soin des animaux de l'exploitation. Mais leurs travaux agricoles étaient souvent perçus comme des "coups de main " donnés aux hommes et non comme un travail organisé, basé sur des qualifications et dégageant des revenus non négligeables. Cette situation, liée en partie au manque de formation technique féminine, participe dans un premier temps à un certain exode féminin pour la ville qui offre des emplois féminins moins contraignants et plus lucratifs. Cet exode est une des raisons du célibat qui frappe les agriculteurs à partir des années 1960. Ce départ permet également de s'affranchir de la tutelle parentale et d'échapper à la cohabitation inter-générationnelle, condition de vie souvent difficile et décriée par la JACF (Jeunesse Agricole Chrétienne Féminine).
Mont da labourat en Amerik [Aller travailler aux Etats-Unis]
Ganet e 1901 e Kastell-Nevez-Ar-Faou, Marie-Josèphe Citarel a ziviz e 1927 ober evel pemp eus he breudeur : kuitaat ar vro ha mont da labourat en Amerik asambles gant he gwaz. [En 1927, Marie-Josèphe Citarel, née en 1901 à Châteauneuf-du-Faou, décide de suivre l'exemple de cinq de ses frères : quitter le pays et partir avec son mari travailler aux Etats-Unis.]
Les jeunes peuvent-ils rester à la terre ?
L'agriculture bretonne, en crise, ne permet pas à tous les paysans, notamment aux jeunes, de continuer à exploiter. Ces jeunes, exprimant leur malaise, mènent une réflexion sur leurs conditions de vie et de travail, et apportent des solutions.
Les femmes mariées à des agriculteurs constatent le manque de reconnaissance de leur statut et de leur rôle dans l'exploitation agricole, puisqu'elles ne peuvent être reconnues qu'en tant que " femmes d'exploitants ". Un statut qui ne fait l'objet d'aucune reconnaissance particulière en terme de salaire ou de retraite par exemple, aggravant ainsi la dépendance des épouses. Dans ce cadre, les nouvelles structures qui visent une meilleure rentabilité et une meilleure organisation du travail comme les GAEC (Groupement Agricole d'Exploitation en Commun) vont jouer un rôle non négligeable. Comme on peut le voir dans le film proposé ci-dessous, cette structure permet une nouvelle organisation des activités agricoles qui tient mieux compte des droits des femmes. Celles qui s'expriment largement dans le film - prise de parole qui est en soi un signe d'évolution - prennent des initiatives sur l'exploitation et dans les décisions de l'exploitation et sont rémunérées en fonction de leur temps de travail.
Le GAEC de la Cordée à Treffieux
A Treffieux, une exploitation agricole d'un nouveau genre a vu le jour. Il s'agit d'un GAEC, groupement agricole d'exploitation en commun. Il réunit 4 agriculteurs et leurs épouses qui se sont répartis le travail en différents secteurs d'activité.
Cette évolution du rôle des femmes dans le monde rural s'incarne notamment dans la personne d'Anne-Marie Crolais. Fille d'agriculteur qui a participé à la JACF - Jeunesse Agricole Catholique Féminine - Anne-Marie Crolais exploite avec son mari un élevage de porc. Elle devient une figure emblématique des agricultrices de Bretagne en étant élue en 1976 présidente du CDJA des Côtes-d'Armor. Elle symbolise donc cette ouverture et cette reconnaissance des femmes dans le monde rural de tradition machiste. Cependant, comme il est précisé dans le film, elle ne contribue pas seulement à la reconnaissance des femmes, mais aussi à celle de la modernisation des campagnes en faisant la promotion d'une paysannerie modernisée et professionnelle, avec par exemple le développement de la filière porcine dans les années 1970, ou celle du tourisme à la ferme dans les années 2000.
