La construction de l’École publique
(1792-1982)
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Résumé
Le centenaire en 1982 de la création du système scolaire français, résumé sous le nom d’École publique
, permet de revenir sur une histoire qui ne peut se limiter aux seules lois Ferry ni être présentée comme une construction linéaire. Sa remise en cause et les tensions avec les tenants de l’École libre
n’ont jamais cessé.
Langue :
Date de publication du document :
01 déc. 2023
Date de diffusion :
08 mai 1982
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Contexte historique
ParProfesseur agrégé d’histoire-géographie au collège Elsa Triolet à Thaon-les-Vosges
Publication : 01 déc. 2023
Depuis le XVIIIe siècle existe en France un débat opposant les tenants d’une éducation nationale et ceux de l’instruction publique, débat qui s’est cristallisé durant la période révolutionnaire. Si les premiers considèrent que l’école doit fabriquer
des citoyens et assignent par conséquent à cette dernière une finalité extérieure à l’acquisition des savoirs pour elle-même ; les seconds, suivant en cela les idées de Condorcet (Cinq mémoires sur l’instruction publique), réfutent cet utilitarisme qui pourrait conduire à une forme d’endoctrinement républicain. Ils ne nient pas les objectifs des défenseurs d’une éducation nationale, mais ils refusent de limiter la dimension encyclopédique et émancipatrice du savoir.
Entre ces projets et la fondation de l’École publique
par les républicains dans les années 1880, il y a des étapes qu’on ne peut omettre. Dès 1833, la loi Guizot impose aux communes de plus de 500 habitants d’avoir une école primaire pour garçons. L’obligation scolaire n’est pas actée, mais il est prévu que l’enseignement soit gratuit pour les familles ne pouvant payer les maîtres. En 1850, la loi Falloux ordonne aux communes de plus de 800 habitants d’entretenir une école pour les filles, et fait la part belle à l’Église catholique, notamment en facilitant le développement des écoles des congrégations religieuses et en surveillant l’enseignement primaire via un conseil départemental dans lequel elle a un poids conséquent. Enfin, en 1867, la loi Duruy abaisse le seuil à 500 habitants pour l’ouverture d’une école pour filles et permet aux municipalités d’établir la gratuité de l’enseignement primaire en levant un impôt.
Lorsque Jules Ferry, président du Conseil et ministre de l’Instruction publique, décide d’instaurer la gratuité absolue de l’enseignement primaire en 1881, il étend donc une mesure existante dans le but d’imposer parallèlement le principe de l’obligation scolaire de 6 à 13 ans. Ce sera fait en 1882 dans une seconde loi qui impose également le principe de laïcité de l’enseignement. Quant à la loi Goblet de 1886, elle laïcise le personnel de l’enseignement public en excluant les religieux. En 1904, dans le prolongement de l’affaire Dreyfus et de la crise politique qui secoue la République, le gouvernement Combes franchit une nouvelle étape en interdisant aux congrégations d’enseigner, mais non l’existence même d’un enseignement privé. La loi de séparation des Églises et de l’État adoptée l’année suivante sanctuarise enfin le principe laïc au sein des établissements publics ainsi que son financement. Rappelons que la naissance de cette École publique
ne met pas fin au dualisme du système scolaire qui s’est construit avant la Révolution et s’est maintenu mutatis mutandis jusqu’aux années 1940. Les réformes des républicains ne concernent que l’ordre du primaire, autrement dit la communale
, voie réservée essentiellement aux enfants des mondes paysan et ouvrier qui, pour les meilleurs, pouvaient espérer intégrer une école primaire supérieure, voire l’École normale. Parallèlement existe un ordre secondaire, plus bourgeois et élitiste dans son essence, symbolisé par les lycées et petits lycées urbains dans lesquels la scolarisation débute en onzième – l’équivalent du CP actuel – et où le latin sert à la fois de barrage socio-culturel et de signe de reconnaissance.
Pour l’enseignement catholique, les lois Ferry et Combes entraînent de graves difficultés financières pour les écoles et marquent, surtout, une perte d’influence considérable dans la société. Cette situation prend fin lorsque Vichy rétablit les subventions à son profit. La IVe République puis les Gaullistes ne reviennent pas à la situation antérieure, le système confessionnel obtenant des gages financiers et statutaires considérables dans les années 1950 : bourse d’État (loi Marie), allocation au père de famille (loi Barangé), prise en charge du traitement des enseignants, voire de frais de fonctionnement (loi Debré). En 1977 encore, la loi Guermeur confère aux enseignants du privé les mêmes avantages sociaux qu'à ceux du public.
Cette nouvelle architecture de l’enseignement n’est réellement remise en cause qu’à une seule occasion. Élu président de la République en 1981, François Mitterrand a intégré dans son programme la création d’un service public unique et laïque de l’Éducation nationale
réclamé depuis longtemps par les organisations de gauche, notamment le CNAL (Comité national d'action laïque). Cependant, en 1984, le ministre de l’Éducation nationale Alain Savary échoue à mettre en œuvre ce projet, et son abandon entérine la coexistence de deux systèmes d’enseignement, au nom de la liberté de choix laissée aux familles, mais tous deux financés par la puissance publique.
