Champagne-Ardenne : des territoires marqués par des dynamiques très contrastées

Les cantons, issus de la réorganisation de la Révolution, sont une subdivision du département. L’INSEE, Institut national de la statistique et des études économiques, a été créé en 1946, dotant l’Etat d’un appareil de statistiques pour mieux connaître le territoire national et renforcer l'efficacité de l’action publique. Il produit en 1992 une étude des disparités en région Champagne-Ardenne, une région qui compte alors 1,3 millions d’habitants.

L’étude porte sur les disparités, soit les différences économiques, sociales et culturelles. Elle montre une différenciation spatiale liée à la polarisation des territoires par les métropoles. A l’échelle régionale, le territoire est polarisé par quelques agglomérations, dont une seule peut être considérée comme une métropole régionale, Reims, avec environ 210 000 habitants. Mais c’est surtout à l’échelle suprarégionale que se mesure la polarisation, en limite du bassin parisien : Paris attire. Cette polarisation est ancienne : la région est irriguée par des liaisons est-ouest nombreuses la reliant à Paris alors que l’axe autoroutier structurant nord-sud n’est pas encore achevé en février 1992.

On peut observer un double mouvement de mobilité : des populations régionales se déplacent d’est en ouest pour vivre dans la partie la plus dynamique de la région, et des populations d’Ile-de-France viennent s’installer en Champagne grâce à la présence du train surtout, attirées par un coût du logement faible. Les agglomérations situées à l’ouest de la ligne Reims-Troyes bénéficient ainsi d’une attractivité démographique (Nogent-sur-Seine a gagné 10% de population entre 1982 et 1992) et économique (relocalisation d’entreprises d’Ile-de-France) qui renforce les déséquilibres de la région, aux dépens des villes petites et moyennes de l’est (Chaumont) et du nord (Charleville) qui ne sont que faiblement polarisés par Paris mais aussi par Dijon, Nancy ou Metz selon les villes. La région est multipolarisée par les métropoles voisines, ce qui traduit sa faible structuration spatiale autour d’un pôle intérieur. Elle apparaît comme une région éclatée.

D'autre part, l’enquête de l’INSEE souligne une désertification qui est en fait une déprise. Les territoires ruraux connaissent un double mouvement de recul de l’activité et de la population. Le dépeuplement de certains espaces aboutit à l’apparition de territoires en marge ou hyper-ruraux, caractérisés par de très faibles densités et un vieillissement accéléré. Les plus jeunes achèvent donc un processus d’exode rural très ancien, au profit des villes petites et moyennes proches, et de plus en plus au profit des territoires éloignés plus dynamiques, au premier rang desquels les agglomérations les plus importantes. La périurbanisation, l'extension des surfaces bâties à la périphérie des villes, se nourrit de cet exode rural, mais davantage encore d’un étalement urbain du centre vers les périphéries. Les centre-villes perdent eux aussi des habitants, dans une fragmentation spatiale de plus en plus marquée. On voit ainsi se dessiner de nouvelles spatialités urbaines pour lesquelles l’INSEE a créé la notion d’aire urbaine, prenant acte que la limite ville-campagne n’est plus une ligne mais une espace mixte, rural et urbain, animé par des mobilités internes.

Ces mutations spatiales posent la question du devenir des territoires : elles interrogent les enjeux de cohésion et de compétitivité, en dessinant le futur d’une région fragmentée. La question de l’aménagement des territoires, c’est-à-dire de l’action publique sur l’usage d’un espace et la fourniture des biens et services nécessaires aux populations, est ainsi posée. Elle nécessite de prendre en compte la diversité des situations dans une logique nouvelle d’aménagement des territoires, dans leurs particularités, et non plus du territoire, selon un mode unique et centralisé. L’échelon régional devient alors un échelon particulièrement adapté pour penser les nouveaux territoires.

Le reportage traite d'un sujet difficile pour un média de l’image : il présente les résultats d'une enquête de l’INSEE. On a là une difficulté classique des sujets à caractère plutôt scientifiques, que le journal télévisé peine souvent à traiter. 

Le présentateur lance le sujet en mettant d’entrée en valeur ce qui semble devoir être retenu de l’étude : la Champagne-Ardenne est une terre de contrastes. En faisant cela, il s’appuie sur une représentation répandue de la région.

Le reportage est construit sur un modèle presque unique : une succession d’images aériennes et de plans larges,  accompagnée d’une voix off. Les images présentées sont là pour accompagner le commentaire et lui donner chair : elles donnent à voir de manière uniquement illustrative mais apportent peu d’éléments à la compréhension du sujet. On a ainsi des images qui suivent partiellement le commentaire : elles montrent des terres agricoles sans présence humaine quand le journaliste évoque la désertification, mais elles n’associent pas les images d’un quartier pavillonnaire récent quand la périurbanisation est évoquée. Les images posent un problème de localisation : on ne sait pas quels territoires sont montrés. Pour autant, elles montrent les différents attributs de l’habiter dans la région : des infrastructures de communication pour se déplacer, plusieurs paysages urbains décrivent des quartiers résidentiels d’âges différents, des terres agricoles, des centre-villes avec leurs commerces témoignent des pratiques de l’espace, des populations dans leurs activités quotidiennes rendent compte du vivre ensemble.

Le journaliste fait un effort de pédagogie dans le commentaire, en indiquant par exemple le nombre d’évolutions qu’il entend présenter aux téléspectateurs. Il fait le choix de ne quasiment pas citer de chiffres pour s’appuyer avant tout sur les conclusions de l’INSEE, autour de quelques évolutions à l’oeuvre. Le propos est donc clair, tout en essayant d’être précis sur les termes utilisés : l’effort de rigueur est ici notable. L’objectif n’est pas de donner énormément d’informations aux téléspectateurs mais bien de se centrer sur les éléments considérés comme les plus remarquables : disparité Est-Ouest, cantons en voie de désertification et périurbanisation. Pour clore son propos, le journaliste se lance dans une prospective territoriale issue des tendances dégagées par l’INSEE : il permet alors aux téléspectateurs de se projeter dans le futur régional, en soulignant plutôt des aspects jugés non souhaitables. Aujourd’hui, on peut dire que le journaliste voyait juste, avec une accentuation de plus en plus marquées des disparités au profit des aires urbaines de l’ouest, et surtout de Reims qui bénéficie de l’effet-TGV avec Paris.

Il interroge finalement les actions possibles et évoque ainsi l’action de la Région : sa conclusion esquisse un débat important sur le fonctionnement de la nouvelle collectivité. Il ouvre un questionnement sur l’identité de ce territoire présenté d’emblée comme contrasté et qui, selon le journaliste, manque d’unité : la Champagne-Ardenne a été créée en partie avec des territoires délaissés (Ardennes et Haute-Marne) autour de la plaine champenoise et du vignoble (Marne et Aube). Mais une question demeure : sont-ce les propos du journaliste ou est-ce un point soulevé par l’INSEE ? On ne le sait pas alors que cela interroge la légitimité du discours : parole de journaliste ou parole d’expert ?

Le reportage illustre donc une double difficulté pour France 3 en 1992 : traiter dans une forme courte d’un sujet difficile d’accès et à base de données chiffrées, et traiter d’un sujet, la Région Champagne-Ardenne, qui est un nouveau territoire que la population ne s’est pas encore appropriée et auquel il faut donner une identité. On notera que le journal n’a pas fait appel à un "expert", alors que celui-ci est aujourd’hui devenu une figure médiatique incontournable de ce type de sujet.