Dans les années 1970, le statut des agricultrices avance. La formation des agricultrices devient plus facile grâce à des programmes proposés par l'Etat, comme par exemple, celui des " 200 heures " (formation pour la gestion et la comptabilité). Mais on retrouve peu de cursus offerts aux femmes et concernant les travaux de chef de culture et d'élevage. Cependant comme les fermes bretonnes sont souvent tenues en couple, les femmes imposent progressivement leur inaluence sur les investissements et les choix de production, et elles sont de plus en plus nombreuses à se syndiquer comme en témoigne l'exemple d'Anne-Marie Crolais. Il faudra attendre la loi d'orientation de 1980 pour que les conjointes d'agriculteurs obtiennent des droits dans la gestion de l'exploitation, et 1982 pour qu'elles bénéficient du statut de chef d'exploitation. La reconnaissance s'officialise progressivement :
- en 1988, c'est la reconnaissance de l'expérience professionnelle de la conjointe travaillant dans l'exploitation
- en 1999 le statut de conjoint collaborateur est instauré et permet aux femmes d'envisager une pension de retraite
- et la loi de 2006 précise les droits selon les statuts choisis.
La présence contestataire des femmes, quasi nulle avant 1970, est aussi la trace de cette évolution. A partir de la grève du lait en 1972, des femmes rurales descendent dans la rue, et en 1982, une manifestation composée uniquement de femmes portant des revendications essentiellement féminines a eu la primeur de la télévision.
Manifestation d'agricultrices à Saint Brieuc
A Saint Brieuc, les agricultrices ont manifesté pour dénoncer la politique agricole. Elles revendiquent de meilleures conditions de travail et souhaitent également que leur travail soit reconnu en obtenant un statut propre d'agricultrice.
- La sécularisation
Autre aspect de la modernisation, la Bretagne rurale, pourtant majoritairement terre de foi jusqu'au début des année 1960, va progressivement s'engager dans la sécularisation. Alors que jusqu'à l'immédiat après-guerre, plus de la moitié des ruraux étaient des pratiquants réguliers, c'est à dire qu'ils allaient à la messe dominicale, qu'ils faisaient Pâques, l'audience de la religion va progressivement baisser. Les hommes tout d'abord, puis les jeunes vont peu à peu se détourner de la religion. " Dieu change donc en Bretagne " constate Yves Lambert dans sa brillante étude du catholicisme vannetais. Cependant même si la messe se féminise, la Fête-Dieu, les pèlerinages et les pardons comme celui la Grande Troménie de Locronan restent très populaires jusqu'au années 1970. Le passage aux années 1960 marque un véritable tournant dans la pratique religieuse en Bretagne. Même si l'enseignement privé reçoit près de 50% des enfants et si le Tro Breiz renaît, on ne compte plus que 30 % de messalisants à la campagne, y compris dans la région traditionnellement très pieuse du Léon dans le Finistère, et les deux-tiers de ceux-ci ont plus de 45 ans. A l'instar de la pratique religieuse en ville, les processions rassemblent en majorité des femmes âgées et la communion solennelle reste souvent le dernier acte religieux avant le mariage. Cependant, dans les années 1960 et au début des années 1970, les grandes cérémonies ponctuelles attirent toujours beaucoup de monde comme en témoignent ces deux documents. Actuellement, le pèlerinage de St-Anne d'Auray, le plus célèbre de Bretagne, accueille encore plus de 30 000 visiteurs le 26 et 27 juillet.
Cette évolution n'est pas que culturelle, elle est aussi sociale et matérielle car les conditions de vie changent au quotidien, entre autre grâce à l'amélioration de l'habitat.