Éclairage média
ParProfesseur agrégé d’histoire-géographie au collège Elsa Triolet à Thaon-les-Vosges
Le reportage est réalisé à l’occasion du centenaire des lois Ferry organisé le 9 mai 1982 au Bourget par le CNAL, association loi 1901 fondé en 1953 afin de défendre l’École publique et laïque. Le CNAL regroupe cinq organisations : le Syndicat national des instituteurs et des institutrices (SNI), alors ultra majoritaire dans le premier degré (désormais Syndicat des enseignants - UNSA), la Fédération de l'Éducation nationale (FEN, anciennement Fédération nationale de l'enseignement) qui regroupait l’essentiel des syndicats du champ éducatif (désormais UNSA Éducation), la Ligue de l’enseignement, les délégués départementaux de l’Éducation nationale (DDEN) et, enfin, la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE). Ces associations sont alors proches des mouvements politiques de gauche non communistes. En 1982, le CNAL, qui a largement soutenu l’élection du candidat François Mitterrand, voit dans le meeting du Bourget le triomphe de son combat puisqu’Alain Savary, ministre de l’Éducation nationale de Pierre Mauroy, y annoncera la mise en œuvre d’un service public unique et laïc de l’Éducation nationale.
Le reportage retrace l’histoire de l’École publique, de la Révolution française à l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République en 1981. À grands traits, il revient sur les grandes étapes de la construction et de la contestation de l’École publique : du rapport sur l’instruction publique de Condorcet (1792) au programme du candidat François Mitterrand (1981) en passant par les lois dites Ferry (1882), l’interdiction d’enseignement aux congrégations religieuses (1904), la revanche
de Vichy (1940-1941) et la législation gaulliste de compromis ou de compromission selon les points de vue.
Le reportage s’appuie sur un ensemble de documents (gravures, photographies, documents d’archives, articles de presse, caricatures, reportages,…) mettant en scène les principaux acteurs de cette longue séquence historique. On y reconnaît, entre autres, le marquis de Condorcet, Émile Combes, Michel Debré et le député gaulliste du Finistère Guy Guermeur. Parmi ces documents, on peut relever le célèbre croquis pour servir à l’histoire de l’éloquence réalisé en 1910 par le portraitiste Albert Eloy-Vincent et représentant Jaurès à la tribune de la Chambre des députés.
À noter, un bel exemple d’anachronisme puisque, pour illustrer la loi du 7 juillet 1904 relative à la suppression de l'enseignement congréganiste, dite loi Combes
, est utilisée une caricature signée Bertall et Dumont intitulée Loi sur l’ignorance publique
publiée dans Le Journal pour rire en 1850. Ce dessin de presse fait en réalité allusion à la loi Falloux du 18 mars 1850 qui accorde une grande part à l'Église catholique dans l'organisation de l'enseignement. On y voit un élève écartelé entre l’université à gauche, tenant un ouvrage de Voltaire, et l’Église catholique à droite, le catéchisme dans la main. Surplombant cette scène, avachi sur un trône, Adolphe Thiers, alors l’un des chefs de file du parti de l’Ordre
, jongle avec des balles sur lesquelles sont inscrits, de gauche à droite : Voltaire
, Pères de l’Église
, Rousseau
, l’Évangile
et Cousin
(Victor Cousin). La légende de la caricature explicite le sens du dessin : Enseignement breveté, sous la garantie du gouvernement, à double détente et à double pression, fourni à la jeunesse française par l'institution Thiers, Montalembert [Charles de Montalembert, l’un des auteurs de la loi Falloux] et Compagnie.
Le propos historique du reportage est entrecoupé à deux reprises par un entretien avec l’historien Antoine Prost. Professeur à l’Institut d’études politiques de Paris et à la Sorbonne, spécialiste du monde des anciens combattants et de l’éducation, il a publié dès les années 1960 La Révolution scolaire (1963) et L’Enseignement en France 1800-1967 (1968). Se situant à gauche politiquement, il a participé à plusieurs commissions de réflexion sur le fonctionnement de l’institution scolaire et rendra notamment un rapport au ministre Savary en 1983, Les lycées et leurs études au seuil du XXIe siècle
(rapport du groupe de travail national sur les seconds cycles). Il éclaire son propos en insistant sur le choix de société
que furent les lois scolaires de Ferry, puis sur la revanche
politique qu’a constituée la période de Vichy.
Notons enfin les deux dessins qui bornent le reportage : en ouverture, celui de Gustave Erlich (1911-1997) – alias Gus – qui illustrait en direct l’actualité sur les journaux télévisés de France 2 et, en fermeture, un dessin de François Lejeune (1908-1982) – alias Jean Effel – à qui l’on doit une Marianne aisément reconnaissable, haut blanc, robe rayée et bonnet phrygien, ici en train de porter le gâteau d’anniversaire du centenaire de l’École publique.
Transcription
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