- L'habitat
Jusqu'aux années 70, les conditions de vie dans la Bretagne rurale étaient difficiles, particulièrement dans les " écarts ", souvent beaucoup plus mal lotis que les bourgs. En 1950, 52 % des logements n'étaient pas raccordés au réseau électrique contre 13 % en moyenne nationale, 82 % étaient sans eau courante, 95 % ne possèdaient pas de toilettes intérieures et 98,5 % n'avaient pas de salle de bain. Les campagnes accusaient donc un retard considérable non seulement sur les villes mais aussi sur d'autres campagnes bien mieux engagées sur la voie de la modernisation. La situation va rapidement évoluer sous l'impulsion de la modernisation des techniques de production qui vont précéder et accompagner la modernisation de l'habitat et de l'intérieur rural breton. La JAC fait d'ailleurs de cette modernisation un de ses chevaux de bataille avec une exposition itinérante " La maison rurale " qui accueille 400 000 visiteurs en Bretagne. Cette évolution s'est aussi faite sous le coup des changements de mentalités féminines. Ainsi entre 1948 et 1958, le pourcentage de communes rurales raccordées au réseau électrique progresse énormément, passant de 40 % à 90 %. Une évolution qui ouvre la porte à une autre : le raccordement électrique entraine l'adduction d'eau courante par moto-pompe dans les fermes non équipées. L'adduction d'eau courante en équipement collectif ne s'est généralisée qu'à partir des années 1970. L'exemple présenté dans le reportage suivant n'est bien sûr pas représentatif de l'évolution de l'ensemble de l'habitat rural breton mais il témoigne néanmoins de ce mouvement, et de l'envie des ruraux d'accéder au confort matériel des logements citadins. Avec l'aide des pouvoirs publics qui favorisent les prêts de rénovation, les nouvelles maisons construites par les jeunes en milieu rural adoptent toutes les caractéristiques du pavillon de banlieue avec un garage, une cuisine, une salle de bain ou encore un salon à partir de la fin des années 1960. Souvent, c'est avec la reprise de la ferme parentale par le jeune couple que la modernisation de l'habitat (rénovation) et de l'intérieur (appareils électro-ménagers) s'est opérée. Alors que traditionnellement, les familles paysannes investissaient dans la terre ou le matériel d'exploitation, la télévision et les machines à laver firent partie des premiers équipements de la modernisation.
L'habitat rural dans le Saumurois
Mme Catala, femme d'agriculteur à Verrie (Maine et Loire) est propriétaire d'une maison neuve, pourvue du confort moderne. Cette maison fonctionnelle est composée de 5 pièces dont une salle de bain, une cuisine aménagée et équipée d'appareils ménagers.
La télévision illustre parfaitement le passage de la Bretagne et notamment de la Bretagne rurale à la modernité. Comme la radio déjà présente dans 77 % des foyers ruraux français en 1961, la télévision est un véritable agent de modernisation et d'acculturation car elle permet au monde rural de sortir de son isolement et d'entrer en contact avec la culture " globale ". Si la pénétration de la télévision se fait lentement en Bretagne c'est tout d'abord pour des raisons de niveau de vie, qui font que la télévision n'apparaît pas comme un bien de première nécessité, mais aussi par le retard de mise en place d'émetteur. Dans l'étude qu'il a mené à Plozévet, Edgar Morin constate la vitesse avec laquelle se développe l'équipement en téléviseur dans la population : 221 récepteurs en 1965 pour 1000 foyers, alors qu'une décennie plus tard, dans l'ensemble de la Bretagne, 75 % des foyers ruraux sont équipés. Installée dans le quotidien des Bretons, la télévision devient vite indispensable. En 1974, l'émetteur de Roc Tredudon, qui dessert la majorité du Finistère et une grande partie des Côtes du Nord, subit un attentat revendiqué par le FLB (Front de Libération de la Bretagne), privant ainsi de télévision de nombreux Bretons. Les réactions des personnes face à cet acte rendent compte à quel point la télévision s'est rapidement imposée, remplaçant les divertissements et les lieux de sociabilité habituels tels que la lecture, le cinéma ou bien encore les bistrots.
La Bretagne sans télé
Dans la nuit du 13 février, l'émetteur de Roc Trédudon, dans le Finistère, a été plastiqué par les indépendantistes du FLB. Une partie de la Bretagne, notamment Guigamp, est depuis privée de télévision. Sans télé, les Bretons apprennent à vivre différemment.
Symbole de l'entrée dans la modernité, il faut aussi noter le rôle qu'a tenté de jouer la télévision dans la modernisation de la Bretagne rurale. Comme aux Etats-Unis, des visionnaires ont perçu la télévision en tant qu'outil capable de vaincre l'isolement. La " télé promotion rurale " (TPR) lancée en 1966 a proposé un enseignement et une formation destiné aux agriculteurs afin qu'ils puissent s'adapter et comprendre les évolutions agricoles. La télévision n'étant pas encore présente dans tous les foyers ruraux, la " télé promotion rurale " était organisée dans des centres de réception où les agriculteurs se réunissaient pour assister aux émissions.
- La Bretagne, miroir de la modernisation française
La Bretagne va d'ailleurs jouer le rôle de laboratoire dans l'étude de la modernisation de la société française. Dès les années 30, la région fait l'objet de plusieurs enquêtes comme celles des Arts et Traditions Populaires qui veut recenser les objets et les traditions bretonnes. Mais la plus connue et la plus importante est celle qui s'est tenue dans la petite commune finistérienne de Plozévet. Les enquêtes de Plozévet débutées en 1961 sont nées de la volonté de la DGRST (Direction Générale à la Recherche Scientifique et Technique) d'étudier un isolat, afin de réunir les disciplines des sciences sociales et humaines dans une étude commune de grande envergure. Le choix de cet isolat s'arrête ainsi sur Plozévet, commune de 3800 habitants du sud Finistère en pays bigouden, qui va accueillir la plus grande enquête interdisciplinaire jamais réalisée en France à l'époque. Accueillant différents types de recherche, comme par exemple celle de bio-anthropologie, la commune reçoit aussi de nombreux historiens et sociologues qui vont pouvoir étudier le passage d'une société rurale à la modernité. Parmi ces chercheurs on retrouve notamment Edgar Morin qui intervient à la fin des enquêtes en 1965, et qui publiera Commune en France, la métamorphose de Plodémet . Edgar Morin retrouve à Plozévet tous les éléments que l'on a pu évoquer précédemment comme l'émancipation progressive des femmes, du jeune couple, ou encore des jeunes qui montent un club en 1965. Les moyens de l'enquête permettent aussi de voir l'évolution progressive du confort et de la vie quotidienne. Électricité, télévision, appareils électro-ménagers apparaissent progressivement dans les intérieurs de cette petite commune rurale et maritime pendant le déroulement de l'enquête. Dans le film de 1976 présenté ici, ces éléments sont peu évoqués parce qu'il a été produit après l'enquête ; il s'intéresse aux souvenirs et aux réactions des Plovézétiens suite aux passage des chercheurs et notamment d'Edgar Morin.
Les premières entorses au modèle : les années 70
L'augmentation des productions, surtout dans le hors-sol, confirme l'industrialisation de l'agriculture. L'agriculture n'est plus seulement l'affaire des paysans : un très puissant ensemble agro-alimentaire né d'entreprises capitalistes mais aussi d'initiatives de groupements de producteurs se met en place. La participation des coopératives s'accélère mais elles s'engagent dans de nouveaux objectifs : le principe de l'efficacité économique face au marché devient prédominant pour les coopératives qui partent à la conquête des filières du porc et du lait. Elles développent donc des stratégies proches de celles des entreprises privées et deviennent plus autonomes face aux producteurs. En même temps les IAA (Industries Agro-alimentaires) d'origine privée française ou étrangère prennent une place plus décisive dans le processus de changement. A la fin des années 60 s'implantent les puissantes entreprises étrangères comme Duquesne-Purina à Loudéac, Cargille-Nutrena à Guingamp, Buitoni mais aussi les groupes français comme Olida à Loudéac, Sanders, Fleury-Michon, Négobeureuf, Entremont.
Cela se fait au dépens des firmes régionales qui voient leur part diminuer même si certains groupes spécialisés acquièrent une envergure nationale dans les années 70 : Hénaff et ses conserves de viandes de porc, Doux pour les volailles, et Bridel pour les produits laitiers. Le rôle de toutes ces grandes sociétés devient prépondérant tant pour le maintien de la main d'œuvre que pour les orientations agricoles. Cela apparaît nettement dans le secteur laitier : ce sont elles qui fixent la limite inférieure de la production laitière quotidienne dans le cadre de la collecte, évinçant ainsi à terme les petites exploitations de polyculture-élevage.
Ces contraintes précèdent en fait celles qu'imposera l'Europe face aux excédents qui sont de plus en plus souvent évoqués : le plan Mansholt (1970) va accélérer l'évolution lancée par les industries agro-alimentaires (IAA) en décidant la suppression de la moitié des exploitations européennes, le gel de terres et la diminution du nombre de vaches laitières. Les aides seront désormais réservées aux exploitations compétitives, marginalisant ainsi les petits producteurs. Pour ne pas disparaître de nombreux jeunes s'endettent pour arriver très vite au volume de production nécessaire.
Nombre d'exploitations en France :
- 1970 : 1 587 473
- 1979 : 1 262 669
- 1988 : 1 016 755
- 2000 : 663 807
- 2005 : 567 136
Nombre d'exploitations en Bretagne :
- 1970 : 150 918
- 1979 : 118 561
- 1988 : 92 545
- 2000 : 51 219
- 2005 : 40 632
Les chiffres proviennent du Ministère de l'agriculture , consulté le 5 novembre 2009.
Evolution de la structure des exploitations bretonnes (sources INSEE)
En 1963 :
- Moins de 5 Hectares : 31,55%
- 5 - 10 Hectares : 22,49%
- 10 - 20 Hectares : 33,67%
- +20 Hectares : 12,29%
En 1985 :
- Moins de 5 Hectares : 22%
- 5 - 10 Hectares : 13%
- 10 - 20 Hectares : 25%
- +20 Hectares : 40%
Le sentiment qu'ont les agriculteurs d'être dépossédés de leurs choix se traduit par des mouvements violents qui se répètent (ex : la grève du lait en 1972). Le malaise se traduit dans le domaine syndical. Dans un premier temps, les 5 FDSEA bretonnes s'opposent de plus en plus nettement à la FNSEA dominée par les pays de grande culture céréalière. Cette opposition aboutira à la création de la FRSEAO – Fédération régionale des Syndicats d'Exploitants agricoles de l'Ouest en 1966.
Dans un deuxième temps, les écarts croissants entre les producteurs bretons et les divergences d'intérêts provoquent l'éclatement du syndicalisme breton auparavant uni autour de l'idée de progrès : des jeunes se radicalisent et forment sous l'inaluence de Bernard Lambert un courant très anti-capitaliste qui propose une analyse radicale en terme de lutte de classes : le " mouvement Paysan-Travailleur ". Ils critiquent vivement la dépendance des agriculteurs bretons vis à vis des industries agro-alimentaires (IAA). Devant l'impossibilité de faire bouger la FDSEA, ils créent en juin 1970 leur premier journal, Paysans en lutte, et décident en 1972 de s'organiser en syndicat autonome. Leurs principaux objectifs concernent les questions foncières, le statut des fermiers, le lait et la solidarité paysan-ouvrier.
Bernard Lambert, porte-parole du syndicat des Travailleurs Paysans
Bernard Lambert dénonce la politique agricole menée depuis la Seconde Guerre mondiale. Les élections des Chambres d'Agriculture sont pour lui l'occasion de donner la parole aux paysans et de remettre en question ce système.
Les remises en cause du modèle
Les crises se multiplient
Les crises se multiplient - crise du poulet (1982) et des oeufs (1983), du porc (1983, 1987), du lait (1972, 77, 78) - car le marché communautaire est saturé et de nombreuses mesures sont prises pour limiter l'agriculture productiviste. La quantité des productions doit diminuer et les prix chutent. Les collectes de lait baissent de 11% entre 1983 et 1989.
Devant les excédents et le coût des aides, l'Europe opte pour une politique de restriction budgétaire. Cela se traduit par une baisse des prix garantis, par des contingentements des productions - le meilleur exemple est celui des quotas laitiers imposés en 1983 - et par le gel de terres qui sont mises en jachères. Les producteurs qui ont emprunté pour se moderniser sont de plus pénalisés par l'augmentation du prix de l'argent et par la fin de l'inalation des années 70. Le nombre de fermes en difficulté financière croit très vite.
Ces crises sont générales à l'Europe de l'Ouest et ne concernent pas plus la Bretagne que les autres régions agricoles puisque l'objectif européen est bien de restructurer l'économie agricole commune en favorisant les gros producteurs. Toutefois les réactions des agriculteurs bretons vont être particulièrement vives : manifestation des éleveurs de porcs dans le Finistère en 1983-84 suite à la mise en place des montants compensatoires, puis à nouveau en 1987-88, manifestations des éleveurs laitiers dans le Morbihan en 1984 et en 1988. En effet, les mesures européennes mises en oeuvre par les industries agro-alimentaires (IAA) menacent le modèle breton basé sur une agriculture de moyens exploitants. La réorganisation de l'élevage laitier en est l'exemple puisque 43% des producteurs disparaissent dans les années 80 alors que le nombre d'éleveurs de plus de 30 têtes progresse de 27%.
La production porcine en Bretagne
Dans un élevage porcin des Côtes du Nord, des acteurs de la profession, Guillaume Roué (Secrétaire Générale Fédération Nationale Porcine), Jean-Claude Commault (Directeur Cooperl) et Yves Ollivier (Confédération Paysanne) analysent la crise porcine.
Les effets collatéraux de cette politique sont importants en Bretagne où certains cantons ruraux se vident ; les médias évoquent alors la "désertification des campagnes ".
La mobilisation paysanne
Des centaines de petits ou moyens producteurs fortement endettés se trouvent dans des difficultés extrêmes. Ils sont soutenus par les syndicats minoritaires qui remettent en cause l'agriculture productiviste : les paysans-travailleurs, la confédération paysanne (créée en 1987), le MODEF (mouvement des exploitants familiaux crée en 1959) qui organisent des actions de terrain alors que les syndicats majoritaires (FNSEA, CDJA) acceptent mieux la nécessité de participer à la compétition européenne.
La scission entre la FNSEA et les FDSEA bretonnes s'accentuent : en 1977, " le comité de Redon " composé des FDSEA du Finistère, du Morbihan, de la Mayenne et de la Loire-Atlantique se fond dans une interpaysanne qui va organiser les grandes manifestations de l'hiver 1978 sur la question du lait.
Toutes les campagnes de France se mobilisent mais c'est en Bretagne, où les exploitations agricoles bretonnes disparaissent à un taux annuel de 4,8 % entre 1988 et 2000, que les syndicats de gauche trouvent le plus d'écoute. La première grève de la faim d'un agriculteur de Loire-atlantique en août 1978 révèle le désarroi mais aussi la force de l'engagement des petits paysans bretons. On peut donc parler également d'un modèle syndical breton marqué par une forte mobilisation de la base et un réel esprit contestataire qui revendique la solidarité.
Manifestation agricole à Pleyber-Christ
23 ans après le 1er mouvement agricole, les agriculteurs manifestent violemment à Pleyber-Christ. Leur leader Alexis Gourvenec prononce un discours virulent où il appelle l'ensemble de la profession à se mobiliser et à remonter sur les barricades.
Dans les années 80, dans les campagnes comme ailleurs, les espoirs révolutionnaires s'estompent : en 1987, la Confédération Paysanne unit les syndicats protestataires (CNSTP et FDSEA contestataires) et est reconnue officiellement par le gouvernement socialiste à coté de la FNSEA et du CNJA, preuve que la pluralité du monde paysan breton est enfin prise en compte.
A partir de la fin des années 70, l'éclatement économique et idéologique de la paysannerie bretonne menace le modèle de développement breton. Ce dernier apparaît somme toute fragile car si à la fin du XXe siècle, les structures de production bretonne n'ont plus de retard - en 2006 la Bretagne produit 21% des productions animales françaises -, ce succès n'est pas sans revers et les fragilités sont multiples.
- les filières sont très dépendantes des marchés internationaux tant pour les achats - puisque l'élevage tend à favoriser l'utilisation d'aliments importés - que pour la vente qui est soumise aux fluctuations des prix.
- les fermes sont souvent spécialisées dans des produits à faible valeur ajoutée et n'ont comme solution que l'augmentation des superficies.
- le développement des élevages de porcs et de volailles, qui se nourrissent d'aliments en partie importés, conduit dans certaines zones à des productions d'azote organique plus importantes que les besoins des plantes. D'où les conséquences sur la qualité de l'eau et le développement des algues vertes.
Sans être totalement rejeté, le modèle intensif breton a du être amendé. L'avenir exige donc des arbitrages entre plusieurs nécessités : celle de conserver l'agriculture moderne compétitive en diversifiant les productions et celle de respecter, voire de restaurer l'environnement. Conserver une agriculture compétitive au niveau mondial qui permette également d'assurer un revenu satisfaisant pour les agriculteurs implique que les aides de la PAC prennent de nouvelles formes. Certes, ces questions ne concernent pas que la Bretagne, mais l'importance qu'y a pris l'agriculture rend cette question vitale. Par exemple la décision européenne de supprimer en 2015 les quotas laitiers – décision que la France a accepté après s'y être longtemps opposée - inquiète les agriculteurs bretons qui souhaitent conserver une régularisation du secteur. Cette inquiétude face au choix européen a mobilisé fortement les syndicalistes bretons du MODEF et de la confédération paysanne pendant l'été 2009. La prise en compte des enjeux environnementaux implique également de nouvelles façons de faire. Cette question est particulièrement aigüe dans les Côtes-d'Armor puisque la multiplication des élevages intensifs a favorisé la pollution. C'est ainsi que dans l'été 2009, le maire d'Hillion, commune située sur la côte, n'a pas hésité à faire connaître la dangerosité des plages envahies par les algues vertes d'où émanent de fortes quantités d'hydrogène sulfuré. Les pouvoirs publics ont dû réagir.
La loi d'orientation agricole de 1999 qui par " les contrats territoriaux d'exploitation " prend en compte l'aménagement du territoire en vue d'un développement durable et les situations spécifiques à chaque région, encourage de nouvelles initiatives. Ces contrats mettent en partenariat IAA, agriculteurs, autorités publiques et la PAC depuis 2005 (instauration de l'application de la conditionnalité environnementale pour l'octroi des aides de la politique agricole commune).
L'utilisation des pesticides en Bretagne
La Bretagne est une grande consommatrice de pesticides. Des études récentes ont été menées sur différents cours d'eau. Elles démontrent la contamination des rivières par ces produits. Un observatoire régional va tenter de réguler leur utilisation.
De nouveaux projets
Certains visent la diversification des unités de production :
- mise au point de produits agro-alimentaire de haute qualité qui portent l'image bretonne : les produits à base de sarrasin, les produits AOC...
- soutien à de nouvelles filières : légumes ou horticulture
- diversification des activités des fermes qui vont de pair avec la volonté de proposer de nouvelles formes de commercialisation : la vente des produits à la ferme, les marchés de producteurs, la vente du lait de proximité au supermarché comme cela se fait en Angleterre, etc.
D'autres concernent la protection des ressources :
- mise en place de programmes d'aménagement du territoire rural (émergence d'un nouveau bocage) et de la maîtrise des pollutions agricoles.
- réduction des pollutions grâce à des pratiques d'élevage et les pratiques agronomiques qui changent progressivement : fertilisation raisonnée, remise en cause du maïs et des labours profonds.
- progression de l'agriculture biologique. Constatons que cette progression s'effectue à un rythme relativement lent par rapport à d'autres régions françaises puisque l'agriculture biologique représente en 2002 moins de 2 % des exploitants et de la surface agricole utilisée.
L'utilisation des pesticides en Bretagne
La Bretagne est une grande consommatrice de pesticides. Des études récentes ont été menées sur différents cours d'eau. Elles démontrent la contamination des rivières par ces produits. Un observatoire régional va tenter de réguler leur utilisation.
Cadre de vie, musée ou paysage ?
Entre 1975 et 1982, les recensements ont enregistré une spectaculaire renaissance du monde rural. Pour la première fois depuis longtemps la population des communes rurales augmente plus vite que celle des villes. Cependant ce phénomène ne signifie en aucun cas un retour à la terre ou un retour aux anciens modes de vie du monde rural. En 1982 les agriculteurs ne représentent plus que 23% de la population rurale. Rural et agricole ne sont donc plus deux termes que l'on peut assimiler, le monde rural n'étant plus systématiquement et de moins en moins le monde agricole. En effet, de nombreux citadins, dans leur style de vie et de travail, s'installent dans des bourgs ou des communes rurales, le monde rural devenant ainsi progressivement une zone périurbaine. Cependant si ces nouveaux ruraux ou plutôt rurbains conservent un style de vie citadin, il n'en demeure pas moins que l'intérêt pour la culture et le mode de vie rural, qui s'estompait depuis le lendemain de la Seconde Guerre mondiale, connaît un net regain d'intérêt.
Le succès des reconstitutions :
Si l'Ouest est toujours largement agricole à défaut d'être véritablement rural, la région et ses habitants restent attachés à la terre et aux traditions de leurs récents ancêtres. Ainsi la société rurale traditionnelle bretonne survit aux travers des différentes fêtes organisées chaque année, des musées et des reconstitutions, au risque parfois de fixer des stéréotypes fleurant l'agrarisme. Les fêtes de vieux métiers se développent et les agriculteurs transforment en spectacle les anciens travaux agricoles.
Il y a donc un renversement des valeurs. Alors que la campagne et ses habitants étaient fortement dévalorisés dans les années 1950, depuis la fin des années 1980, les citadins et descendants de l'ancien monde rural s'enthousiasment pour ces valeurs soit disant " authentiques ". Le passé est transcendé, la qualité de vie et les besoins simples des ruraux et des agriculteurs anciens sont vantés, la campagne et l'agriculture étant assimilées à la nature. Un thème notamment repris par les publicitaires qui ne manquent pas de flatter les qualités d'un produit, ou des vacances, comme étant authentiques et rustiques.
La société rurale est donc aujourd'hui largement muséifiée et patrimonialisée, notamment au travers des reconstitutions. De leur côté, les écomusées revendiquent un regard moins mémoriel et plus analytique qui tient compte du passé mais aussi des évolutions plus récentes de l'après-guerre.
Bibliographie
Nicolas-Jean Brehon, L'agriculture européenne à l'heure des choix : pourquoi croire à la PAC ?, fondation Schuman, 2008.
Corentin Canevet, Le modèle agricole breton, histoire et géographie d'une révolution agro-alimentaire, PUR, 1992.
Joël Cornette, Histoire de La Bretagne et des bretons, Tome 2 Des Lumières au XXIe siècle, Éditions du Seuil, 2005.
Georges Duby, Armand Wallon (dir.), Histoire de la France Rurale, Tome 4 Depuis 1914, Éditions du Seuil, 1977.
Paul Houée, Les politiques de développement rural : des années de croissance aux temps d'incertitude, 1996.
Michel Lagrée, Religion et cultures en Bretagne 1850-1950, Fayard, 1992.
Yves Lambert, Dieu change en Bretagne, La religion à Limerzel de 1900 à nos jours, ed Du Cerf, 1985.
Louis-Pascal Mahé (dir.), L'avenir de l'agriculture bretonne, continuité ou changement ?, Apogée, 2000.
Louis Malassis, La longue marche des paysans français, Fayard, 2001.
Edgar Morin, Communes en France. La métamorphose de Plodémet, Fayard, 1967.
Annie Moulin, Les paysans dans la société française, De la révolution à nos jours, Éditions du Seuil, 1988.
Jacqueline Sainclivier, La Bretagne de 1939 à nos jours, Ouest-France, 1989, 500 p.